Où étaient les administrateurs indépendants de Bombardier?

Publié le 17/02/2020 à 10:14

Où étaient les administrateurs indépendants de Bombardier?

Publié le 17/02/2020 à 10:14

Il faut du courage pour un administrateur de voter contre une recommandation de l’actionnaire majoritaire. (Photo: 123RF)

BLOGUE. Toutes les sociétés inscrites en Bourse ont obligatoirement un conseil d’administration. Celui-ci est normalement formé de gestionnaires et d’administrateurs d’expérience qui sont triés sur le volet.

On les choisit sur la base d’un profil corporatif déterminé, de façon à obtenir une bonne diversification des compétences recherchées. Ces personnes bénéficient d’une rémunération qui est proportionnelle à l’envergure de la société et qui est parfois très élevée dans le cas des grandes sociétés.

Le conseil d’administration est l’autorité ultime d’une société. C’est lui qui a le dernier mot dans toutes les décisions importantes, telles que la nomination du chef de la direction, sa rémunération, son évaluation et son congédiement, les orientations stratégiques de la société, le budget annuel, les investissements importants, les grandes transactions, le versement de dividendes, la saine gouvernance de l’entreprise et la surveillance du respect de la mission de l’organisation. Le CA ne gère pas ses activités courantes, mais il approuve ses états financiers.

Les administrateurs prennent généralement leurs décisions sur la base des recommandations du chef de la direction ou du directeur général, qui, généralement, est leur unique employé. Bien entendu, ils peuvent les refuser et lui demander de refaire son travail. C’est au seul conseil d’administration que le chef de la direction rend des comptes. Ce dernier ne relève pas du président du conseil, qui agit plutôt comme un intermédiaire entre le chef de la direction et le conseil en tant qu’entité. Ce mode de reddition de compte vaut pour toutes les organisations, incluant les organismes sans but lucratif (OSBL).

Zone de conflits 

Les rapports entre un conseil d’administration et son chef de la direction sont plus simples lorsqu’une société n’a pas d’actionnaire majoritaire. C’est le cas des associations, des ordres professionnels et des coopératives, où tous les administrateurs sont indépendants. Ce statut n’a toutefois pas empêché les administrateurs d’Agropur d’épouser le trop ambitieux plan d’affaires de Robert Coailler, le chef de la direction prestigieux qu’ils avaient recruté dans le secteur de la grande entreprise capitaliste. On connaît maintenant les résultats désastreux de leur aveuglement.

Par contre, les relations entre un chef de la direction et son CA peuvent s’avérer beaucoup plus compliquées lorsqu’un actionnaire ou une famille détient la majorité des droits de vote d’une société.

C’est le cas pour Bombardier, dans laquelle les familles Beaudoin et Bombardier détiennent un peu plus de 50% des droits de vote, même si elles ne possèdent qu’environ 12% des actions de cette dernière. Cette majorité des droits de vote donne aux familles le dernier mot dans la sélection des administrateurs.

Alors que les géants d’estrade blâment à qui mieux mieux les membres des familles Beaudoin et Bombardier pour la décision de lancer le programme de la CSeries, on doit reconnaître que celle-ci a été prise par les administrateurs alors en poste, qui étaient en grande majorité indépendants des actionnaires de contrôle de la société.

Naturellement, il faut du courage pour un administrateur de voter contre une recommandation de l’actionnaire de contrôle qui l’a invité à faire partie du CA de sa société. C’est pourtant sa responsabilité de prendre ses décisions au meilleur des intérêts de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. C’est pour cela qu’on les paie généreusement.

La décision de lancer le programme de la CSeries a été prise en 2005 après une recommandation favorable du chef de la direction d’alors, Pierre Beaudoin, fils de Laurent, qui était président du conseil de la société. Cette proximité n’est pas un gage de saine gouvernance.

Pierre Beaudoin avait été nommé chef de la direction un an auparavant à la suite du départ de Paul Tellier, qui avait refusé de recommander au conseil d’administration de Bombardier d’autoriser ce programme. On ne connaît rien des discussions qui ont eu cours au CA, ni le résultat des votes des administrateurs lorsque cette décision fut prise. Tout ce qui se dit au sein d’un CA doit rester confidentiel.

Droit à la dissidence

Les administrateurs d’une société peuvent exprimer leur dissidence à l’égard d’une décision prise en conseil et la faire inscrire au procès-verbal de la réunion en question. Ils ne peuvent toutefois pas s’en désolidariser s’ils demeurent membres du CA. La voie de sortie pour un administrateur qui ne veut pas se solidariser d’une telle décision est de quitter le CA, comme l’a fait Paul Tellier.

Le même dilemme vaut pour les administrateurs de sociétés qui ne sont pas inscrites en Bourse et dont les droits de vote sont détenus majoritairement par un actionnaire ou une famille. Pour ces sociétés, il est préférable de se doter d’un comité consultatif plutôt que d’un conseil d’administration.

Un comité consultatif formé de personnes compétentes et expérimentées peut apporter au président-directeur général d’une entreprise des conseils et des avis aussi pertinents que pourrait le faire un CA, sans l’inconvénient des responsabilités légales et fiduciaires associées à un conseil.

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N.D.L.R.  Dans ce blogue, Jean-Paul Gagné* traite de défis et d’enjeux de gouvernance. Il s’inspire d’événements d’actualité ou encore de situations courantes relatives à la gouvernance. Il en tire des leçons et des pratiques inspirantes.

* Jean-Paul Gagné est co-auteur, avec Daniel Lapointe, de l'ouvrage «Améliorez la gouvernance de votre OSBL : un guide pratique» (Les Éditions Transcontinental, 2019, 282 pages)

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