Le marché a-t-il trop peur de ces titres?


Édition du 10 Mars 2018

Le marché a-t-il trop peur de ces titres?


Édition du 10 Mars 2018

En ­Bourse, on a une indomptable peur de l’avion. [Photo : WestJet]

Qui cherche la peur trouve-t-il immanquablement l'occasion ? L'interrogation nous est venue il y a quelques jours en butinant dans notre univers d'analyses, à la recherche d'occasions intéressantes.

« Le marché exagère la menace et met une pression indue sur le titre », disait l'un. « Les craintes sont trop importantes et se dissiperont », disait un autre.

De quoi rappeler une maxime attribuée au baron Nathan Mayer Rothschild, qui aurait un jour déclaré : «Il faut acheter quand le sang est dans les rues. »

La peur peut effectivement parfois générer d'intéressantes occasions d'achat. Il suffit de se rappeler la culbute de SNC-Lavalin, en 2012. En quatre mois, le titre était tombé de 55 $ à 35 $ à la suite des malversations de l'entreprise et d'inquiétudes qu'elle ne puisse jamais s'en remettre. Il est depuis revenu à son niveau d'antan. On peut aussi penser à Bombardier, qui, il n'y a pas si longtemps, était à 1 $, à cause des multiples inquiétudes des investisseurs, et qui n'est aujourd'hui pas très loin des 4 $.

Miser sur la peur n'est cependant pas une garantie de rendement. Il peut en effet arriver que les craintes soient totalement fondées et, parfois même, que la réalité devienne pire que ce qui était attendu. Parlez-en à certains investisseurs du commerce du détail. Les premières peurs quant à Amazon étaient trop faibles par rapport à la menace réelle.

Y a-t-il actuellement des titres touchés par la peur ?

On en a retenu quatre, au hasard de nos lectures. Ceux qui sont plombés par une peur bleue ont été évités, histoire de ne pas s'exposer à trop de risque. On s'est plutôt attardé à ceux touchés par une certaine crainte. Rapide regard sur leur situation.

BCE (BCE, 56,30 $) et Rogers (RCI.B, 58,53 $)

Le secteur des télécoms, réputé pour sa stabilité (et dans les dernières années, sa croissance), se fait secouer depuis quelques semaines. Telus offre une relative résistance, mais le titre de BCE est en recul de plus de 10 % sur la mi-décembre. Idem pour Rogers, qui est même en recul de 15 % sur un sommet de novembre.

La cause ?

Deux éléments de crainte. Une possible hausse des taux d'intérêt et l'arrivée de Shaw sur le marché du sans-fil. Depuis qu'elle a acquis Wind Mobile, Shaw l'a rebaptisée Freedom Mobile et a beaucoup investi dans ses réseaux en Alberta, en Colombie-Britannique et en Ontario. Elle peut maintenant offrir l'iPhone et plusieurs redoutent qu'elles ne réduisent les prix.

La Banque du Canada et l'inflation sont aussi redoutées, car une hausse des taux d'intérêt rendrait éventuellement moins attrayant le rendement de dividende de BCE (5,1 %) et de Rogers (3,2 %) par rapport aux obligations 10 ans. Pour maintenir l'écart entre les deux taux, les titres devraient vraisemblablement reculer.

Le marché a-t-il trop peur ?

Opinion. On est ambivalent. Shaw a apparemment pas mal réduit les prix en décembre, ce qui a accentué la chute des titres des concurrents. Mais l'effort promotionnel semble depuis s'être relâché. Une ou deux hausses de taux d'intérêt semblent aussi dans les cours, mais si ça devait grimper davantage ?

On notera que le titre de BCE se négocie à plus de 8 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) anticipé pour 2018 et à 7,6 fois celui de 2019. Avec une croissance du bénéfice de 2,9 % en 2018 et 3 % en 2019. À titre de comparaison, Rogers se négocie à 7,9 fois et 7,61 fois avec des croissances anticipées de 5 % et de 4 %.

