Santé : l'argent n'est pas le problème


Édition du 08 Octobre 2016

Santé : l'argent n'est pas le problème


Édition du 08 Octobre 2016

[Photo : Shutterstock]

Une partie de bras de fer s'annonce entre la ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, et ses homologues des provinces. Et ce n'est pas sans surprise que le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, Gaétan Barrette, a affiché son côté bagarreur pour passer à l'attaque.

Le ministre a accusé «Ottawa de faire une diversion». Qualifiant la proposition fédérale de «piège», il a dit qu'il se battra «jusqu'à la mort» pour que l'argent d'Ottawa soit transféré sans condition. M. Barrette faisait référence aux trois milliards de dollars que la ministre fédérale a proposé de verser en quatre ans pour les soins à domicile, tel que promis en campagne électorale l'an dernier.

L'enjeu principal du conflit est la volonté du gouvernement fédéral de réduire à 3 % le taux de croissance annuel des transferts fédéraux à compter de 2017 et dans les années suivantes, au lieu de leur hausse annuelle de 6 % depuis 2004.

Il est facile de comprendre que la réduction du taux de croissance des transferts fédéraux ne fasse pas l'affaire des provinces, et ce, au moment où la population vieillit rapidement en raison du passage à la retraite des baby-boomers. Les personnes de 65 ans et plus représenteront près du quart de la population canadienne en 2035, par rapport à 16 % en 2015. Or, on sait que les coûts de santé liés aux aînés augmentent avec leur âge.

Le ministre Barrette a raison sur deux aspects : 1. puisque la santé est une compétence provinciale, selon la Constitution, il est inapproprié que le fédéral impose ses conditions à la façon dont les budgets seront alloués ; 2. puisque le vieillissement de la population québécoise se fera à un rythme accéléré en raison des taux de natalité très élevé dans les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, la pression sur les coûts de santé s'y fera sentir davantage. M. Barrette a rappelé qu'en vertu du principe du fédéralisme asymétrique, qui a été reconnu en 2004, les provinces et les territoires peuvent bénéficier d'ententes particulières avec Ottawa dans le domaine de la santé.

Pour sa part, la ministre Philpott a bien raison de dire que l'argent n'est pas la seule solution aux problèmes du système de santé.

Un système à réparer

Voici six faits qui démontrent la mauvaise gestion du système de santé du Québec :

1. Grâce à Gaétan Barrette lui-même, qui a été président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec de 2008 à 2014, les spécialistes du Québec gagnent maintenant plus cher que leurs collègues de l'Ontario, où le coût de la vie est de 12 % supérieur, selon l'économiste Pierre Fortin. Selon un calcul d'Alain Dubuc de La Presse, si on applique cet écart de 12 %, la rémunération moyenne des spécialistes québécois aurait dû être de 317 491 $ en 2015, soit 98 823 $ de moins que le paiement moyen en équivalent temps plein de 416 314 $ qu'ils ont reçu. Cet écart a coûté à l'État plus de 500 millions de dollars. Pourtant, celui-ci risque fort de perdurer. Aucune entreprise privée ne tolérerait un tel écart dans la rémunération de ses employés québécois et ontariens.

2. Le ministre Barrette vient de dire qu'il y a 2 000 médecins de trop au Québec, mais qu'il attendra un peu avant de réduire les admissions dans les facultés de médecine. De toute façon, sa promesse d'un médecin de famille pour toutes les familles québécoises ne sera pas remplie. Et n'est-il pas plus important de permettre aux gens de se faire soigner quand ils sont malades et de bien suivre les personnes à risque que d'imposer des examens de routine à des gens en santé ?

3. Les médecins du Québec craignent de perdre des actes médicaux au profit des infirmières praticiennes spécialisées, qui sont beaucoup plus nombreuses ailleurs au Canada. Malgré le fait qu'il y a eu entente sur leur formation, on en forme toujours très peu, faute d'avoir débloqué un budget pour ce faire. Contrairement à ce qui se produit ailleurs, on ne leur permet pas de poser des diagnostics et de prescrire certains traitements. Comme ces infirmières coûtent moins cher que les médecins, elles pourraient soulager les coûts du système de santé. Mais ce n'est pas le cas.

4. La Régie de l'assurance maladie du Québec manque de rigueur dans le contrôle des factures des professionnels de la santé. C'est ce qui explique en partie qu'un chirurgien de La Sarre a gagné jusqu'à 1,5 M$ par année depuis huit ans en opérant essentiellement le soir et la nuit, où les primes sont plus élevées.

5. Le médecin est un travailleur autonome, ce qui rend difficile l'encadrement de son travail en milieu hospitalier.

6. Il y a relativement plus de médecins au Québec qu'en Ontario, où l'accès aux soins est facile. Néanmoins, ceux du Québec effectuent moins de services et le coût de chaque service y est plus élevé. Pourquoi est-ce le cas ?

Le ministre Gaétan Barrette a un gros ménage à faire en vue d'améliorer l'efficacité de notre système de santé. Il obtiendrait plus crédibilité auprès de la population si l'on voyait des résultats en ce sens. Malheureusement, cela n'arrivera pas, pour les raisons suivantes : 1. la rémunération à l'acte, qui est une vache sacrée, incite à la surconsommation de soins ; 2. les médecins ont trop de poids dans la gestion du système ; 3. on mesure peu nos coûts et on évite de se comparer aux autres.

N'est-il pas difficile, dans ce contexte, d'accuser les pressions exercées par Ottawa ?

J'aime

Le gouvernement canadien a déposé un projet de loi afin de permettre aux actionnaires de voter pour ou contre l'élection des administrateurs des sociétés par actions incorporées en vertu de la loi fédérale. Actuellement, les actionnaires n'ont que deux choix : voter pour la liste proposée ou s'abstenir. Le principe du projet de loi est sain, mais il faudra contrer les stratégies à court terme des activistes et des actionnaires qui ne font que passer.

Je n'aime pas

Les gouvernements «dorment au gaz» à propos de l'iniquité fiscale causée par le commerce transfrontalier sur les détaillants qui ont pignon sur rue. Au Québec, ils emploient 480 000 personnes et perçoivent plus de 13 G$ en taxes de vente. Pourtant, le commerce électronique gruge notre assiette fiscale et met à risque notre capacité de financer nos programmes sociaux.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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