UQTR: gouvernance étriquée + gestion rocambolesque = fiasco


Édition du 06 Juin 2015

UQTR: gouvernance étriquée + gestion rocambolesque = fiasco


Édition du 06 Juin 2015

Il est toujours inquiétant de voir arriver à un poste de haute responsabilité une personne sans expérience. C'est le risque qu'a pris le gouvernement du Québec en nommant à la tête de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) une rectrice, dont l'expérience en gestion se résumait essentiellement à la direction d'une chaire de recherche.

La nomination de Nadia Ghazzali avait été recommandée par le conseil d'administration (CA) de l'UQTR, mais ce n'était pas un gage de réussite, puisque celui-ci était surtout formé de personnes sans grande expérience en gouvernance. Un projet de loi a déjà été préparé pour renforcer la gouvernance des universités, mais celui-ci a malheureusement été abandonné en raison de l'opposition de leurs dirigeants, qui sont très protecteurs de leur indépendance.

Sitôt nommée, la rectrice a rencontré les dirigeants des principales instances de l'institution, ce qui est bien. Toutefois, elle a annoncé quelques mois plus tard une réforme administrative sans plan d'action et sans avoir, au préalable, évalué la situation. Le CA a approuvé cette réforme, qui a été mal accueillie. Deux semaines plus tard, celui-ci a mandaté une firme externe pour poser un diagnostic sur le climat organisationnel. Le CA a adopté un plan d'action comprenant 25 mesures, mais seulement 7 d'entre elles avaient été mises en place un an et demi plus tard. Aucun document de suivi n'aurait été déposé au CA.

Des manquements graves à l'éthique

En parallèle, la rectrice a voulu transférer à l'UQTR la chaire de recherche qu'elle dirigeait à l'Université Laval. Face à un premier refus du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRNSG), elle a modifié à l'insu d'une vice-rectrice une lettre de recommandation de cette dernière de manière à la rendre plus positive et en y ajoutant un engagement de 900 000 $ de l'UQTR, et ce, sans autorisation préalable du CA. Informé de ces gestes, le comité d'éthique et de déontologie du CA a qualifié ces manquements de graves et a recommandé une sanction de la part du CA. Il s'en est suivi beaucoup de négociations et l'entrée en scène de plusieurs avocats (celui de la rectrice a facturé 134 000 $). À la fin, le CRSNG a fini par accepter le transfert.

Autre indication de cette gouvernance étriquée, le CA s'est souvent satisfait de documents incomplets. Il est composé majoritairement de membres provenant de l'UQTR, ce qui semble la règle dans la plupart des universités. Quant au président du CA, Yves Tousignant, il prétend qu'il n'a pas à respecter le Règlement sur l'éthique et la déontologie des administrateurs publics. Pas étonnant qu'il ait soutenu les bévues administratives et les manquements à la saine gouvernance de sa rectrice.

Péripéties immobilières

À l'instar de l'UQAM, l'UQTR a aussi vécu des aventures immobilières rocambolesques.

Le projet de campus de Drummondville de l'UQTR a été démarré sans étude sérieuse de la clientèle et sans plan d'affaires. Au lieu d'envisager une installation dans les locaux du cégep, on a préféré un nouvel immeuble. La Ville est propriétaire du bâtiment, dans lequel l'UQTR s'est engagée par bail pour 25 ans. Au départ, c'est l'université qui dirigeait et qui assumait la plupart des risques. Estimé à 24 M$, ce projet a connu plusieurs rebondissements, et c'est grâce au ministère des Finances que les risques de l'UQTR ont été atténués. Dès le début de cette aventure, le CA a autorisé l'octroi de contrats de services professionnels sans avoir obtenu au préalable l'aval des ministères des Finances et de l'Éducation. À la suite de plusieurs refus du projet par les fonctionnaires et de renégociations avec la Ville de Drummondville afin de réduire le risque associé au bail, le projet a été autorisé le 22 septembre 2014.

D'autres projets immobiliers mal planifiés ont affronté des difficultés, et deux ont été arrêtés. Le plus important prévoit la construction d'un centre sportif comportant deux glaces, qui ne seraient utilisées qu'à 7 % par l'UQTR, qui deviendrait alors un entrepreneur. Le CA en a approuvé la réalisation au coût de 53 M$, mais comme aucune subvention n'a été octroyée par Québec, le projet est paralysé. Dans plusieurs investissements immobiliers, les besoins ont été mal ciblés et le CA a pris des décisions en étant mal informé.

Plusieurs intervenants sont à blâmer pour les déboires de l'UQTR : la rectrice elle-même, son président du conseil, qui s'est écrasé devant elle, la composition déficiente du CA, le gouvernement du Québec (choix de la rectrice, suivi déficient) et l'UQ (contrôle insuffisant).

Il aura fallu une enquête du vérificateur général pour confirmer les allégations de mauvaise gestion et obtenir les démissions de la rectrice et du président du conseil le 27 mai.

Concluons sur une note positive. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, a prévu que les CA des nouveaux centres intégrés de santé et de services sociaux seront formés majoritairement d'administrateurs indépendants et que ces derniers seront rémunérés. Québec devrait faire de même en ce qui concerne les universités.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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