St-Hubert: ne déchirons pas notre chemise, la vente a du bon

Publié le 31/03/2016 à 15:42

St-Hubert: ne déchirons pas notre chemise, la vente a du bon

Publié le 31/03/2016 à 15:42

(Photo: LesAffaires.com)

Les réactions n'ont pas tardé sur la vente de St-Hubert à l'exploitant ontarien Cara. Ne déchirez pas votre chemise. Un exemple entrepreneurial québécois s'envole, mais, au final, cette transaction est bonne pour le Québec.

Il y a deux grandes surprises dans cette acquisition: 1-son annonce en elle-même; 2-la structure des bénéfices de la chaîne québécoise.

Contrairement à ce qu'on pensait, St-Hubert n'est pas uniquement une chaîne de restaurants. Elle est aussi un important manufacturier et distributeur alimentaire. Près de 45% de son bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) provient de la vente de ses produits (salades, soupes, etc.) à des épiciers comme Metro, Loblaws, Sobeys et Costco.

Il faut avoir écouté la conférence téléphonique de Cara avec les analystes financiers pour réaliser combien cette prise de contrôle est différente de celle de Rona. Il y a quelques semaines, Lowe's avait de la difficulté à voiler comment elle entendait intervenir dans le modèle d'affaires de Rona. Jeudi, le grand patron de Cara, Bill Gregson, ne se gênait pas pour dire pourquoi il n'allait surtout pas intervenir au Québec (échec de sa tentative d'incursion dans la province) et allait plutôt accorder beaucoup de latitude à la direction de St-Hubert dans le reste du Canada pour les activités épicerie.

Voyons plus précisément la situation.

Essentiellement, Cara ne vend qu'un seul produit en épicerie au Canada: une sauce de Swiss Chalet. Cette sauce est en fait produite et commercialisée par un tiers, qui verse des redevances à Cara. Il n'y a aucune expertise ou stratégie de commercialisation des produits en épicerie, aucune marge bénéficiaire non plus à l'étape de la production.

À l'inverse, Saint-Hubert détient des usines de production à Blainville et Boisbriand qui emploient entre 400 et 500 employés au total. Ces employés fabriquent les sauces, soupes, salades et autres produits, qui sont expédiés dans les restaurants St-Hubert et dans les épiceries. L'entreprise a aussi son propre système de distribution. Un modèle unique dans l'industrie de la restauration, et que, racontait-on en coulisses hier, Jean-Pierre Léger s'est longtemps gardé de publiciser pour éviter que des concurrents s'y intéressent.

Le plan de match est aujourd'hui de confier à la direction de St-Hubert la mise en marché et la production des produits Cara en épicerie non seulement pour le Québec, mais aussi pour le Canada. En conférence de presse, monsieur Léger a indiqué que d'ici trois ans, l'équipe de marketing de St-Hubert pourrait réussir à ajouter 100 M$ de ventes en épicerie aux 200 M$ que génèrent actuellement ses deux usines de transformation québécoises.

Si le plan réussit, des emplois supplémentaires seront créés dans les usines québécoises et dans les équipes de mise en marché.

Pendant ce temps, l'équipe de direction de St-Hubert demeure en place pour le développement de ses propres restaurants au Québec, de même que ceux de Cara qui veut augmenter chez nous la présence de ses bannières (Harvey's, Kelsey's, East Side Mario's, Bier Market, etc). Il semble y avoir un potentiel de croissance toujours assez intéressant, qui devrait tenir occupé le siège social québécois pour un bon bout de temps. Avec l'acquisition de St-Hubert, il y a actuellement 1 resto Cara ou St-Hubert par 49 000 individus au Québec. Bill Gregson, a dit croire que ce ratio pourrait être porté à un niveau comparable à celui de l'Ontario qui est de 1 par 20 580 individus.

St-Hubert aurait-elle pu continuer à grandir seule?

Évidemment, certains diront que St-Hubert aurait pu aussi continuer à croître seule et tenter une réelle percée hors Québec. Tout en demeurant sous contrôle québécois.

Il faut savoir reconnaître que les tentatives antérieures d'expansion hors-Québec n'ont jamais été couronnées de succès. St-Hubert a déjà eu 20 restaurants à Toronto, et tous ont été fermés.

La direction indiquait jeudi qu'elle aurait peut-être pu continuer à croître en Ontario et dans le nord-est des États-Unis (le projet américain est apparemment toujours dans les cartons), mais estimait qu'il aurait fallu beaucoup de temps. Avec, reconnaissons-le, une probabilité de succès mitigée.

Au final?

Au final, on se retrouve donc dans la situation suivante.

Premier constat. Plus de restaurants St-Hubert et Cara à être ouverts au Québec, avec un pouvoir décisionnel relevant du Québec. Ce n'est pas une situation qui à première vue risque de conduire à une attrition importante au siège social. Probablement une stabilité d'effectif, et peut-être même une augmentation. À noter que la direction québécoise ne sera pas nécessairement très dépendante de Toronto sur l'allocation du capital, la recette des restaurants St-Hubert étant celle du franchisage.

Deuxième constat. Plus d'emplois probables aussi dans les usines de production et dans les équipes de marketing et mise en marché puisque l'on veut vendre plus de produits de restaurants dans les épiceries du Canada.

La différence avec les autres prises de contrôle s'explique essentiellement par le fait que l'acquéreur vient chercher en St-Hubert une expertise, un modèle d'affaires et des infrastructures qu'il ne possédait pas déjà.

Sans cette acquisition, on parlerait plutôt de maturité et de statu quo.

Le Québec perd certainement au plan de la symbolique, alors qu'avec le retrait de la famille Léger du capital de St-Hubert s'envole un exemple entrepreneurial emblématique. Il y a cependant un gain potentiel d'emplois, sans menace évidente pour le siège social.

Ne déchirons donc pas trop vite notre chemise

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À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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