S.O.S. rentabilité: Hydro peut-elle gagner à l'international?

Publié le 08/06/2016 à 19:54

S.O.S. rentabilité: Hydro peut-elle gagner à l'international?

Publié le 08/06/2016 à 19:54

C'est avec surprise que l'on a pris connaissance, mercredi, du plan stratégique d'Hydro-Québec. La rentabilité d'Hydro-Québec est significativement sous pression.

Il était déjà connu depuis quelques semaines que la société d'État allait se lancer à la conquête du marché international pour tenter d'augmenter sa rentabilité, mais personne n'avait vraiment compris combien sa rentabilité était menacée de recul.

Il faut s'attendre à voir le bénéfice d'Hydro faire marche arrière dans les prochaines années. Si rien n'est fait, il passera de 3,2 G$ (2015) à 2,9 G$ dans cinq ans, en 2020. Un recul de rentabilité de 300 M$, qui, si on l'exprime en dollars d'aujourd'hui (en tenant compte de l'inflation), serait encore plus important. Sachant qu'Hydro envoie 75% de son bénéfice en dividende, c'est au moins 225 M$ de moins pour le trésor public.

Hydro explique la situation essentiellement par deux choses: le recul des prix de l'électricité aux États-Unis en raison de la chute de prix du gaz naturel. C'est une difficulté qui n'est pas nouvelle, et il n'a pas clairement été précisé pourquoi la situation était plus difficile qu'avant.

Le deuxième motif est cependant clair. Les barrages du complexe La Romaine entrent en exploitation alors que le Québec est déjà en surplus. Le prix obtenu pour cette électricité aux États-Unis couvrira peut-être son coût de production (ce n'est pas clair), mais il ne couvre pas celui des charges d'amortissement qui accompagne l'entrée en service.

Pour tenter de faire en sorte qu'Hydro retrouve sa rentabilité d'aujourd'hui en 2020, et que celle-ci s'améliore par la suite, Hydro-Québec veut faire plus d'exportations à meilleur prix et aussi faire des acquisitions.

Si les objectifs sont atteint, le bénéfice 2020, sera à peu près le même qu'en 2015 et celui de 2030 sera de 60% supérieur ( +22% en dollars d'aujourd'hui).

Une bonne idée? Hydro-Québec peut-elle réussir?

Ces questions doivent en fait être traitées en deux temps.

1-Hydro peut-elle atteindre son objectif de bénéfice en 2020?

Il s'agit ici de faire en sorte qu'après avoir reculé pendant quelques années, le bénéfice global revienne au niveau actuel de 3,2 G$.

Pour ce faire, Hydro a besoin d'aller chercher 250 M$ de bénéfices en nouvelles exportations et 100 M$ en nouvelles acquisitions.

Notre compréhension est que pour atteindre son objectif d'exportations, Hydro a besoin que les projets de ligne de transport Northern Pass et Vermont Green Line soient approuvés aux États-Unis. Dans ces deux projets, Hydro est le fournisseur d'électricité. Les deux lignes lui permettraient d'acheminer directement de l'électricité dans des marchés où les prix sont plus forts que sur ceux auxquels elle a actuellement accès.

La ligne Northern Pass doit partir de la frontière canadienne et se terminer à Deerfield, au New Hampshire. Hydro fournirait 1090 megawatts d'hydro-électricité. Le projet vient cependant de se heurter à des délais qui font en sorte que la ligne, qui devait être complétée en 2019, ne le sera pas avant 2020. Il n'est pas clair si bien des profits pourront être générés en temps. Le PDG Éric Martel a laissé entendre mercredi qu'il pourrait ne pas y avoir de délais et que certaines options étaient peut-être sur la table. C'est pour l'instant confus.

L'autre projet, Vermont Green Line, vise à transporter de l'électricité de Plattsburg à New Haven, dans l'État du Vermont. L'entrée en service du projet est prévue pour 2019, mais le processus d'approbation réglementaire semble moins avancé que celui de Northern Pass, d'où de nouveaux doutes quant à l'échéancier.

Les 100 M$ de bénéfices en provenance d'acquisitions semblent avoir plus de chances. Hydro dit en effet actuellement étudier 6-7 projets d'acquisitions.

Au global, l'objectif 2020 n'en semble pas moins ambitieux.

2-Hydro peut-elle atteindre son objectif de bénéfice 2030?

C'est ici que se trouve la discussion la plus intéressante.

Il ne fait pas trop de doute qu'elle atteindra sa cible de bénéfices en exportations, la commande n'est pas lourde.

Le défi est cependant sur le 800 M$ de bénéfices à aller chercher par acquisitions.

Hydro prétend que son expertise en production hydro-électrique, et particulièrement celle dans les lignes de transport, en font une partenaire recherchée à l'international. Elle entend cibler des pays où la règle de droit est claire et où il pourrait y avoir une croissance de la demande en électricité dans le temps.

En 1978, la société d'État s'était une première fois lancée à la conquête du monde, avec la création d'Hydro-Québec International.

L'aventure n'avait pas été un très grand succès. Au milieu des années 2000, elle avait décidé de se retirer du marché et de liquider quelque chose comme 8 participations. Le retrait a permis de générer un gros bénéfice extraordinaire, surtout grâce à un gain de 813 M$ sur la vente de HQI Transelec au Chili. Mais, au chapitre des bénéfices d'exploitation, on était loin de la coupe aux lèvres. En 2005, les activités avaient généré une perte de 19 M$, et, en 2004, une perte de 24 M$.

Il est trop tôt pour dire si la nouvelle aventure internationale fera mieux.

L'expérience vaut probablement la peine d'être tentée. L'erreur d'Hydro-Québec International dans le passé semble d'avoir joué trop petit et trop risqué. Elle semblait surtout miser sur des projets en développement, qui comportaient un premier risque de dépassement de coûts et un second de marché plus faible que celui anticipé.

Hydro-Québec semble cette fois vouloir y aller avec une approche plus financière, en achetant des actifs qui produisent déjà des bénéfices et en utilisant ensuite en partie les flux de trésorerie qu'ils génèrent pour investir dans de nouveaux projets.

Un hic à l'approche cependant. Les investissements en infrastructures sont, ces jours-ci, fort recherchés par les investisseurs. L'indice de référence infrastructures du portefeuille de la Caisse de dépôt fait par exemple état d'un rendement annuel composé quatre ans de 13%. Les bénéfices n'ont pas avancé de 13% par année dans les dernières années dans les infrastructures, c'est simplement que les investisseurs sont prêts à payer davantage qu'avant pour ceux-ci (les multiples ont augmenté). Que les taux d'intérêt grimpent significativement et les prix pourraient reculer de façon sentie. Il ne faudrait pas qu'Hydro se fasse prendre trop fortement à contrepied. D'autant que les investissements seront importants. Le risque est qu'en 2030, plus de bénéfices entrent dans le portefeuille, mais que, pour un temps, la valeur de celui-ci soit plus basse. Dit autrement, pendant quelques années, ces nouveaux bénéfices seraient effacés en raison des radiations sur perte de valeur qu'il faudrait prendre.

L'affaire n'est pas aussi facile qu'il n'y paraît.

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À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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