[Photo : Julien Brault]
Salim Ismail, l’ambassadeur global de la Singularity University, considère que les organisations qui ont été conçues pour avoir du succès au 20e siècle sont condamnées à l’échec au 21e siècle. De passage à Montréal ce mercredi dans le cadre du Forum FinTech, Salim Ismail en a profité pour administrer un crash course sur les technologies émergentes à une audience, les professionnels de la finance à Montréal, qui ne soupçonnaient pas leur existence.
« De nombreuses industries passent d’un paradigme défini par la rareté à un nouveau défini par l’abondance, et l’ancien modèle d’affaires qui a fait votre succès n’est soudainement plus pertinent », a lancé Salim Ismail, un Indien d’origine ayant grandit à Montréal et fait carrière dans la Valley, où il a notamment vendu une start-up à Google.
En digne représentant de la Singularity University, Salim Ismail a résumé la thèse développée par le fondateur de l’université Ray Kurzweil (aujourd’hui directeur de l’ingénierie à Google) dans son livre The Singularity Is Near. En gros, l’auteur y faisait valoir que la courbe progression technologique, historiquement linéaire, était entrée dans une phase inéluctablement exponentielle. Il y exposait que la «loi» de Moore, selon laquelle la puissance des processeurs double tous les 18 mois, n’en était qu’une manifestation parmi tant d’autres, évoquant notamment la baisse exponentielle du coût de séquençage et les progrès rapides en matière d’intelligence artificielle.
Pour Salim Ismail, cette accélération du rythme de l’innovation ne peut qu’engendrer un environnement d’affaires de plus en plus changeant et de moins en moins propice aux organisations dont la structure est rigide. Toujours selon Salim Ismail, la structure organisationnelle de la grande entreprise, héritée du 20e siècle, ne serait pas adaptée à cette réalité. « Je trouve que, lorsque nous essayons de faire de l’innovation dans une grande organisation, son système immunitaire ne manque pas de nous attaquer », relève celui qui a déjà occupé le poste de vice-président de Yahoo, où il était responsable de l’usine à idées (Brickhouse) du géant déchu de la techno.
Salim Ismail soutient ainsi que ce sont les organisations dont la capacité d’adaptation est la plus grande qui sont appelées à prospérer au 21e siècle. Pour les investisseurs qui souhaiteraient miser sur ces organisations, Salim Ismail a parlé de la liste ExO Fortune 100, qui classe les 100 plus grandes entreprises américaines en fonction de leur «potentiel exponentiel». On y découvre ainsi que seuls 4 de ces 100 plus entreprises ont la note de passage, soit Google, Amazon, Apple et IBM.
Dans ce contexte, Salim Ismail espère que la Singularity University, qui offre de la formation pour cadres supérieurs, devrait permettre aux pdg de grandes organisations de prendre conscience du nouvel environnement dans lequel ils évoluent. « Nous consacrons 80 % de notre curriculum à enseigner le futur, a noté Ismail. C’est différent des universités traditionnelles qui, pour leur part, se contentent d’analyser le passé. »
Pour étayer son propos, Salim Ismail a évoqué que la fluidité accrue du trafic résultant de l’arrivée des voitures sans conducteur fera baisser les prix de l’immobilier dans les villes et que la baisse du coût de l’énergie solaire causera la perte des grandes pétrolières. Il a aussi soutenu que Red Bull ne devrait pas voir 5-hour Energy comme son compétiteur, mais s’inquiéter davantage d’une start-up comme Focus@will, qui offre de la musique qui améliorerait la concentration. De la même manière, il a fait valoir que les banques devraient pour leur part s’inquiéter du bitcoin, une cryptomonnaie qui pourrait rendre inutile la plupart des intermédiaires financiers.
Pour éviter de marcher dans les traces de Kodak, Salim Ismail propose aux dirigeants de créer de petites équipes pour développer des innovations ambitieuses et de les isoler de la structure organisationnelle. Il considère que c’est cette approche qui fait la force d’Apple, qui a créé de telles équipes isolées pour créer ses produits phares comme l'iPhone et l’iPad. Ce serait aussi celle de Google, où les innovations les plus intéressantes ne proviennent pas du vaisseau mère, mais d’une organisation parallèle baptisée Google X, qui est notamment à l’origine des voitures sans conducteur de l’entreprise.
À entendre les propos de Salim Ismail, on commence à mieux comprendre la restructuration récente de Google, dans la foulée de laquelle l’entreprise a été rebaptisée d’Alphabet. En effet, le logo de Google X se lit comme Google à la puissance X, reprenant donc le concept de potentiel exponentiel mis de l’avant par Salim Ismail. Et c’est sans compter que les deux fondateurs de Google sont des adeptes (et des financiers) de la Singularity University.
