Oui à la technologie d'Uber, non à la concurrence déloyale


Édition du 13 Février 2016

Oui à la technologie d'Uber, non à la concurrence déloyale


Édition du 13 Février 2016

Les technologies qui font épargner temps et argent ont un énorme pouvoir d'attraction. C'est le cas des applications d'autopartage d'Uber Technologies (établie à San Francisco, mais incorporée au Delaware, l'État le plus accommodant pour les sociétés), qui mettent en relation une personne qui a besoin d'un transport et le propriétaire d'une voiture.

La prise de contact, la transaction et le paiement se font électroniquement au moyen d'un téléphone cellulaire. Fondée en 2009, Uber est présente dans environ 350 villes de 60 pays. Son modèle d'entreprise est une menace à l'industrie du taxi et même au transport en commun, que visent les applications UberPool et Uber-Hop.

La concurrence est saine lorsqu'elle profite aux consommateurs et que tous les acteurs d'une industrie bénéficient des mêmes conditions de marché. Par contre, dans la mesure où Uber utilise sa technologie et un modèle d'entreprise pour livrer une concurrence déloyale à ses rivales, il est légitime de s'interroger sur ses pratiques. La consultation que vient d'annoncer Québec est judicieuse. Elle dégagera des solutions qui mettront tous les acteurs de l'industrie sur le même pied.

L'application UberX permet à des particuliers de travailler au noir, c'est-à-dire de faire du taxi avec leur propre voiture sans permis, sans formation pour ce travail et sans détenir une assurance responsabilité pour cette activité. Ils ne perçoivent ni TPS ni TVQ. Les paiements sont faits électroniquement à une filiale enregistrée aux Pays-Bas, Uber B.V. Les chauffeurs, qui reçoivent normalement 80 % du prix d'une course, assument toutes leurs dépenses. Dans plusieurs villes des États-Unis, leur revenu net serait inférieur au salaire minimum après avoir pris en charge toutes les dépenses relatives à ce travail. Ils sont responsables de fournir leur déclaration de revenus à l'État et de payer leurs impôts.

Uber est une énorme machine. Elle aurait déjà recueilli quelque 10 milliards de dollars américains, et sa valeur commerciale dépasserait les 60 G $ US (82 G $ CA).

Certains courtiers de New York vendent des parts d'Uber à des clients fortunés triés sur le volet, qui spéculent sur une entrée en Bourse de la société à une valeur supérieure. Ceux-ci n'achètent pas des actions d'Uber, mais des unités de fonds qui détiennent, eux, les actions d'Uber. On limite ainsi le nombre d'actionnaires directs et on évite l'obligation de divulgation d'informations financières, qui sont rarissimes.

Uber a été structurée pour éviter le fisc au maximum. Selon un dossier de Fortune, la société américaine a enregistré aux Pays-Bas une filiale, Uber International C.V., qui lui paie un droit et une redevance pour l'usage de sa propriété intellectuelle. Ce droit et cette redevance, qui sont minimes, sont les seuls revenus de la société mère américaine, Uber Technologies, qui ne paie ainsi à peu près pas d'impôt.

La filiale Uber International C.V., qui n'emploie personne, a son siège social aux Bermudes, où il n'y a pas d'impôt sur les bénéfices. Cette filiale reçoit elle-même une redevance d'Uber B.V., la filiale qui s'occupe des transactions. Cette dernière redevance, qui représente l'essentiel des profits de la constellation Uber, n'est pas taxable aux Pays-Bas.

Uber imite ainsi d'autres sociétés de la Silicon Valley, qui sont devenues des spécialistes des techniques d'évitement fiscal.

Il faut un encadrement rigoureux

Compte tenu de la concurrence déloyale d'Uber, le gouvernement du Québec doit encadrer avec rigueur son mode de fonctionnement et protéger l'industrie du taxi, comme vient de le faire la Ville d'Edmonton. Voici certains éléments qu'il faut prendre en compte :

> établissement de la compétence des chauffeurs (permis de conduire adéquat, absence d'antécédents judiciaires, formation, etc.) ;

> détention d'une police d'assurance adéquate ;

> perception de la TPS et de la TVQ ;

> vérification du revenu net des chauffeurs, comme on le fait pour les salariés touchant des pourboires ;

> fixation d'un prix plancher pour un trajet pour éviter une concurrence déloyale ;

> paiement d'un droit d'exercice par Uber ;

> contribution d'Uber à un fonds de rachat de permis de taxis. Il faut protéger cette industrie essentielle au maintien d'une saine concurrence ;

> clarification du statut des chauffeurs. Sont-ils des entrepreneurs comme le prétend Uber ? Ou seraient-ils plutôt des employés, auquel cas ils pourraient se syndiquer (comme à Seattle) ?

Uber est fortement contestée dans de nombreuses villes de plusieurs pays, surtout en raison de son modèle d'entreprise et parce qu'elle traite les chauffeurs durement. Elle refuse que des villes exigent des empreintes digitales pour vérifier les antécédents judiciaires des chauffeurs.

On ne doit pas rejeter une technologie qui facilite la vie des consommateurs. Par contre, il est inacceptable que cette technologie donne à une entreprise un avantage concurrentiel qui favorise le travail au noir et qui ne respecte pas le contrat social liant l'État et ses citoyens.

Nous n'avons pas besoin d'une autre multinationale qui a mis l'évitement fiscal au coeur de sa stratégie d'affaires.

J'aime

Ottawa a confirmé qu'il adoptera une position flexible dans le financement des projets d'infrastructures réalisés en coopération avec les provinces et les municipalités. Autrement dit, il paiera une part plus élevée que les autres gouvernements du coût des projets. Selon la formule actuelle, chaque ordre de gouvernement paie le tiers de la facture.

Je n'aime pas

Les dizaines de millions de dollars qu'encaissera le président et chef de la direction de Rona, Robert Sawyer, à la suite de la vente de l'entreprise à l'américaine Lowe's, s'expliquent par le système de rémunération des hauts dirigeants. Ce système est surtout basé sur l'octroi d'options d'achat et d'actions de Rona. Il incite la direction à créer de la valeur surtout pour les actionnaires, donc pour eux-mêmes, plutôt que pour la société elle-même et l'ensemble de ses parties prenantes.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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