La Banque du Canada vend son or, faut-il faire de même?

Offert par Les Affaires


Édition du 19 Mars 2016

La Banque du Canada vend son or, faut-il faire de même?

Offert par Les Affaires


Édition du 19 Mars 2016

Ça y est. Le pays ne détient plus une seule once d'or. La Banque du Canada a récemment vendu ses derniers lingots. Temps pour nous de faire de même ?

Le faible intérêt de la Banque du Canada pour le métal précieux ne date pas d'hier. Depuis des années, elle liquide ses réserves d'or. Et commet ainsi une double erreur : celle de nuire à la création d'emplois bien rémunérés au pays ; celle, surtout, d'affaiblir sa capacité à répondre à un éventuel cataclysme économique.

Pourquoi la Banque a-t-elle vendu son or ?

Ce n'est pas sans logique. Détenir de l'or a un coût. On ne reçoit pas d'intérêt sur des lingots d'or, et il faut payer pour les entreposer en toute sécurité. Détenir des devises étrangères fait qu'on peut recevoir des intérêts dans les comptes où elles sont conservées, et il n'y a pas de réels coûts de détention. Pourquoi la Banque n'aurait-elle pas dû vendre, dans ce cas ?

D'abord, en raison d'une question de principe qui concerne l'emploi. Le Canada est une économie de ressources naturelles, et l'or est une de ses plus grandes richesses. Ce n'est pas pour rien qu'à l'international, l'expertise minière et aurifère canadienne est si reconnue.

En se délestant de son or, le Canada contribue depuis des années à affaiblir ce marché et à entretenir le courant qui veut que le métal jaune ait perdu son caractère d'actif monétaire. Contribuer à affaiblir le prix d'une de ses richesses n'est certainement pas favorable à la création d'emplois. D'autant que ces emplois, bien rémunérés, contribuent fortement au trésor public.

Notons, en aparté, qu'aux États-Unis, il est explicitement prévu que la Fed doit conduire une politique monétaire qui vise «l'emploi maximum et la stabilité des prix». Au Canada, il n'y a aucune référence à l'emploi, l'objectif de la politique monétaire étant simplement de maintenir un niveau d'inflation bas et faible. Évidemment, la Fed ne conserve pas son or à cause de cet objectif ; la banque centrale américaine vise essentiellement à expliciter le fait que ses décisions ciblent l'atteinte du plein emploi. Il aurait quand même été bien d'enchâsser le mot «emploi» dans la définition des objectifs de la Banque du Canada. Juste pour qu'il s'impose davantage encore dans son esprit. Fin de l'aparté.

L'autre faute de la Banque réside dans son évaluation du risque financier à long terme.

Elle a actuellement dans ses réserves monétaires 48,6 milliards de dollars américains et 22,5 G$ d'autres devises.

Postulons le scénario suivant. Des engins nucléaires ou des attaques chimiques d'envergure sont simultanément déclenchés à New York, Los Angeles et Washington. Que préférez-vous avoir dans vos poches ? Un bon paquet de devises américaines ou des pépites d'or ?

Pendant un long moment, la société américaine sera désorganisée et sa devise risque de ne plus valoir grand-chose. Notre économie étant intimement liée à celle de nos voisins du Sud, notre sort ne serait guère plus brillant et le huard plongerait lui aussi.

L'or est le seul intermédiaire de marché universellement reconnu qui ait traversé l'histoire. D'où son étiquette de «valeur refuge».

Vous trouvez l'exemple exagéré ?

Warren Buffett parle de nouveau de ce risque de cataclysme nucléaire ou chimique dans sa lettre annuelle 2015. Certes, dit-il, la probabilité d'un événement catastrophique est faible. «Néanmoins, ce qui est une faible probabilité sur une période "court terme" s'approche de la certitude sur une période "long terme". S'il n'y a qu'une chance sur trente qu'un événement se produise sur une période d'un an, la probabilité que cet événement survienne au moins une fois dans le prochain siècle est de 96,6 %», écrit-il.

Un État se doit de gérer à court et à très long terme. C'est justement parce qu'il n'y a aucune certitude quant à l'avenir que la Banque du Canada aurait dû conserver son or. Il ne s'agit pas de détenir l'entièreté de ses réserves en métal précieux, mais de posséder quelques actifs sur lesquels nous pouvons assurément nous rabattre si l'inenvisageable devient soudainement réalité.

Faut-il vendre notre or ou en faire le plein ?

Si la question se pose pour la Banque, elle se pose aussi pour nous. Devrions-nous détenir ou acheter de l'or ?

S'il y a un coffre de joaillerie dans la maison, c'est une valeur intéressante à conserver.

Détenir des actions de sociétés aurifères est plus incertain. Car rien ne garantit qu'en cas de pépin, ces sociétés continueraient de fonctionner. Quant au FNB aurifère, il y a toujours une question d'accès à l'actif garanti par le papier en sa possession.

Il se trouve néanmoins des gestionnaires qui croient qu'une allocation de portefeuille devrait toujours avoir une petite exposition au secteur aurifère.

Temps de jouer le secteur ?

Pas sûr. Il ne faut pas non plus qu'en cherchant à se garantir contre un faible risque sur notre horizon de vie, nous nous exposions à une importante perte en capital.

Depuis le début de l'année, le prix de l'or est en hausse de 17 % et l'indice S&P/TSX Global Gold a bondi de 34 %.

C'est une solide progression qui s'explique notamment par toute l'incertitude mondiale, et particulièrement par le fait que le dollar américain recule. Le marché doute maintenant que la Fed continue de hausser ses taux d'intérêt. L'anticipation de hausse de taux s'étant retirée du marché, le dollar a faibli, et un dollar qui faiblit est bon pour une hausse du prix de l'or puisque, en devises locales, il rend le métal plus accessible.

La difficulté est qu'on voit mal quel catalyseur peut maintenant se profiler à l'horizon pour permettre au prix de l'or de poursuivre son élan. Il vaut probablement mieux ne pas surpondérer dans le métal précieux en ce moment.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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