À quand des écoles intelligentes ?


Édition du 25 Août 2018

À quand des écoles intelligentes ?


Édition du 25 Août 2018

Au ­Québec, il ne manque pas ­grand-chose pour voir l’IA débouler dans les classes. [Photo: 123RF]

Simon De Baene était visiblement gêné aux entournures, ne pouvant s'empêcher de regarder l'audience de biais et de gratter nerveusement son cou. Le PDG de GSoft s'adressait en juin à un parterre de dirigeants d'écoles, de collèges et d'universités, et savait que ce qu'il allait dire ne plairait pas : « Chaque fois que nous embauchons, notre priorité est de désapprendre aux recrues tout ce qu'on leur a appris sur les bancs d'école, a-t-il lancé lors de l'événement montréalais "L'intelligence artificielle (IA) fait ses classes". Nous passons un temps fou à les déprogrammer : elles ne sont pas là pour obéir et être contrôlées, comme on le leur a enseigné, mais pour exprimer librement leur plein potentiel, pour carrément changer le monde. »

Et d'enfoncer le clou : « L'hyperspécialisation prônée par notre système éducatif ? Désolé, mais nous cherchons tout le contraire, à savoir des gens qui savent connecter entre elles des idées provenant d'une multitude de champs de connaissance. »

Des propos qui corroborent la vive dénonciation de l'éducation de l'économiste Robin Hanson et de l'ingénieur en logiciel Kevin Simler dans leur récent livre The Elephant in the Brain : « On attend des enfants qu'ils restent assis des heures durant, qu'ils contrôlent leurs impulsions, qu'ils restent concentrés sur des tâches répétitives et barbantes, qu'ils se déplacent d'une salle à l'autre au son d'une cloche et même qu'ils demandent la permission pour aller aux toilettes (pensez-y deux secondes !), déplorent-ils. Les enseignants leur apprennent à devenir dociles. (...) Ils contribuent pleinement à la domestication de l'être humain. »

Bref, l'éducation forme les moutons - pis, les chômeurs - de demain. Ni plus ni moins.

C'est clair, ça ne peut pas durer. Il en va de l'avenir de nos entreprises, de notre économie. La solution ? Transformer l'éducation sans tarder, comme vient d'ailleurs de le souligner le mathématicien et député français Cédric Villani dans un rapport sur l'intelligence artificielle : « Les enseignants n'ont aujourd'hui d'autre choix que de réinventer leurs pratiques pédagogiques, ne serait-ce qu'en raison du fait que, contraints de "boucler" le programme dans le temps imparti, ils personnalisent très peu leurs méthodes d'apprentissage, note-t-il. À cet égard, l'IA représente de grands avantages potentiels... »

Quels avantages, au juste ? Ils sont innombrables, selon un autre rapport, intitulé «Intelligence Unleashed - An argument for AI in Education» publié en 2016 par la maison d'édition éducative Pearson. Voici les trois principaux :

Soulager l'enseignant de tâches routinières. L'IA pourrait noter et commenter les devoirs des élèves. Ou bien aider l'enseignant à concevoir ses cours en fonction du niveau de chaque élève, en puisant dans les vastes ressources accessibles en ligne.

Personnaliser l'apprentissage. L'IA pourrait aussi offrir en temps réel les coups de pouce nécessaires aux uns et aux autres afin qu'aucun ne « décroche » en classe.

Servir de tuteur virtuel. L'IA pourrait également répondre aux questions des élèves en dehors des cours, ou bien les aider dans leurs révisions.

Vers une évolution rapide du métier d'enseignant

D'autres idées ont émergé lors des ateliers de l'événement « L'IA fait ses classes », organisé par le Collège Sainte-Anne et la Factry. L'IA pourrait par exemple concevoir et piloter des missions éducatives à remplir en petits groupes dans un univers virtuel. L'enseignant jouerait dès lors le rôle de guide omniscient, ce qui rendrait l'apprentissage ludique, voire artistique.

« On le voit bien, le métier d'enseignant est nécessairement appelé à évoluer, tout comme le quotidien des élèves. Et plus vite que ce qu'on croit... », a commenté Hugo Lapierre, chercheur de l'Équipe de recherche en éducation scientifique et technologique (EREST) de l'UQÀM. De fait, des initiatives en ce sens voient d'ores et déjà le jour, ici et là.

C'est ainsi qu'Ashok Goel, qui enseigne l'informatique à Georgia Tech, aux États-Unis, a révélé en 2016 à ses élèves que sa fidèle assistante Jill Watson était en réalité une IA. Depuis le début du semestre, elle avait pris en charge la majorité des 10 000 questions posées en ligne par ses quelque 400 élèves, qui n'y avaient vu que du feu.

Quant au Québec, il ne manque pas grand-chose pour voir l'IA débouler dans les classes. D'ailleurs, le gouvernement du Québec semble avoir fait un pas crucial en ce sens, sans le claironner sur tous les toits : il a présenté en mai son Plan d'action numérique en éducation et en enseignement supérieur 2018-2023 dans lequel il est prévu un investissement de 1,2 milliard de dollars pour « les outils numériques de toutes sortes dans les écoles » ; sans préciser - par prudence ? - le montant qui serait alloué à l'IA.

« C'est que la pierre d'achoppement est, comme toujours, la résistance au changement, a souligné Ugo Cavenaghi, PDG du Collège Sainte-Anne et fervent adepte de l'IA dans l'éducation. Les « robots intelligents » font peur, ils menacent nos emplois, dit-on, ce qui est faux concernant l'enseignement.

D'où la nécessité d'expliquer sans relâche ce qu'on a tous à gagner - sans rien perdre pour autant - à voir l'IA imprégner nos systèmes éducatifs, qu'on soit enseignant, élève, parent, ou même chef d'entreprise. Car c'est notre avenir collectif qui est en jeu ! »

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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ESPRESSONOMIE est le blogue économique d'Olivier Schmouker. Sa mission : éclairer l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui. Ce blogue hebdomadaire présente la particularité d'être publié en alternance dans le journal Les affaires (papier/iPad) et sur Lesaffaires.com. Olivier Schmouker est chroniqueur pour Les affaires et conférencier.

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