Économie : apocalypse en vue ?

Publié le 20/09/2010 à 08:29, mis à jour le 20/09/2010 à 14:39

Économie : apocalypse en vue ?

Publié le 20/09/2010 à 08:29, mis à jour le 20/09/2010 à 14:39

Photo : Bloomberg

Blogue. Les récentes statistiques économiques en laissent plusieurs songeurs. Au point où certains se demandent si la récente déroute financière et économique ne serait pas le début de quelque chose de pire... Voici la première chronique de François Pouliot que vous pouvez lire chaque semaine dans Les Affaires.

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«Et les fruits mûrs que convoitait ton âme s'en sont allés, loin de toi; et tout le luxe et la splendeur, c'est à jamais fini pour toi, sans retour. » (Apocalypse chap. 18,14). 

Telle est la prophétie, tel est le scénario qui nous attend ? La question nous trotte à l'esprit depuis quelques semaines.

Ce que trois mois peuvent faire. À quelle vitesse allait l'économie américaine au premier trimestre ? PIB en hausse de plus de 3,7 %. À quelle vitesse est-on allé au deuxième trimestre ? + 1,6 %. Le produit intérieur brut, qui faisait flèche de tout bois, a soudainement vu sa progression reculer de plus de 50 %.

Et ça sent encore la décélération. Malgré des stimuli économiques sans précédent, le taux de chômage continue de stagner autour de 9,5 % aux États-Unis, et alors qu'on espérait une embellie sur le marché immobilier, on a plutôt assisté à une détérioration.

Il n'en fallait pas plus pour que ce mot terrible ne refasse surface : déflation. Ce qui signifie recul généralisé des prix (et éventuellement des salaires et des emplois), faute d'une demande suffisante de biens et de services.

Deux moments où la plaie s'abattit

1. La crise de 1929. Entre cette année-là et 1933, les prix à la consommation ont glissé de 27 %, et ceux des maisons, de 31 %. Le PIB a reculé du tiers, et le marché boursier, de 90 % (oui, oui, vous avez bien lu !).

2. L'expérience japonaise. Un peu moins dramatique, mais à peine. Le prix des maisons est toujours 60 % en dessous de celui du début des années 1990, l'indice Nikkei est inférieur de 70 % et le PIB nominal actuel est encore au niveau de... 1991.

D'où notre interrogation apocalyptique.

Oui, mais...

Oui mais, dira-t-on, il ne faut pas exagérer le risque de déflation et son ampleur ici.

La Banque du Canada vient justement de hausser son taux directeur. Habituellement, une banque centrale ne monte-t-elle pas les taux lorsque la demande risque de dépasser la capacité de production, et qu'il y a un danger d'inflation plutôt que de déflation ?

Juste. Avec un PIB qui roulait à 5,8 % au premier trimestre, on peut d'ailleurs comprendre que la banque centrale soit un peu inquiétée d'un risque de surchauffe. L'économie canadienne va mieux que celle des États-Unis. Néanmoins, on ne serait pas étonné de voir la Banque faire une pause au cours des prochains mois. Le PIB n'a en effet avancé que de 2 % au deuxième trimestre, en nette décélération. Surtout, le Canada et les États-Unis forment probablement la zone économique la plus intégrée du monde. Si l'économie américaine voit globalement ses prix et sa croissance glisser vers le bas, il serait étonnant qu'on parte vers le haut...

Probabilité et ampleur d'une déflation

Pour l'heure, les économistes sont partagés sur la probabilité d'une déflation. La plupart d'entre eux ne voient pas l'économie retomber en récession.

RBC Marchés des Capitaux n'en estime pas moins que le marché des options table actuellement sur une probabilité déflationniste de 25 % sur un an et de 35 % sur deux ans.

On miserait sur plus que cela. Les pouvoirs publics commencent à manquer de ressources pour soutenir l'économie (les 50 milliards de dollars de stimulation supplémentaire que propose l'administration Obama ne seront vraisemblablement pas acceptés par le Congrès, et la taille relativement petite de cette stimulation est une illustration de la détérioration des finances publiques). Pendant ce temps, les consommateurs et les entreprises américaines n'envoient pas encore un signal convaincant qu'ils sont disposés à prendre le relais. Peu surprenant. Un indicateur du Congressional Budget Office (le output gap) indique que pour que la demande soit de nouveau équilibrée avec la capacité de production, l'économie américaine devra croître d'encore 4 % par année pendant trois ans. Rien pour inciter les entreprises à investir rapidement et massivement. Rien non plus pour bien soutenir les prix, l'emploi et les salaires.

Voilà pour le risque, qu'on n'aurait pas de difficulté à établir à 50 %. Reste à voir l'ampleur d'une éventuelle déflation. On laisserait de côté le scénario apocalyptique. On compte quand même un important amortisseur de choc : la croissance de l'Asie. Cependant, n'oublions pas que cette croissance est en partie tributaire de l'économie et de la consommation américaines. On ne parlerait pas d'une récession de type carnage comme en 1929 et en 1990, mais de type plus bénin comme celles qui ont été traversées depuis l'après-guerre.

Que faire ?

Peu d'options. En période déflationniste, presque tout le monde souffre. Les ratios et les bénéfices se compressent, ce qui mène la Bourse à la baisse.

Chad McAlpine, analyste chez RBC, s'est penché sur la question. Quels titres peuvent résister ? Ceux qui respectent ces trois critères : une évaluation raisonnable, un bon historique de croissance des bénéfices, un dividende sûr pour aider à soutenir l'action. Douze sociétés, dont huit du Québec, passent le test : Astral, BCE, CAE, Cogeco, Corus, Couche-Tard, Groupe TMX, Metro, Saputo, Shaw, Shopper's Drug Mart et Transcontinental.

" Heureux le lecteur et les auditeurs de ces paroles prophétiques s'ils en retiennent le contenu, car le Temps est proche. "

(Apocalypse, chap.1,3).

 


À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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