Aide aux médias écrits: Ottawa souffle le chaud et le froid

Publié le 07/02/2018 à 06:00

Aide aux médias écrits: Ottawa souffle le chaud et le froid

Publié le 07/02/2018 à 06:00

[Photo : 123RF]

Après avoir dit en septembre dernier que son gouvernement n'aiderait pas les médias écrits, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, vient d'entrouvrir la porte à un appui.

Il est cependant trop tôt pour se réjouir. Voici ce qu'elle a écrit sur Twitter : « Le journalisme est primordial pour une démocratie en santé. Nous avons toujours supporté (sic) le journalisme local. Nous allons continuer de le faire. Nous avons toujous été clair (sic) : nous n'allons pas soutenir les modèles qui ne sont plus viables. »

Décortiquons. Le grand journalisme se fait surtout dans les grands médias, tels CBC, Radio-Canada et les quotidiens, dont les moyens sont malheureusement de plus en plus limités. Or, la ministre affirme qu'Ottawa va continuer d'aider le « journalisme local », qui est réalisé par des hebdomadaires, dont les ressources sont insuffisantes pour faire des enquêtes et des articles fouillés. Elle précise qu'elle n'aidera pas « les modèles qui ne sont plus viables ». De quels modèles parle-t-elle ? Ne fait-elle pas référence ici aux quotidiens dans leur version imprimée ?

Qu'en est-il des moyens ? Simon Ross, son attaché de presse, a révélé que le gouvernement fédéral veut apporter certains correctifs au Fonds du Canada pour les périodiques « pour l'adapter à l'ère numérique ». En d'autres mots, on utiliserait ce Fonds pour facilliter la transition vers la diffusion de l'information sous forme numérique plutôt que sous forme imprimée. Il n'a pas dit qu'on y ajouterait du nouvel argent. Ce Fonds finance trois programmes qui viennent en aide aux magazines et aux hebdomadaires, mais pas aux quotidiens. Ce fonds est doté d'un budget de 75 millions de dollars par année (Les Affaires en bénéficie).

Ce Fonds pourrait être également l'outil d'intervention pour aider les quotidiens, mais à la condition d'accroître son budget. Quand News Media Canada, qui représente environ 1 000 médias écrits, a demandé à la ministre Joly de porter ce fonds à 350 M$ par année, sa réponse a été de dire que son gouvernement n'appuiera pas les vieux modèles d'affaires. Comme si le gouvernement Trudeau avait fait le choix d'aider en priorité CBC et Radio-Canada, qui a reçu 675 M$ de plus en cinq ans (en plus de leur financement annuel de 1 milliard de dollars). Malheureusement pour l'information du public, l'essentiel du budget de la société d'État sert à financer des émissions de variété, dont la qualité est parfois très médiocre (prolifération de joual, d'humour douteux, de sacres, etc.). Ce ne sont pas tous les contribuables qui aiment financer ces inepties.

Médias essentiels à la démocratie

L'industrie des médias traditionnels se meurt. En six ans, le nombre de journalistes a été réduit du tiers au Canada. Des journaux ferment et ceux qui restent peinent à survivre. Leurs revenus s'effondrent, car des médias sociaux étrangers, tels Google et Facebook, récoltent entre 70 % et 80 % de la publicité numérique au Canada. De plus, ils bénéficient d'échappatoires fiscales injustifiables sur le plan de l'équité et de la saine concurrence, une situation qui, étonnamment, ne semble déranger personne au sein du gouvernement Trudeau. C'est à se demander si ce gouvernement fait une différence entre une industrie qui est nécessaire à la protection de la démocratie et une autre qui amuse le peuple.

Les Canadiens consultent de moins en moins les médias traditionnels parce qu'il leur est plus facile de s'informer sur les médias sociaux, qui piratent l'information produite à grands frais par les vrais médias, et dont les contenus sont un ramassis pêle-mêle de nouvelles, de faits alternatifs, de faussetés, de textes promotionnels et de commentaires de toute nature rédigés en 280 caractères ou moins. Il en résulte que de plus en plus de citoyens sont mal informés, incapables de séparer le vrai du faux, et mal préparés pour débattre, prendre des décisions éclairées et exercer pleinement leur responsabilité de citoyen, ce qui est un danger pour la démocratie.

Plusieurs moyens d'aider

Comme on le fait pour d'autres industries (fabrication, mines et métaux, énergie, jeux électroniques, etc.), certains avantages fiscaux pourraient être accordés aux médias. Pourquoi ne pas obliger Google et Facebook, qui ne perçoivent pas de taxe de vente, à alimenter un fonds qui financerait des enquêtes journalistiques et des grands reportages, à l'instar du Fonds des médias du Canada qui reçoit des cotisations des câblodistributeurs pour financer des productions audiovisuelles ? Pourquoi ne pas encourager la création de fondations qui financeraient des activités journalistiques, ou encore permettre à des fondations existentes de soutenir de telles activités ? The Guardian, qui est déjà aidé par une fondation au Royaume-Uni, en a créé une autre pour financer son site de nouvelles aux États-Unis.

La démocratie, qui est essentielle au bon fonctionnement d'une société qui se veut juste et saine, a besoin d'une presse forte et libre pour jouer pleinement son rôle. C'est la responsabilité de l'État de protéger l'une et l'autre.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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