Sortir du bois ou entrer dedans ?


Édition du 13 Octobre 2018

Sortir du bois ou entrer dedans ?


Édition du 13 Octobre 2018

[Photo: 123RF]

Il y a de l'action en forêt. Depuis la mi-septembre, plusieurs titres forestiers sont sous pression. Canfor (CFP, 22,88 $) est en recul de 25 %. Interfor (IFP, 18,28 $), West Fraser (WFT, 70,45 $) et Conifex (CFF, 3,83 $) sont à près de -20 %. Seule Western Forest (WEF, 2,06 $) est plus résistante, à -10 %. Temps de sortir ou d'entrer dans le bois ?

La question ne fait pas l'unanimité chez les analystes et un important bras de fer est en cours entre les optimistes et pessimistes.

Contre toute attente, l'année 2018 aura été assez prospère pour le secteur forestier. Pour ne pas dire une année historique. Le Random Lengths Framing Lumber Composite Index recense le prix d'une quinzaine de matériaux de charpente dans l'ouest et le sud des États-Unis, de même qu'au Canada. Il devrait, selon BMO Marchés des capitaux, afficher un prix moyen sur l'année de 475 $ US/1 000 pmp (pieds de mesure de planche).

Il faut remonter à 1997 pour retrouver le dernier record, alors que le prix moyen était situé à 423 $ US/1 000 pmp.

Un oeil sur la dernière poussée

Avant d'aller à ce qui pourrait arriver, un oeil sur d'où on vient et pourquoi les prix ont été si élevés au cours des derniers mois. L'exposé est de RBC Marchés des Capitaux.

Les prix de l'épinette, du pin et du sapin ont commencé à grimper en 2016, à la faveur d'une demande plus forte sur le marché immobilier et de craintes sur l'approvisionnement occasionnées par les ravages causés par un insecte en Colombie-Britannique, le dendroctone du pin.

En avril et en juin 2017, les droits compensatoires et antidumping ont eu un effet positif sur les prix, le marché spéculant que moins de bois canadien entrerait aux États-Unis. Au final, la hausse a été telle, qu'elle a plus que compensé les droits.

Les prix ont continué d'accélérer au cours de l'été 2017, alors que la Colombie-Britannique a connu des records d'incendies de forêt. Puis, les ouragans Harvey et Irma ont frappé, suivis de nouveaux feux de forêt, cette fois en Californie.

Nous sommes entrés en 2018 avec des stocks de bois à un bas niveau, une forte demande (1,317 million de mises en chantier aux États-Unis au premier trimestre sur une base annualisée) et d'importants enjeux de transport par rail et routier au Canada (en raison de la météo). À la fin mai, le 2 X 4 de l'Ouest (W. WSP) atteignait un prix record de 665 $ US/pmp.

Au deuxième trimestre 2018, les mises en chantier aux États-Unis ont faibli (1,254 millions) et, à ce jour, dans le troisième, elles sont encore en recul (1,225 millions). Pendant ce temps, les stocks de bois canadiens qui avaient été retardés par les problèmes ferroviaires et routiers ont finalement fait leur chemin jusqu'au marché. Plus de bois est donc arrivé, avec une demande en affaiblissement.

Résultat, dit RBC, les stocks sont maintenant 15 % au-dessus du niveau normal de 3 milliards pmp, d'où des prix sous pression.

L'argumentaire des optimistes

L'analyste Paul Quinn, de qui on tire cet historique, recommande de demeurer dans le bois et même d'ajouter des positions. Il indique que le jeu habituel est d'acheter le secteur à l'automne et de le vendre au printemps. À son avis, le marché va se resserrer et il voit des rebonds potentiels de 43 % (West Fraser) à plus de 100 % (Conifex) pour les titres du secteur.

Il note que le consommateur américain s'est désendetté depuis 2008 et que la récente réforme fiscale américaine a mis plus d'argent dans ses poches. Un taux de chômage très faible a, en parallèle, commencé à faire grimper les salaires, ce qui a partiellement contrebalancé les craintes liées à une hausse des taux d'intérêt.

Les milléniaux ont de leur côté finalement recommencé à acheter. Le groupe des moins de 35 ans avait un taux de propriété de 43 % avant la crise. Ce taux est tombé à 34 % en 2016, mais remonte maintenant et est au-dessus des 36 %.

Il observe aussi que plus de 50 % de la demande en bois provient du marché de la rénovation. L'analyste voit ce marché connaître une progression de 6 % par année en 2019 et en 2020, en s'appuyant sur une étude de Harvard qui conclut même à une croissance supérieure.

Du côté de l'offre, il voit les ravages du dendroctone et les feux de forêt faire tomber les volumes de bois en provenance de la Colombie-Britannique de 11,5 milliards pmp en 2017 à 9 milliards pmp en 2018.

M. Quinn reconnaît que plusieurs scieries pourraient s'ajouter dans les prochaines années et estime que les volumes devraient augmenter de 6,6 milliards pmp sur 2020, une hausse de 3 %. Il souligne que l'une des difficultés pour ajouter de la capacité réside désormais dans le fait qu'il ne reste plus que deux fournisseurs intégrés d'équipements et que le carnet de commandes chez ces deux fournisseurs est maintenant de deux ans. L'imposition de tarifs sur l'acier vient aussi rendre les projets plus chers qu'auparavant.

L'argumentaire des pessimistes

Sur l'ajout de capacité à venir, la plupart des pessimistes voient la même chose que RBC.

Mais c'est à peu près le seul point d'accord.

Côté offre, Mark Wilde, de BMO, estime par exemple que la poussée de prix en 2018 est principalement attribuable aux problèmes dans l'Ouest canadien. Les feux de forêt ont ralenti la production. Mais ils étaient exceptionnels et sont éteints. Le dendroctone continue de causer des dommages, mais il serait étonnant que l'on décide de couper moins à un moment où les prix demeurent bons.

Le grand désaccord se situe cependant au chapitre de la demande. Si RBC voit 1,35 million de mises en chantiers aux États-Unis en 2019 et 1,425 million en 2020, Hamir Patel, de Marchés mondiaux CIBC, n'en voit que 1,27 million en 2019 et 1,21 million en 2020. C'est toute une différence qui fait que, à ses yeux, le secteur pourrait encore reculer prochainement.

Qui a raison ?

En 2017, il y a eu 1,206 million de mises en chantier aux États-Unis, et en 2018, le consensus est autour de 1,275 million. On a personnellement l'impression que la fin du cycle est plus près que lointaine. On ne resterait pas trop profond dans le bois.

 

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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