La pénurie de main-d'oeuvre, un enjeu électoral dont on parle trop peu


Édition du 15 Septembre 2018

La pénurie de main-d'oeuvre, un enjeu électoral dont on parle trop peu


Édition du 15 Septembre 2018

Des entreprises perdent des revenus parce qu’elles ne trouvent pas les employés requis pour répondre à la demande. [Photo : 123RF]

Comme le veut la détestable tradition électorale, les promesses s'empilent dans un désordre indescriptible.

Clientélisme oblige, tout est mis en oeuvre pour séduire le maximum d'électeurs. Malheureusement, rien n'est hiérarchisé, ce qui contribue à la confusion.

Un enjeu mérite pourtant que les partis qui sollicitent notre vote s'y arrêtent de façon prioritaire : la pénurie de main-d'oeuvre.

Reconnaissons néanmoins au gouvernement Couillard d'avoir publié en mai dernier une stratégie nationale sur la main-d'oeuvre, laquelle comprend 47 mesures visant à mieux préparer les personnes aux besoins du marché du travail. Budget sur cinq ans : 1,3 milliard de dollars, dont 802 millions pour accroître l'attractivité des travailleurs, les intégrer à l'emploi et soutenir les employeurs à les recruter et à les retenir. On a trop longtemps négligé la rétention, qui est pourtant plus facile et surtout beaucoup moins coûteuse que le recrutement.

La stratégie prévoit 395 M$ pour le développement des compétences ainsi que pour les stages, et 63 M$ pour l'adaptation des milieux de travail (conciliation travail-famille-études) et la qualité de vie au travail. Enfin, on envisage de consacrer 78 M$ à la diffusion d'informations visant à valoriser les métiers et les professions, et à mieux faire connaître les besoins de main-d'oeuvre. La stratégie n'a pas oublié les régions.

Sans être mirobolantes, ces sommes peuvent donner un sérieux de pouce aux employeurs, qui ont à faire leurs devoirs pour former et retenir leur main-d'oeuvre, la mobiliser et améliorer la qualité de vie au travail. Par exemple, il est sidérant de constater que près de 60 % des entreprises, et surtout les plus petites, sont réticentes à embaucher des immigrants et des retraités pour satisfaire leurs besoins de main-d'oeuvre, selon un sondage fait auprès de 1 208 entrepreneurs canadiens pour la Banque de développement du Canada (BDC). Il est probable que cette réticence soit semblable au Québec.

Selon ce même sondage, 37 % des entrepreneurs québécois interrogés ont qualifié de «difficile» l'embauche d'employés. Cette proportion monte à environ 55 % dans le secteur manufacturier et chez les détaillants.

Situation très sérieuse

La pénurie de main-d'oeuvre est bien réelle. Des entreprises perdent des revenus parce qu'elles ne trouvent pas les employés requis pour répondre à la demande. Des PME du secteur de la technologie n'arrivent pas à concurrencer les géants de l'intelligence artificielle qui s'installent à Montréal et qui ont des moyens beaucoup plus importants pour recruter et retenir leurs salariés.

Cette situation pourrait se transformer en crise si, comme société, nous ne nous mobilisons pas davantage quant aux besoins à venir. On évalue en effet à 1,3 million le nombre de postes qui seront à pourvoir au Québec au cours des 10 prochaines années. Le gouvernement estime que 54 % de ces emplois seront occupés par des jeunes, 22 % par des immigrants, 12 % par un accroissement du taux d'activité des 15-64 ans, et 7 % par les 65 ans et plus. Comme quoi, tant le gouvernement que les employeurs et les institutions d'enseignement doivent activer tous les leviers à leur disposition et solliciter leur créativité pour mieux arrimer l'offre de main-d'oeuvre aux besoins du marché.

Une démographie inexorable

Cet enjeu a pour fondement l'inexorable déclin relatif de la population en âge de travailler.

Selon l'Institut de la statistique du Québec, le nombre de personnes de 65 ans et plus doit passer de 1,5 million en 2016 à 2,3 millions en 2031, soit des proportions respectives de 18 % et de 25 % de la population totale. Cela signifie que les non-travaillants (les jeunes et les personnes âgées) pèseront de plus en plus lourd sur les dépenses de santé de l'État et le fardeau fiscal des particuliers et des entreprises, qui créent la richesse d'une société.

Puisque 22 % des besoins de main-d'oeuvre doivent être comblés par l'immigration, il va sans dire que la contribution des immigrants sera encore plus stratégique.

Alors que les milieux d'affaires réclament de porter à 60 000 le nombre de nouveaux immigrants par année, le Parti libéral vise un objectif de 50 000, alors que la CAQ en a un de 40 000. C'est trop peu, car c'est rêver en couleur de penser qu'un gouvernement caquiste réalisera son objectif de rétention de 100 %. Si on y consacre les efforts voulus, on peut faire plus et mieux pour recruter et surtout pour retenir les immigrants, chez qui le taux de chômage s'établit à 6,7 %, comparativement à 6,3 % pour les autres Canadiens, selon la BDC. Fait encourageant, cet écart se réduit d'année en année.

Tout en demeurant généreux à l'égard des réfugiés et sur le plan de la réunification des familles, il nous faut mieux cibler les immigrants économiques en fonction des besoins réels des employeurs, recruter plus d'entrepreneurs, d'investisseurs et d'étudiants étrangers.

Enfin, tout en reconnaissant la nécessité de mieux intégrer les immigrants, il nous faut aussi reconnaître que la diversité culturelle est une grande richesse pour notre collectivité.

 

J’aime
Selon des documents de réflexion préparés pour le gouvernement Trudeau, on suggère de permettre aux Canadiens d’obtenir des crédits d’impôt pour leur travail bénévole. Une telle mesure encouragerait le bénévolat, qui permet de rendre des services inestimables dans de nombreux secteurs, tels que l’éducation, la santé, le travail social et les arts.

Je n’aime pas
Les chèques de pension envoyés aux 18 000 retraités de Sears Canada ont été amputés de 30 % en raison du déficit de leur caisse de retraite au moment de la faillite de Sears Canada, en 2017. C’est un scandale, les gouvernements canadiens n’ayant pas su protéger les retraites de ces salariés, alors que l’actionnaire principal de Sears a, au fil des ans, encaissé des milliards de dollars en vendant des filiales, des immeubles et autres actifs qui avaient une grande valeur, ne laissant au liquidateur que la marchandise en magasin.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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