L'immigration lors des élections: un enjeu à traiter avec prudence


Édition du 25 Août 2018

L'immigration lors des élections: un enjeu à traiter avec prudence


Édition du 25 Août 2018

Les leaders de nos partis politiques devraient plutôt faire la promotion de l'immigration et expliquer les avantages de la diversité culturelle pour notre société. [Photo: 123RF]

Aux États-Unis, une animatrice de Fox News, Laura Ingraham, a récemment déclaré que l'immigration « légale et illégale » récente avait rendu son pays méconnaissable, ce qui est évidemment faux. C'est le genre de dérapage qu'encouragent les propos teintés de racisme de Donald Trump.

Plus près de nous, deux députés du Parti conservateur du Canada, Michelle Rempel, de l'Alberta, et Larry Maguire, du Manitoba, tiennent des assemblées de consultation sur les enjeux de l'immigration. Difficile de ne pas y voir un certain populisme. Le parti d'Andrew Sheer a même forcé une réunion d'urgence d'un comité de la Chambre des Communes pour débattre de la « crise » provoquée par les demandeurs d'asile « illégaux » qui traversent la frontière pour « se magasiner un pays ». Précisons que les migrants qui arrivent par le chemin Roxham sont des demandeurs « irréguliers », et non illégaux.

Pour sa part, le député fédéral Maxime Bernier, de la Beauce, est entré dans le débat en accusant le gouvernement Trudeau d'une « balkanisation culturelle » qui risque de susciter plus de méfiance, de violence, de conflits sociaux, ajoutant que « plus de diversité détruira notre pays ». M. Bernier devrait se souvenir qu'en 1947, un entrepreneur de sa Beauce natale, un certain Ludger Dionne, a fait venir 100 Polonaises pour travailler dans sa filature. Gageons que celles-ci ont enrichi le tissu social de Saint-Georges.

De son côté, le Parti conservateur fédéral est allé jusqu'à publier une publicité montrant un homme noir tirant une valise et s'apprêtant à traverser une frontière. Devant le tollé, le parti a retiré cette publicité odieuse, précisant qu'il ne voulait pas stigmatiser un groupe ethnique.

Autre gestion significative, la ministre Lisa MacLeod, du gouvernement ontarien de Doug Ford, qui a dit que l'Ontario doit « prendre soin des siens » avant d'encourager les immigrants à s'y installer, a claqué la porte d'une rencontre de ministres canadiens de l'Immigration sur les demandeurs d'asile. Celle-ci n'a pas aimé que son homologue fédéral, Ahmed Hussen, qualifie de « non canadien » le refus de certaines provinces de ne pas vouloir participer à l'accueil des réfugiés. L'Ontario demande au fédéral de lui verser 200 M $, alors qu'elle accueille relativement peu de réfugiés et que l'enveloppe fédérale pour ce programme est de 270 M $.

Éviter tout débordement

Heureusement, les députés de l'Assemblée nationale se montrent généralement beaucoup plus modérés. Il faut souhaiter que la campagne électorale qui vient de débuter ne les amène pas à tenter d'exploiter le filon de la méfiance de nombreux Québécois à l'endroit de l'immigration, ce qui pourrait nuire au climat social, à la croissance de l'économie et à notre prospérité.

En effet, selon un récent sondage du CIRANO, 48 % des 1 013 personnes interrogées voient l'immigration comme un grand ou un très grand risque. Par contre, 59 % s'y disent favorables et 68 % la jugent bénéfique, notamment pour satisfaire les besoins de main-d'oeuvre du Québec.

Pour le moment, nos partis politiques se montrent prudents, mais certains ne sont peut-être pas immunisés contre un débordement éventuel sur la question identitaire. C'est le cas de la CAQ, qui propose de délivrer aux immigrants économiques un certificat d'accompagnement de trois ans renouvelable à trois conditions : la réussite d'un test des valeurs (en quoi les valeurs du Québec sont-elles différentes de celles du Canada ?), la réussite d'un examen de français et l'occupation ou la recherche d'un emploi. La non-satisfaction de ces exigences entraînerait une recommandation au fédéral d'expulser ce candidat. D'une part, gageons qu'Ottawa n'en aura cure. D'autre part, ne s'agit-il pas là d'une incitation à déguerpir dans une autre province ? La CAQ veut réduire de 50 000 à 40 000 le nombre d'immigrants, ce qui est contre-indiqué économiquement.

De son côté, le Parti québécois exige que les immigrants économiques et leur conjoint connaissent le français avant leur arrivée. C'est injustifié, car ce serait priver le Québec de candidats de valeur provenant de pays dont la langue d'usage n'est pas le français. Comme la CAQ, le PQ montre une frilosité quant à l'immigration, qui semble s'expliquer par le désir de plaire la frange de l'électorat qui est particulièrement sensible à la question identitaire. N'a-t-on rien appris du fiasco de la charte des valeurs ?

En plus de renoncer à exploiter les craintes de certains électeurs par rapport à l'immigration, les leaders de nos partis politiques devraient plutôt faire sa promotion, montrer son impact sur notre prospérité et expliquer les avantages de la diversité culturelle pour notre société. L'intégration des immigrants représente certes un défi important, notamment sur le plan de leur francisation, mais celui-ci n'est pas insurmontable si on en fait une priorité et si on y consacre les ressources nécessaires. Leur rétention, qui est déjà bonne (84 % après cinq ans selon Francis Vailles de La Presse), n'en sera encore que meilleure.

 

J’aime­
Le gouvernement du Québec a retiré son projet de règlement sur l’octroi de contrats de services d’architecture et d’ingénierie. Ce projet prévoyait accorder une nette prépondérance au prix par rapport à la qualité dans l’évaluation des soumissions. L’annonce de la création d’un comité d’étude sur cet enjeu n’est probablement rien d’autre qu’une esquive pour faire oublier ce projet, qui représentait une incohérence majeure par rapport à une recommandation de la Commission Charbonneau. 

Je n’aime pas­
Personne n’a assumé la responsabilité de l’échec du système de paye Phénix, selon un rapport du Sénat canadien. Les fonctionnaires ont montré un laxisme déconcertant par rapport aux erreurs découvertes lors de sa mise en œuvre, ce qui a démontré une culture de je-m’­en-foutisme inquiétante. La réfection du système doit coûter 2,2 G $ d’ici 2023, en sus du 1 G $ déjà engagé.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

Blogues similaires

Apprendre à tourner la page

Édition du 20 Janvier 2021 | Olivier Schmouker

CHRONIQUE. J’ ai une grande nouvelle que j’ai annoncée déjà il y a quelques jours sur notre site web.