Ingénierie de l'État : attention aux voeux pieux et aux raccourcis


Édition du 12 Septembre 2015

Ingénierie de l'État : attention aux voeux pieux et aux raccourcis


Édition du 12 Septembre 2015

La réingénierie de l'État souhaitée par le gouvernement de Philippe Couillard a fait couler beaucoup d'encre la semaine dernière. Voici certains éléments d'analyse en regard des principaux sujets qui ont été abordés.

1. Rapport Godbout. La Commission d'examen sur la fiscalité présidée par Luc Godbout propose une réforme en profondeur de la fiscalité québécoise. On suggère de réaménager 4,4 milliards de dollars d'impôts et de taxes à coût nul pour l'État. La Commission propose de réduire l'impôt sur le revenu des particuliers les moins nantis, de hausser à 18 000 $ l'exemption de base, de porter de quatre à neuf le nombre de paliers d'imposition, d'abaisser les taux marginaux visant la classe moyenne et d'abolir la contribution santé. Les plus démunis bénéficieraient d'une amélioration de la prime au travail et du crédit d'impôt pour la solidarité. Enfin, la création d'un bouclier fiscal réduirait leur taux marginal d'imposition. Plusieurs crédits d'impôt seraient abolis ou transformés.

En revanche, la TVQ passerait de 9,975 à 11 %, ce qui porterait à 16 % la taxe de vente combinée. On accroîtrait les tarifs d'électricité, les taxes sur le tabac, l'alcool, l'essence et l'achat de voitures énergivores. Pour les entreprises, il est proposé de réduire le taux d'impôt sur les profits, de réduire la taxe sur la masse salariale des PME, d'éliminer plusieurs crédits d'impôt et autres dépenses fiscales. L'objectif global est de rendre le système fiscal plus incitatif à l'égard du travail, donc plus favorable à la croissance économique.

La plupart des économistes trouvent ce réaménagement opportun, ce qui est aussi le point de vue du ministre des Finances, Carlos Leitao. On peut s'attendre à ce qu'un grand nombre de ces mesures soient retenues. Mais attention, comme l'a dit Nietzsche «le diable est dans les détails».

2. Commerce en ligne transfrontalier. Plusieurs mesures nécessiteront des ententes avec Ottawa. C'est le cas de la taxation des achats en ligne transfrontaliers, qui constituent une concurrence déloyale pour les détaillants du Québec, où la TVQ est plus élevée qu'ailleurs au Canada. Le Québec perdrait 300 millions de dollars, et l'ensemble du pays, 1 G$ à cause de cette échappatoire. Le Conseil québécois du commerce de détail demande avec raison aux gouvernements d'obliger les émetteurs de cartes de crédit et de paiement à percevoir à la source les taxes de vente et la douane sur les achats effectués en ligne à l'étranger. Il est inacceptable qu'Ottawa ne se soucie pas de cette perte de revenu fiscal et du tort fait à nos détaillants et à notre économie.

3. Société des alcools. Pour sa part, la Commission sur la révision des programmes, présidée par Lucienne Robillard, a proposé d'accroître la vente du vin par le secteur privé. Son raisonnement : s'il se vend plus de produits dans le privé, la SAQ sera forcée d'être plus efficace et les consommateurs auront de meilleurs prix. C'est un voeu pieux. Les prix sont surtout dictés par l'appétit de l'État pour les taxes et les dividendes. Si la SAQ perd des ventes, son réseau de détail lui coûtera plus cher. La seule façon de sortir l'État du commerce de l'alcool serait de démembrer la SAQ, mais ce serait irréaliste. Si on veut retirer plus d'argent de la vente de ce commerce sans hausser les prix, la seule manière d'y arriver est de rendre la SAQ plus efficace. Il y a probablement des gains de productivité à obtenir, mais les chiffres avancés sur l'inefficacité de la SAQ semblent souvent discutables. Soyons prudents.

4. Revenu Québec. La commission Robillard propose d'envisager de fusionner la perception des impôts faite par Revenu Québec et l'Agence du revenu du Canada (ARC). Ce dédoublement n'a pas de sens a priori, mais, en même temps, Québec doit conserver sa capacité et ses propres politiques fiscales. Or, Stephen Harper refuse que l'ARC gère la perception des cotisations relativement au nouveau régime de retraite que le gouvernement ontarien veut mettre en place. Revenu Québec doit aussi protéger ses programmes de lutte à l'évasion fiscale, qui rapporteraient 9 $ pour chaque dollar dépensé. Québec perçoit déjà la TPS fédérale. Avec de la bonne volonté, les deux gouvernements ne devraient-ils pas s'entendre pour percevoir ensemble l'impôt sur les profits des entreprises ?

5. Révision des programmes. Une des recommandations les plus pertinentes de la commission Robillard est la création d'un Bureau de révision permanente des programmes, ce à quoi le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, a acquiescé. Cela fait des décennies qu'on parle de cette nécessité, qui est toujours restée lettre morte. La détermination affichée par le ministre est rassurante.

La vérification de l'efficacité des fournisseurs de l'État est aussi une excellente recommandation. Espérons que Québec y donnera suite et que les incompétents seront punis.

Les réformes sur lesquelles se penche le gouvernement Couillard sont importantes. S'il réussit à en réaliser un bon nombre, il aura mieux fait que plusieurs de ses prédécesseurs sur le plan de la réingénierie de l'État.

J'aime

La Ville de Montréal évaluera le rendement de ses fournisseurs qui obtiennent des contrats de 100 000 $ et plus. Ceux qui échoueront au test seront privés de contrats pendant deux ans. De plus, Montréal semble exercer davantage de recours contre les fautifs. La métropole sera-t-elle imitée par les autres municipalités ?

Je n'aime pas

Cela fait 31 ans que la Ville de Laval ne contrôle ni le volume ni le coût du carburant que ses garages fournissent aux véhicules de la municipalité. Le vérificateur général de la Ville a dénoncé ce manque de contrôle à deux reprises sous l'administration de l'ex-maire, Gilles Vaillancourt, mais rien n'a été fait. Un nouveau rapport dévastateur a été présenté, et une enquête policière est en cours. Va-t-on trouver les voleurs et les poursuivre ? Les autres municipalités exercent-elles une surveillance adéquate ?

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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