Start-ups: condamnées à la rentabilité... ou à périr en 2016

Publié le 30/12/2015 à 06:05

Start-ups: condamnées à la rentabilité... ou à périr en 2016

Publié le 30/12/2015 à 06:05

Fidelity, un important gestionnaire de fonds, a déjà radié 25 % de la valeur de son investissement dans Snapchat. [Photo : Bloomberg]

PRÉVISIONS 2016– Je n’aurais jamais cru écrire l’une de ces lancinantes prophéties sur l’éclatement de la bulle techno. Mais voilà que, justement, la patiente, Mme Silicon Valley, est affligée de tous les symptômes. Je prévois donc que les valorisations des start-ups fléchiront en 2016 et que la rentabilité deviendra leur priorité numéro 1. Ça pourrait être bien pire, mais je vais me garder une petite gêne.

Commençons par les symptômes. Les valorisations des start-ups technos atteignent des sommets et l’immobilier résidentiel est rendu si cher aux alentours de San Francisco qu’on y loue des conteneurs pour 1000$US par mois. Et comme l’a noté le journaliste Nick Bilton dans Vanity Fair, les partys n’ont jamais été aussi décadents et les projets immobiliers, aussi ambitieux, dans la Silicon Valley.

Ce n’est pas tout. Alors qu’au sommet de la bulle de l’an 2000, des chauffeurs de taxi et des étudiants investissaient dans les titres technos à la mode, les investisseurs individuels n’ont pas investi dans Uber et cie, parce que ces entreprises ne sont pas négociées en Bourse. Or, de nombreux investisseurs institutionnels qui, comme les chauffeurs de taxi, n’ont pas d’expertise particulière en technologie, investissent désormais leur argent dans des start-ups technos.

La Government of Singapore Investment Corporation, par exemple, a investi dans Airbnb. Fidelity a investi dans Snapchat et BlackRock dans Uber. Même la Caisse de dépôt et de placement n’a pas pu s’empêcher d’investir dans Lightspeed, la start-up montréalaise dont la valorisation est la plus élevée.

Les valorisations excessives tirent à leur fin

On évoque souvent Pets.com, une animalerie en ligne, pour évoquer le paroxysme de la bulle de l’an 2000. Or, on parle quand même d’une société qui, à son sommet boursier, n’était valorisée qu’à 400 millions de dollars américains. À titre de comparaison, les marchés privés ont valorisé Uber et Snapchat, deux entreprises qui perdent de l’argent, à respectivement 50 milliards et 15 milliards. Uber est évaluée à 19 fois ce que vaut Bombardier(Tor., BBD.B) et Snapchat équivaut à 6 Bombardier.

Ces deux entreprises sont loin d’être isolées. Dans les faits, il y a dans le monde pas moins de 156 start-ups valorisées à plus d’un milliard, qu’on qualifie de licornes. Ensemble, ces licornes ont une valorisation sur les marchés privés de 578 milliards, ce qui équivaut à pas moins de 222 Bombardier.

Le caractère excessif des valorisations de ces licornes semble aller de soi dans certains cas. Par exemple, pensez-vous vraiment que le service de livraison de repas en kit (similaire à Cook It) Blue Apron vaut deux milliards de dollars, soit un Bombardier et des poussières?

Toutefois, ce n’est pas le seul bon sens qui me conduit à prédire qu’en 2016, les start-ups seront condamnées à être rentable ou à périr. Dans les faits, la dégringolade des valorisations a déjà commencé. Fidelity, un important gestionnaire de fonds, a  radié 25% de la valeur de son investissement dans Snapchat et 48% de celui qu’elle a fait dans Zenefits, un service en ligne de gestion des ressources humaines valorisé à 4,5 milliards de dollars américains.

Plus récemment, des rumeurs rapportées par le Wall Street Journal voulaient que Gilt Groupe soit acquise par le propriétaire de La Baie(Tor., HBC) pour 250 millions de dollars. Si elle se concrétise, cette transaction valoriserait le numéro 1 des ventes éclair aux États-Unis à 23% de la valorisation de 1,1 milliard que lui avait attribué sa dernière ronde de financement.

