La Cour suprême pourrait casser le protectionnisme des provinces


Édition du 16 Décembre 2017

La Cour suprême pourrait casser le protectionnisme des provinces


Édition du 16 Décembre 2017

[Photo : 123RF]

En octobre 2012, Gérard Comeau, retraité du Nouveau-Brunswick, se fait arrêter par la GRC après avoir traversé un pont reliant Pointe-à-la-Croix et Campbellton. Il a en sa possession 14 caisses de bière et trois bouteilles de spiritueux. C'est supérieur à la limite permise par la Loi sur la réglementation des alcools du Nouveau-Brunswick, qui fixe à 18 bouteilles de bière et à une bouteille de vin ou de spiritueux le volume de boissons alcooliques qui peut être ramené d'une autre province. On lui colle une amende de 292,50 $.

M. Comeau trouve aberrant qu'un citoyen canadien ne peut acheter comme bon lui semble de la bière et des spiritueux dans une autre province et les ramener chez lui. Il décide de contester la Loi qui l'en empêche. En avril 2016, la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick lui donne raison sur la base de l'article 121 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 qui se lit comme suit : «Tous articles du crû, de la provenance ou manufacture d'aucune des provinces seront, à dater de l'union, admis en franchise dans chacune des autres provinces.»

Puisque l'enjeu de cette décision est énorme, le gouvernement du Nouveau-Brunswick en appelle devant la Cour du Banc de la Reine de la province, qui refuse d'entendre la cause. D'où le recours à la Cour suprême, qui vient de commencer les audiences dans cette affaire et dont l'arrêt fera jurisprudence quant à la véritable interprétation à donner à l'article 121 de la Constitution canadienne, qui doit guider les lois et les règlements sur le commerce entre les provinces.

Or, ces lois et ces règlements sont non seulement multiples et de nature diverse, mais ils défient parfois le gros bon sens. En plus de toucher le commerce de l'alcool, ils concernent les productions agricoles (lait, oeufs, volailles), les valeurs mobilières, les assurances, les industries culturelles, le camionnage, les travaux publics, le droit du travail, les métiers, les professions et même des choses aussi banales que les petits contenants de lait et de crème pour le café ; autant de réglementations qui constituent des obstacles au commerce entre les provinces et qui briment la liberté des Canadiens. La plupart de ces réglementations visent des personnes et des entreprises, mais d'autres, comme c'est le cas pour la vente de boissons alcooliques, ont permis aux provinces de créer des monopoles à des fins fiscales. C'est ainsi que la SAQ du Québec et du LCBO de l'Ontario ont pu verser l'an dernier à leur gouvernement respectif des dividendes de 1 G$ et de 2 G$.

Il existait, depuis 1995, un Accord sur le commerce intérieur que toutes les provinces avaient signé et qui a été remplacé en juillet dernier par l'Accord de libre-échange canadien, qui vise surtout à améliorer l'accès aux marchés publics par les entreprises. Or, ces ententes se révèlent souvent être des voeux pieux. À preuve, la Saskatchewan vient d'interdire à des travailleurs qui conduisent des véhicules immatriculés en Alberta de travailler sur des projets de construction de routes de son gouvernement. Le premier ministre Brad Wall a défendu son geste en disant que l'Alberta avait récemment interdit à des entrepreneurs de sa province d'accéder à des chantiers de construction en Alberta.

Interprétation difficile

Ce ne sera pas la première fois que la Cour suprême aura à se prononcer sur l'article 121 de notre Constitution. La seule interprétation qui semble claire est la reconnaissance que l'imposition de tarifs douaniers pour interdire ou freiner les importations de biens et de services étrangers est la prérogative du gouvernement fédéral et, donc, que les provinces n'ont pas ce pouvoir. À cause de cette interprétation restreinte, plusieurs obstacles non tarifaires des provinces ont été jugés acceptables et n'ont pas été contestés devant les tribunaux. Dans certains cas, les provinces ont pu imposer des barrières non tarifaires avec l'accord du fédéral. Il en est ainsi pour les quotas qui limitent des productions agricoles.

De façon générale, ces obstacles au libre commerce se répercutent en des coûts additionnels et des prix plus élevés pour les consommateurs.

Le défi de la Cour suprême sera d'interpréter correctement l'article 121. Selon Andrew Smith, chercheur de l'Université de Liverpool, qui a étudié la Constitution canadienne, l'intention réelle des pères de la Confédération était d'instituer le libre-échange entre les provinces, ce qui est conforme aux pratiques du Commonwealth. Si la Cour suprême retient cette interprétation, les provinces devront devoir renoncer à plusieurs obstacles non tarifaires, qu'elles ont mis en place pour protéger leur marché intérieur et même créer des monopoles.

Une telle décision serait bénéfique pour la productivité canadienne, les consommateurs, un grand nombre d'entreprises de même que pour la croissance économique du Canada.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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