Rémunération des pdg : une action concertée s'impose


Édition du 16 Janvier 2016

Rémunération des pdg : une action concertée s'impose


Édition du 16 Janvier 2016

Quand il est devenu président exécutif et chef de la direction de BlackBerry en novembre 2013, John Chen a reçu 13 millions d'actions du fabricant ontarien de téléphones intelligents. Celles-ci sont encaissables sur cinq ans. À 10 dollars américains l'action, cette prime avait une valeur de 130 millions de dollars américains. M. Chen arrivait de la Californie, où la rémunération incitative est démesurée. Il avait dirigé pendant 15 ans et avec grand succès Sybase, vendue à SAP pour 5,8 milliards de dollars américains.

Pour l'exercice terminé le 28 février 2014, M. Chen a reçu une rémunération de 89,7 M$, essentiellement formée de la valeur des actions obtenues trois mois auparavant.

Un an plus tard, soit le 28 février 2015, M. Chen aurait reçu un pactole de 147 M$ US (environ 200 M$ CA), s'il avait mis fin à son emploi (la période de détention de cinq ans aurait été annulée). Cette somme aurait surtout été composée des actions reçues (140 M$ US), de son salaire (2 M$ US) et d'un bonus (4,8 M$ US).

C'est énorme, mais c'est la rémunération que le conseil d'administration a jugé bon de donner à M. Chen pour le convaincre de tenter de relever BlackBerry, qui connaissait alors d'importantes pertes de parts de marché face à Samsung (Galaxy) et à Apple (iPhone).

L'ampleur de cette rémunération indique aussi à quel point un conseil d'administration juge primordiale la contribution d'un président et chef de la direction (pdg) au succès d'une entreprise et accorde de l'importance à la rémunération incitative sous forme d'actions.

Un système incontrôlable

Cet exemple est particulier, certes, mais il illustre à quel point le système de rémunération des pdg est devenu incontrôlable. Ce système est manipulé à la fois par les pdg, qui sont de plus en plus motivés par l'argent, par les conseillers spécialisés, qui développent des formules de plus en plus complexes que bien des administrateurs ne comprennent même pas, et par les conseils d'administration qui ne veulent pas prendre le risque de démotiver leur pdg.

Dans l'étude qu'il vient de publier («Staying Power») sur la rémunération des 100 plus importants chefs de la direction canadiens, le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) a établi à 8,96 M$ la rémunération moyenne de ceux-ci en 2014.

Ce revenu s'est accru de 22 % depuis 2008, alors que celui du salarié moyen n'a augmenté que de 11 %. C'est dire que la rémunération des pdg creuse sans cesse son écart non seulement par rapport à celle de l'ensemble des autres salariés, mais aussi par rapport à celle des autres cadres supérieurs des sociétés, comme l'a démontré une étude de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP), publiée en 2012 sous la direction du professeur Yvan Allaire. Cette étude a aussi révélé que le rapport entre la rémunération des pdg est passée de 60 fois le salaire moyen des employés du secteur privé canadien en 1998 à 150 fois en 2010. Selon le CCPA, le revenu moyen des 100 pdg les mieux payés en 2014 représentait plutôt 184 fois celui de l'ensemble des employés. Au rythme où progresse cette tendance, on ne peut pas voir où elle s'arrêtera.

Les mythes

Il est vrai que la performance d'une entreprise dépend beaucoup de son pdg. Certes, celui-ci doit être compétent et inspirant, mais lier l'essentiel de sa rémunération au prix de l'action en Bourse encourage des stratégies à court terme (rachats d'actions, abolitions de postes, acquisitions, etc.) et néglige des facteurs de réussite comme l'éthique, l'engagement des employés, l'innovation, etc. De plus, le prix de l'action en Bourse dépend aussi de la conjoncture économique, du secteur d'activité de la société et même de la chance.

On compare souvent le pdg à une vedette sportive, dont le salaire dépend du marché. Cependant, ce dernier n'a que sa carrière à gérer, alors qu'un pdg doit s'occuper d'une armée de salariés, de milliers d'actionnaires et d'autres parties prenantes. Ce qui lui est donné a été pris aux autres.

On compte sur le fait que les salariés et la société acceptent l'inégalité des revenus propre au système capitaliste. Pourtant, il y a une limite à étirer l'élastique. Occupy Wall Street a fait long feu en 2011, mais ne jouons pas à l'autruche.

Que faire ?

Yvan Allaire, de l'IGOPP, a parlé de «noeud gordien» pour décrire le système de rémunération des pdg. Henry Mintzberg, de McGill, l'a qualifié de «corruption légale». Roger Martin, ex-doyen de la Rotman School of Management, le décrit comme «criminellement stupide».

Tout le monde a un examen à faire face à cet enjeu : les conseils d'administration doivent travailler à l'élimination des options et des actions ; l'État doit réduire ou éliminer l'avantage fiscal des options ; les actionnaires doivent s'exprimer davantage ; les conseillers en rémunération doivent inventer des incitatifs créant de la valeur pour l'entreprise et non pour le pdg.

J'aime

Le premier ministre Justin Trudeau veut négocier un accord de libre-échange avec la Chine sur le modèle de celui qu'a conclu l'Australie et qui a supprimé les droits de douane sur plus de 85 % des exportations de ce pays vers la Chine. Selon The Globe and Mail, un groupe de travail comprenant l'ex-premier ministre australien Kevin Rudd a été formé à cette fin. M. Trudeau veut diriger deux grandes missions commerciales en Chine et en Inde avec les provinces et de grandes sociétés.

Je n'aime pas

Des pressions s'exercent sur le fédéral pour que celui-ci autorise la distribution au Canada de services financiers compatibles avec la charia, qui interdit l'intérêt. Une telle autorisation permettrait à des banques islamistes d'offrir à des communautés musulmanes des services et du financement hypothécaire qui pourraient les isoler encore davantage.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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