S’il n’y a pas de licorne au Québec, c’est un secret de polichinelle que Beyond The Rack, une concurrente montréalaise de Gilt Groupe ayant obtenu 98,6 millions de financement, a perdu beaucoup de valeur. La start-up montréalaise vaut selon toute logique bien moins que Gilt Groupe, qui a obtenu trois fois plus de financement et qui compte six fois plus d’employés.

Le portrait n’est pas plus rose du côté des start-ups qui ont récemment réalisé leur entrée en Bourse. Le géant du paiement Square, qui partage son pdg avec Twitter, était valorisé à six milliards par ses investisseurs privés. Or, lorsqu’elle a fait son entrée en Bourse en novembre dernier, elle l’a fait à une valorisation 42% moins élevée. Le titre a depuis remonté, valorisant Square à 4,1 milliards, ce qui représente encore une baisse de 31% par rapport à sa valorisation privée.

Ce à quoi il faut s’attendre

Il est difficile de prévoir comment les valorisations des technos renoueront avec la gravité et quel sera l’impact de la correction inévitable qui les attend. Le scénario pessimiste pourrait inclure une réaction en chaîne déclenchée par quelques fermetures de licornes, rendant soudainement les investisseurs institutionnels réticents à investir dans les fonds, et les fonds réticents à injecter de nouveaux capitaux dans les start-ups de leur portefeuille. Cette réaction en chaîne créerait un cercle vicieux de destruction de valeur, qui pourrait s’étendre jusqu’aux entreprises technos inscrites à la Bourse.

Malgré tout, même le scénario le plus pessimiste aurait l’air d’une tempête dans un verre d’eau par rapport à la bulle de l’an 2000, puisque les géants technos comme Google, Apple ou Cisco affichent des ratios cours-bénéfices raisonnables. Aussi, ce sont surtout des sociétés aux ratios cours-bénéfices très élevés comme Netflix, Amazon et Saleforce qui pourraient être vulnérables en Bourse.

Le scénario optimiste, quant à lui, pourrait limiter les dégâts aux licornes et à une poignée de start-ups dont la valorisation est excessive. Peu de start-ups fermeraient alors leurs portes, la plupart des licornes générant d’importants revenus. Ces licornes se mettraient alors à couper dans le gras et à rechercher la rentabilité plutôt que des parts de marché supplémentaires.

Dans ce contexte, le financement en capital de risque ne se tarirait pas, mais il y en aurait moins et les start-ups devraient accepter des valorisations moindres pour se financer. Un tel scénario épargnerait en partie le marché canadien, où les valorisations accordées aux start-ups sont moins élevées. Le choc se ferait donc sentir à Montréal et à Toronto, mais de manière moins brutale.

Selon moi, on assistera donc à un scénario plus proche du second en 2016, quoique la réalité devrait se trouver quelque part entre les deux. Dans les faits, les technologies n’évoluent pas dans une réalité isolée de l’économie globale, et des perturbations économiques causées par d’autres secteurs pourraient amplifier les dégâts, comme ce fut le cas en 2008, lorsque l’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis a entraîné ce qui commençait à ressembler à une bulle techno dans son sillage.

Dans tous les cas, une chose est certaine: les start-ups les plus rentables traverseront la tempête. Aussi, en 2016, être pdg d’une licorne sera moins cool que d’être pdg d’une start-up rentable.

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À propos de ce blogue

DE ZÉRO À UN MILLION est le blogue de Julien Brault, qui a fondé la start-up Hardbacon en juin 2016. L’ancien journaliste de Les Affaires relate ici chaque semaine comment il transforme une idée en entreprise. Dans ce blogue, Julien Brault dévoile notamment chaque semaine ses revenus. Une démarche sans précédent qui est cohérente avec les aspirations de Hardbacon, qui vise à aider les gens à investir intelligemment en faisant voler en éclat le tabou de l’argent. Ce blogue sera ainsi alimenté jusqu’à ce que Hardbacon, qui n’avait aucun revenu lors de la publication du premier billet, génère un million de dollars en revenu annuel.

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