L'importance d'un journalisme indépendant en période trouble

Publié le 02/10/2018 à 16:52

L'importance d'un journalisme indépendant en période trouble

Publié le 02/10/2018 à 16:52

[Photo: Catherine Charron]

BLOGUE INVITÉ. David Franklin a confiance en ce que devient le journalisme, bien que l’image du métier soit un peu ternie aux yeux de la population. Le directeur de la rédaction et chroniqueur aux affaires internationales du magazine The Economist est emballé par la montée en popularité de l’analyse des données, un outil qui permet de nouvelles formes de narration et de nouvelles capacités que la distribution numérique peut fournir à une organisation médiatique.

De manière plus importante, M. Franklin est convaincu que le journalisme demeure indispensable, particulièrement en cette ère que plusieurs qualifient de post-factuelle.

« Plus il y a de régimes qui essaient de contrôler l’actualité et de vous dire ce qui est faux, plus vous devez avoir des voix indépendantes qui exigent que les gens au pouvoir rendent des comptes. C’est ce que le bon journalisme devrait faire. »

Ayant séjourné en Europe de l’Est, à Washington (D.C.) et maintenant à Londres, M. Franklin est un penseur universaliste. Il est probablement surtout connu pour ses articles dans The World In…, la publication annuelle du magazine qui se penche sur les développements mondiaux au cours de l’année à venir. Il a également publié deux livres dans lesquels il imagine ce à quoi le monde pourrait ressembler en 2050. Ces ouvrages, se souvient-il, étaient plus faciles à écrire que The World In... parce qu’il est plus simple de prédire les impacts à long terme de certaines tendances, comme l’IA, qu’il ne l’est de prévoir ce que nous réserve la prochaine année.

Daniel Franklin

« Pour (The World In…), j’utilise une technique simple qui consiste à demander à un grand nombre de personnes très intelligentes de donner leurs opinions sur ce qui se passera prochainement. Et lorsque vous demandez à de nombreuses personnes leur opinion sur un éventail de sujets, vous avez une idée intéressante de ce qui s’en vient. »

L’émergence de la Chine en tant que superpuissance mondiale demeure, à ses yeux, le phénomène le plus susceptible de bouleverser la géopolitique mondiale au cours des prochaines années.

« Il s’agit d’une période délicate dans le monde, où une puissance dominante, les États-Unis, voit l’arrivée d’une grande puissance rivale comme la Chine... Il est très très difficile de changer l’équilibre des pouvoirs. Et je crois que le véritable défi des prochaines décennies sera d’essayer d’atteindre cet équilibre sans encombre majeur », explique-t-il.

En attendant, M. Franklin prédit que le Canada jouera un rôle intéressant sur l’échiquier mondial.

« En partie en raison de Trump et du gouvernement Trudeau, (on ressent) un grand enthousiasme – dans le sens que le (Canada) est un porte-étendard, avance-t-il. Les gens considèrent le Canada comme un pays qui croit encore à certaines des idées qui sont dénigrées ailleurs et je crois que c’est très bien. »

À titre d’exemple, le Canada demeure un gardien de la mondialisation, un concept dont le bien-fondé est souvent remis en question. Des mesures ont été prises un peu partout sur la planète, particulièrement chez nos voisins du sud, pour limiter la circulation des produits d’importation et des étrangers. M. Franklin croit néanmoins que cette tendance est exagérée.

« Dans une certaine mesure, sur le plan politique, plusieurs ont déchanté à l’endroit de la mondialisation. Mais dans les faits, est-ce que les gens voyagent moins dans le monde à l’heure actuelle ? Est-ce qu’il y a en fait moins d’affaires qui se négocient  ? Est-ce que l’information circule moins à l’échelle internationale ? Je ne crois pas que ce soit le cas. »

Si la mondialisation perd aujourd’hui un peu de son élan, la raison d’être de The Economist, reconnu pour sa position éditoriale favorable au libéralisme économique, se voit renforcée, croit M. Franklin.

« Il incombe aux gens qui pensent que bon nombre de ces idées sont encore pertinentes de faire valoir leur point de vue et de l’expliquer », plaide-t-il.

Pour ce faire, M. Franklin affirme que The Economist doit miser sur la collaboration entre les membres de son personnel. Contrairement à la plupart des journaux et des magazines, les articles publiés par la revue ne sont pas signés. Non seulement cela permet de présenter une position éditoriale plus unanime, mais réduit aussi la concurrence entre le personnel éditorial.

« Nous sommes, peut-être, légèrement moins prétentieux qu’ailleurs dans le monde... Pour une publication qui est aussi en faveur d’une concurrence vigoureuse, nous collaborons beaucoup. Je crois que c’est très favorable à l’esprit d’une entreprise commune. »

Somme toute, explique M. Franklin, le leadership dans une revue comme The Economist est assez similaire à celui de toute autre organisation. Bien que les rédacteurs en chef « déterminent l’orientation stratégique de l’article » et « prennent des décisions importantes pour établir les priorités de la couverture », ils doivent faire confiance aux capacités de leurs rédacteurs et leur permettre de prospérer.

« Votre travail ne consiste pas tant à leur dire quoi penser, mais plutôt à orienter leurs pensées afin d’en tirer le meilleur et à tirer parti des talents que vous avez à votre disposition », conclut-il.

Karl Moore est professeur agrégé à l’Université McGill. Cet entretien, qui a été rédigé conjointement avec Dan Schechner, étudiant au B. Comm. à l’Université McGill, a été condensé et modifié pour des raisons de clarté.

 

À propos de ce blogue

Chaque semaine, Karl Moore, professeur agrégé à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, s’entretient avec des dirigeants d’entreprise de calibre mondiale au sujet de leur parcours, les dernières tendances dans le monde des affaires et l’équilibre travail-famille, notamment.

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