C'est toute l'économie du partage qu'il faut s'assurer d'encadrer


Édition du 04 Juin 2016

C'est toute l'économie du partage qu'il faut s'assurer d'encadrer


Édition du 04 Juin 2016

[Photo : Bloomberg]

La controverse créée par l'entrée cavalière d'Uber dans l'industrie du taxi a éveillé l'attention des citoyens sur certains enjeux propres à l'économie du partage.

Or, cette saga pourrait n'être que le commencement du débat de société qui surgira lorsque d'autres applications transactionnelles sur téléphones intelligents prendront de l'ampleur dans d'autres secteurs. Par exemple, ce pourrait n'être qu'une question de temps avant que des services de santé ou juridiques soient offerts à monsieur et madame Tout-le-Monde par l'intermédiaire de ces nouvelles technologies numériques transactionnelles, sans l'intermédiaire de professionnels reconnus.

Avec son application UberX, Uber a introduit une innovation de rupture, un concept formulé par le professeur Clayton Christensen de l'université Harvard, qui a le potentiel de transformer radicalement l'industrie du taxi.

Cette industrie est fondée sur la gestion de l'offre. Pour permettre à des chauffeurs de taxi de gagner raisonnablement leur vie et d'offrir un service raisonnable à la population, les pouvoirs publics limitent le nombre de permis et fixent les tarifs. Comme dans tout monopole, ce système génère un bon nombre d'inefficacités. Les permis valent cher (environ 200 000 $ à Montréal et à Québec), ce qui se reflète dans les tarifs. La qualité du service laisse souvent à désirer.

À l'opposé, Uber accrédite des propriétaires de voitures qui sont évalués par les clients en fonction du service rendu. Les clients rejoignent Uber grâce à leur téléphone intelligent, qui leur permet aussi de payer la course. Le tarif est fixé par Uber et varie selon l'offre et la demande. Uber fonctionne sans permis et à l'abri de l'impôt.

Si on ne réglemente pas Uber, son modèle d'entreprise a la capacité de détruire l'industrie traditionnelle du taxi. Ultimement, Uber deviendrait un autre monopole et se trouverait en position d'exploiter les chauffeurs, hausserait les tarifs et deviendrait moins rigoureux en matière de sécurité. L'entreprise pourrait même étendre son concept de transport de passagers à la livraison de divers produits.

Il faut également être conscient qu'Uber bâtit graduellement une énorme banque de renseignements personnels (numéros de cartes de crédit, déplacements des clients, etc.), ce qui présente des risques en matière de sécurité des données et de la protection de la vie privée.

Autre source d'inquiétude, Uber est une mauvaise entreprise citoyenne. Structurée de façon à éviter l'impôt et à faciliter le travail au noir de ses chauffeurs, Uber mine l'assiette fiscale des juridictions où elle s'installe, ce qui signifie que l'État doit compter sur les autres travailleurs et les autres entreprises pour financer les services offerts à la population.

Uber dérange et fait peur. Alors que certaines villes ont interdit le service et que d'autres ont cherché à réglementer sa façon de fonctionner, le gouvernement du Québec a décidé d'imposer des conditions très limitatives en ce qui concerne la portée de son modèle d'entreprise. Un tel encadrement ne signifie pas un rejet de l'innovation.

Par contre, il revient à l'État de s'assurer que l'introduction de technologies de rupture dans les marchés telles que celle d'Uber et d'autres, ne se fasse pas dans l'anarchie, et que leurs effets pervers sur les citoyens soient minimisés. D'où le besoin d'une stratégie nationale qui encadrerait la prestation des services associés à l'économie du partage et à la gestion de leurs impacts.

Les éléments d'une stratégie

Plusieurs enjeux sont associés à l'utilisation de ces nouvelles technologies numériques. Ne serait-il pas pertinent, pour y voir plus clair et pour ne pas être pris de court par une plus grande ubérisation (le terme est de Maurice Lévy, de Publicis) de l'économie, de prendre certaines mesures préventives, telles que :

> Dresser un inventaire complet des sociétés et des applications numériques liées à cette nouvelle façon de faire des affaires, qualifiée de New Deal du 21e siècle par Deloitte ;

> Évaluer les impacts sociaux, économiques, fiscaux (évitement) et juridiques (réglementation du travail) de ces nouvelles façons de faire ;

> Créer un cadre scientifique de gestion éthique des renseignements sur les citoyens dans le but d'assurer la sécurité de ces données ;

> Développer un système de vérification de l'identité des fournisseurs et des clients de ces technologies transactionnelles de façon à détecter les personnes présentant un risque pour les clientèles vulnérables (services financiers, services à domicile de différente nature) ;

> Prévoir des protections d'assurance contre les risques associés à ces services ;

> Envisager une certification des sociétés et des personnes offrant ces nouveaux services.

À part quelques initiatives qui visent à encadrer la location de maisons par Airbnb et le transport de passagers par Uber, l'État a très peu fait pour clarifier les enjeux associés au déploiement de ces technologies. Il ferait preuve de clairvoyance en amorçant une réflexion sur leur appropriation et leurs impacts sur notre société.

J'aime

Le syndicat qui représente les employés de l'Agence du revenu du Canada a intenté une poursuite contre son ancienne trésorière et l'experte-comptable responsable de l'audit de ses états financiers pour une fraude présumée de 150 000 $. Ce n'est pas tous les jours qu'un syndicat agit de la sorte. La FTQ-Construction a refusé de poursuivre son ex-directeur général Jocelyn Dupuis. C'est la Couronne qui a accusé ce dernier de fraude et qui l'a fait condamner. M. Dupuis en a toutefois appelé de cette condamnation.

Je n'aime pas

Selon la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, la SAQ ne se préoccupe pas assez d'obtenir les meilleurs prix pour les consommateurs. C'est aberrant, mais plausible, car un monopole se soucie rarement de faire le maximum pour ses clients.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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