Si l'on croit que la hausse des taux d'intérêt canadiens sera limitée et que la concurrence de Shaw ne sera pas trop agressive, il vaut probablement mieux jouer Rogers que BCE. Les multiples se ressemblent, mais la croissance du bénéfice anticipée est plus élevée chez Rogers. Le rendement de dividende est cependant plus faible.

MolsonCoors (TAP, 76,28 $ US)

Vous vous demandez pourquoi MolsonCoors a acheté le brasseur de Shawinigan Le trou du diable ? Le geste fait partie d'une stratégie destinée à renverser la tendance des ventes et à rassurer le marché.

Les ventes de bières légères et économiques reculent. La difficulté est que 85 % des ventes de MolsonCoors sont liées au segment. Il faudrait que l'entreprise réussisse à gagner en exposition aux marchés en croissance, soit ceux des bières mexicaines, artisanales ou des boissons de malt alcoolisées. Ce qui n'est pas facile avec un ratio d'endettement assez élevé (4,7 fois le BAIIA).

Ce n'est pas pour rien que le titre est en recul de plus de 20 % sur un an.

Trop de craintes ?

Oui, croit Credit Suisse. L'analyste Laurent Grandet estime que le marché ne réalise pas encore que la réforme fiscale américaine fera passer le taux d'imposition de MolsonCoors de 27 % à 20 %, ce qui lui libérera 100 millions de dollars américains par année.

Ses concurrentes, qui ont souvent des sièges sociaux à l'extérieur des États-Unis, ne retireront pas autant de bénéfices.

M. Gaudet estime que 40 % de la somme descendra au bénéfice et que 60 % sera investi dans la promotion de quatre nouvelles bières sur lesquelles l'entreprise travaille depuis six mois (Sol, Arnold Palmer Spiked et Two Hats [citron naturel et ananas naturel]).

Du coup, le bénéfice ne fera plus marche arrière, mais marche avant (+10 % en 2018 et encore +9 % en 2019). La dette diminuera à 3,5 fois le BAIIA sur 2019 et les multiples gonfleront. En accolant un multiple de 17 à l'anticipation 2019, l'analyste obtient une cible à 94 $ US.

Opinion. Il y a effectivement peut-être ici quelque chose d'intéressant, bien que la cible semble un peu optimiste.

WesJet (WJA, 26,00 $)

Ce n'est pas d'hier que des craintes entourent le titre de WestJet. Depuis quelques années, il piétine alors que la plupart des actions des sociétés aériennes nord-américaines ont au moins fait un doublé. À 4,6 fois le bénéfice avant intérêts, impôts, amortissement et location (BAIIAL), le multiple est déprimé. Aux États-Unis, la moyenne du secteur se situe en effet plutôt autour de 6,2 fois (selon l'univers de Canaccord Genuity).

L'ajout de capacité d'Air Canada inquiète toujours un peu, mais c'est surtout aujourd'hui le lancement de Swoop, la nouvelle filiale de WestJet, qui soulève des préoccupations.

Beaucoup redoutent que le nouveau transporteur à très faible prix (prévu pour juin) ne vienne cannibaliser le marché de WestJet. Au même moment, de nouvelles sociétés à très faibles prix comme EnerJet et Flair Airline (ancien New Leaf) planchent aussi sur des plans d'expansion.

Ben Cherniasky n'est pas d'accord. L'analyste de Raymond James croit que le marché punit avec excès le titre de la société. À son avis, Swoop ne générera vraisemblablement pas un bénéfice qui soit significatif, mais la filiale contribuera à éliminer EnerJet et Flair, et elle permettra éventuellement à WestJet d'avoir une meilleure rentabilité et de meilleurs multiples. Sa cible sur le titre est à 31 $.

Opinion. La thèse se défend, mais, en Bourse, on a une indomptable peur de l'avion. Particulièrement lorsque les cycles économiques sont avancés.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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