Le rôle «d'établissement d'enseignement» de l'armée canadienne

Publié le 04/09/2018 à 14:20

Le rôle «d'établissement d'enseignement» de l'armée canadienne

Publié le 04/09/2018 à 14:20

(Photo: 123rf.com)

BLOGUE INVITÉ. Quand on pense à l’armée, on pense rarement d’emblée à un «établissement d’enseignement». Pourtant, en cette ère d’adaptation rapide, les Forces armées canadiennes, l’une des plus grosses organisations au Canada avec ses quelque 100 000 membres, offre des formations à son personnel afin de s’assurer qu’il possède les compétences nécessaires à leur poste et pour en faire les leaders de demain.

Grâce à l’échange d’information et la mise au point de procédures communes avec ses alliés, l’armée est en constant apprentissage. S’il peut arriver que les entreprises modernes s’en inspirent pour son leadership et sa gestion efficace des ressources humaines, l’armée, elle, s’inspire du milieu entrepreneurial pour en apprendre davantage sur les valeurs de l’aplatissement des pyramides hiérarchiques, la souplesse dans l’utilisation d’outils d’affaires modernes et la gestion du rendement.

Rien de tout ça n’est nouveau pour le général Jonathan Vance. À titre de Chef d’état-major de la défense, le général Vance est responsable de «toutes les questions d’importance institutionnelle pour les forces armées». Fils d’un ancien Vice-Chef d’état-major de la défense et ancien cadet, le général a, dès un jeune âge, cependant su qu’il appréciait certains aspects du leadership, notamment le fait d’enseigner aux jeunes cadets. «La plupart des leaders sont, dans une certaine mesure, des enseignants», dit le général. 

Il fait remarquer qu’il n’est toutefois pas devenu leader à un moment précis, parce que «le leadership est un processus», et non un poste qu’on peut revendiquer à tout moment.

«En fin de compte [le leadership] c’est de convaincre les autres de faire ce qu’on voudrait qu’ils fassent, avec un maximum de plaisir et de volonté. À mon avis, il y a deux aspects là-dedans qui sont très importants [...] Le premier, c’est qu’il faut connaître son affaire... [et ensuite], qu’il faut essayer de convaincre les autres d’embarquer avec nous.»

«Connaître son affaire» n’a pas le même sens d’un domaine à l’autre ou d’un professionnel à l’autre, mais tout compte fait, la compétence qui continue de s’appliquer, c’est le fait de posséder les connaissances essentielles pour éduquer les autres et l’intelligence émotionnelle pour les inspirer.

«L’une des [différences] entre un leader militaire et tout autre leader, que ce soit dans le secteur public ou privé, c’est que nous portons les traits du leadership.» 

Dans l’armée, on reconnaît aisément la personne la plus haut gradée rien qu’en la regardant, alors qu’on pourrait mettre les pieds dans les bureaux de la plus grosse start-up de la Silicon Valley et être incapable d’en reconnaître le PDG si celui-ci travaille en jeans et en tee-shirt.

Cependant, même dans une organisation où les gens portent leur grade bien en vue, «le grade ne fait pas le leader. Le grade donne le pouvoir de commander [...] Ça n’a rien à voir avec les actions d’un leader», nuance M. Vance.

«[Dans l’armée, pour inspirer les autres] il y a deux composants: le premier, c’est le commandement et le deuxième, le leadership. Le commandement, c’est le pouvoir qui vous est conféré de donner des ordres [...] La dynamique humaine du leadership, c’est d’inspirer les gens.» 

Il ne suffit pas d’être dans un poste de leadership pour être le leader incontesté d’une équipe, prévient le général. Dans le cas d’un leadership formel, on le devient plutôt grâce à un mélange d’autorité reconnue et de contact à l’échelle humaine pour inspirer les autres.

Bien que les rôles de leadership classiques maintiennent encore une légitime hiérarchie militaire, M. Vance voit aujourd'hui une «déstratification» dans les opérations de combat. Historiquement, les forces terrestres menaient des opérations militaires. Pourtant, en Afghanistan, par exemple, chaque soldat avait la capacité d’agir et de réagir de lui-même, en contribuant «le plus horizontalement possible». Or la capacité de chacun de s’investir de façon qu’il juge la plus convenable vient renforcer le sentiment des soldats d’être des parties prenantes aux opérations. 

«La hiérarchie existe du point de vue des grades [...], mais je suis heureux de constater que, depuis 36 ans, nous apprenons de plus en plus à respecter le rôle de chacun.»

M. Vance considère d’ailleurs que les « nouvelles compétences», comme les tâches en lien avec les cyberopérations, bénéficient de structures plus horizontales parce qu’elles permettent une transmission rapide de l’information, accélèrent les temps de réaction et améliorent la précision, croit le général.

«Il est très rare que ce soit le général qui ponde (toutes les idées). Les meilleures idées sont souvent celles de gens (de grades inférieurs), parce que ce sont eux qui possèdent l’expertise.»

M. Vance ajoute qu’aucun général ou officier, quel que soit son grade, n’est capable d’être le meilleur dans tout. Le défi consiste plutôt à mettre à contribution le talent que l’on retrouve au sein de ses équipes afin de travailler de façon optimale. Voilà, selon lui, l’avantage de la déstratification des organisations. 

«J’ai toujours été entouré de leaders inspirants, qu’ils soient mes supérieurs, mes homologues ou mes subordonnés. Quand on est entouré de leaders, on obtient un milieu vraiment vivant et dynamique [...]»

Pour pouvoir reconnaître les gens les mieux adaptés aux différents rôles, l’armée forme ses membres par l’intermédiaire d’un programme de perfectionnement professionnel qui rivalise avec celui de bien des entreprises au pays. Ce programme prend les soldats dès leurs débuts au sein des forces armées et les accompagne pendant toute leur carrière pour qu’ils acquièrent les compétences nécessaires à leur prochain poste. Il enseigne le leadership à tous les échelons de l’organisation.

Maintenant que les organisations modernes cherchent à nourrir leur culture du leadership, le général Vance indique les nombreuses leçons que les entreprises peuvent apprendre de l’armée canadienne. La preuve que bien souvent, en affaires, les leçons ne se trouvent pas là où s’y attendrait.

Lien vers le podcast (en anglais seulement)

La présente entrevue est une version condensée et révisée de celle provenant de l’émission The CEO Series sur CJAD, animée par Karl Moore, professeur agrégé de l’Université McGill, et produite par Maria Power. Albert Le a également contribué à la rédaction de ce blogue. L’entrevue complète sera diffusée au cours de la plus récente saison de The CEO Series et en ligne ici.

À propos de ce blogue

Chaque semaine, Karl Moore, professeur agrégé à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, s’entretient avec des dirigeants d’entreprise de calibre mondiale au sujet de leur parcours, les dernières tendances dans le monde des affaires et l’équilibre travail-famille, notamment.

Karl Moore
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