On ne peut pas porter rapidement le salaire minimum à 15 $ de l'heure


Édition du 14 Octobre 2017

On ne peut pas porter rapidement le salaire minimum à 15 $ de l'heure


Édition du 14 Octobre 2017

Des syndicats et des groupes sociaux du Québec ont repris leur campagne pour faire augmenter le salaire minimum à 15 $.

Cette offensive s'inspire d'un mouvement qui a débuté sur la côte ouest des États-Unis, où au moins trois villes, soit Los Angeles, San Francisco et Seattle, ont introduit un salaire minimum de 15 $. Ce mouvement a atteint l'Alberta, où le gouvernement néo- démocrate de Rachel Notley a décidé de faire passer le salaire minimum de 13,60 $ actuellement à 15 $ le 1er octobre 2018. C'est approprié puisque ce dernier représentera alors 50 % du salaire horaire moyen albertain.

En Colombie-Britannique, le Parti néo-démocrate, qui vient de prendre le pouvoir, a promis de faire de même en 2021. Les syndicats lui ont récemment rappelé cet engagement.

Chez nous, le gouvernement de Phillippe Couillard n'est pas insensible à cet enjeu, ayant déjà décrété que le salaire minimum passerait de 11,25 $ actuellement à 11,75 $ en mai 2018, puis à 12,10 $ en mai 2019 et à 12,45 $ en mai 2020, mais sans dépasser la cible de 50 % du salaire horaire moyen, comparativement à 47 % actuellement.

Ce gradualisme est justifié, même si les milieux syndicaux et sociaux mettent de la pression pour arriver plus rapidement à 15 $ l'heure. Ce taux, qui est devenu une sorte de symbole, n'est pas réaliste pour tous les États. Selon la plupart des économistes, le salaire minimum ne doit pas franchir le ratio de 50 % du salaire horaire moyen si l'on ne veut pas réduire indûment le taux d'emploi.

Comme l'a montré l'économiste Pierre Fortin, le taux d'emploi évolue en sens inverse du ratio du salaire minimum sur le salaire horaire moyen. Autrement dit, plus on augmente le salaire minimum, plus il se perd d'emplois dans les entreprises et les commerces qui peinent à survivre.

L'enjeu principal est donc de déterminer le taux optimal du salaire minimum pour assurer un certain revenu aux travailleurs au bas de l'échelle et maintenir un bon niveau d'emploi dans l'économie. Il est utile de rappeler, comme l'ont fait récemment les économistes Stéfane Marion et Matthieu Arseneau de la Banque Nationale du Canada, que la hausse du salaire minimum à 54,2 % du salaire horaire moyen au Québec en 1975 a fait augmenter de six points de pourcentage, à 19,5 %, le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans entre janvier 1976 et décembre 1977. En comparaison, le taux de chômage du même groupe d'âge est demeuré relativement stable, à 13 %, au cours de la même période en Ontario, où le ratio du salaire minimum sur le salaire moyen était de 40,9 %.

Contre-indiqué au Québec et en Ontario

Contrairement à l'Alberta, une hausse à 15 $ du salaire minimum au Québec et en Ontario ferait passer à environ 60 % le ratio du salaire minimum sur le salaire horaire moyen. Toutefois, cette perspective ne semble pas freiner l'ambition de la première ministre ontarienne Kathleen Wynne de faire passer le salaire minimum de 11,60 $ actuellement à 14 $ en janvier 2018 et à 15 $ un an plus tard, soit une hausse de 32 % en 18 mois (de septembre 2017 au 1er janvier 2019). Cette promesse vient sans doute du fait que son parti tire de l'arrière dans les sondages à moins d'un an de la tenue d'élections générales.

Selon une étude récente du Bureau de la responsabilité financière de l'Ontario (BRFO), une hausse aussi rapide du salaire minimum ferait perdre 50 000 emplois nets à l'économie de la province. Ce chiffre représente l'écart entre les 65 000 emplois qui seraient perdus ou non créés et les 15 000 emplois qui seraient créés par la croissance des dépenses de consommation qui résulterait de la hausse du salaire minimum et de son effet d'entraînement sur d'autres salaires dans les échelles de rémunération. Pour leur part, des économistes des banques TD et Nationale ont estimé à 90 000 et à 124 000 respectivement le nombre d'emplois perdus et non créés si Mme Wynne réalise son engagement. Pour le Québec, Pierre Fortin avait estimé l'an dernier à 100 000 le nombre d'emplois perdus en raison d'une hausse du salaire minimum d'une moyenne de 10,68 $ en 2016 à 15 $ en un an.

C'est pourquoi une hausse rapide du salaire minimum, aussi désirable qu'elle puisse paraître à première vue, produit certains effets pervers. Elle encourage le décrochage scolaire. Elle se répercute dans les échelles de salaires des personnes gagnant plus de 15 $ l'heure, ce qui accroît les coûts des entreprises. Les salariés les plus menacés sont ceux qui sont le moins expérimentés et qui occupent des emplois précaires.

Une hausse du salaire minimum fait monter les prix. Selon le BRFO, une hausse de 27 % du salaire minimum ontarien augmenterait l'indice des prix à la consommation de 0,5 % dans la province.

Tout cela tend à montrer qu'une hausse rapide et désordonnée du salaire minimum n'est pas le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté et les inégalités. La politique fiscale et l'aide à l'emploi sont de meilleurs outils.

J'aime
Le projet de loi sur l'encadrement du secteur financier prévoit donner à la Fédération des caisses Desjardins le pouvoir d'«ordonner à une caisse d'adopter et d'appliquer un plan de redressement conforme à ses directives», s'il est constaté qu'une «caisse ne suit pas des pratiques de gestion saine et prudente ou de saines pratiques commerciales» ou que «sa situation financière est insatisfaisante».

Je n'aime pas
Selon la fiscaliste Marwah Rizqy, de l'Université de Sherbrooke, nos gouvernements perdront 100 millions de dollars de recettes fiscales en 2017 s'ils n'exigent pas que Netflix perçoive la TPS et la TVQ sur ses ventes. Au Québec, la perte sera de 27 M$. Le manque à gagner sera encore plus grand en tenant compte des ventes de Google, de Facebook et d'autres sociétés étrangères. Mme Rizqi suggère à Québec de taxer les ventes de Netflix au taux combiné de 15 %, soit celui payé par Club illico et Extra Tou.tv.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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