Comment le chroniqueur est tombé dans un piège


Édition du 16 Septembre 2017

Comment le chroniqueur est tombé dans un piège


Édition du 16 Septembre 2017

[Photo: 123rf.com]

On vous avait parlé, il y a quelques semaines, de Dick's Sporting Goods (DKS, 26,82 $ US), le détaillant sportif, en quelque sorte le Sports Experts-Atmosphère des États-Unis. Quelque 675 boutiques réparties sur le territoire de l'Oncle Sam.

Le titre venait de connaître une plongée printanière de 23 %, après que la progression des ventes des établissements comparables eut déçu (anticipation de la direction entre 3 et 6 %, résultat de 2,4 %). Le bénéfice était conforme aux attentes, mais des craintes commençaient à germer à l'effet que les choses se compliquaient peut-être. Amazon venait d'acquérir Whole Foods, et de plus en plus de commentateurs estimaient que le géant de la vente en ligne allait maintenant tout «bulldozer».

La direction avait annoncé au marché qu'elle réduisait significativement son plan d'expansion de magasins physiques, mais elle avait maintenu à ce moment son aperçu de bénéfice pour l'exercice en cours (3,65 $-3,75 $ US par action). Une indication qu'elle ne percevait pas un si grand péril pour sa rentabilité.

Personnellement, on jugeait sage le gel du plan d'expansion physique, tout en demeurant fort dubitatif devant la menace Amazon et Internet. La force de la correction observée (23 %) nous apparaissait hors de proportion. Notre perception était (et est toujours) que le consommateur moyen voudrait continuer d'essayer vêtements et équipements, et qu'il poursuivrait sa fréquentation des commerces physiques. Simplement pour s'éviter la complexité des retours postaux ou autres.

Le titre ne se négociait alors qu'à 11 fois le bénéfice anticipé, un très faible multiple pour une croissance des bénéfices anticipée de 18 % sur l'année précédente. Quelques faillites avaient eu lieu dans le secteur ; les stocks excédentaires allaient finir par s'écouler, et le multiple, par se redresser. Risque limité, potentiel intéressant. D'où le titre de la chronique : «Dick's devient très tentant».

Fin juin, l'action allait un peu faiblir. Et on allait finalement se commettre, mais en achetant la moitié seulement des positions que l'on a l'habitude de prendre. Au cas où un meilleur prix se présenterait plus tard.

La suite

Mi-août, un samedi soir, en vacances à Lake George, dans l'État de New York, petite visite au cinéma, que jouxte justement un magasin Dick's. Une bannière bien en évidence à l'entrée : «Garantie du meilleur prix. Si vous trouvez mieux ailleurs, nous égalons.»

«Oh-oh, cette politique n'était pas là il y a quelques semaines ! Ça semble chauffer sur les prix et les parts de marché. Serais-je tombé dans un piège ?»

Deux jours plus tard, Dick's publie ses résultats trimestriels. Le piège se referme : chute de 25 % du titre. Le bénéfice prévu par la direction pour l'exercice vient de passer de 3,65-3,75 $ par action à 2,80-3 $.

Depuis, c'est la valse-hésitation. Faut-il vendre Dick's ? En racheter pour se faire une moyenne ? Plutôt aller voir du côté de Big 5 Sporting Goods (BGFV, 7,88 $ US), un détaillant plus petit, dans l'ouest des États-Unis, mais dont le dividende (0,60 $ US) est couvert par les bénéfices et offre actuellement un rendement de 8 % ? Ou encore parier sur Lululemon (LULU, 62,37 $ US) qui, elle, a récemment battu les attentes ?

D'où vient l'effondrement ? Certainement pas d'Amazon, le temps écoulé depuis l'affermissement des craintes étant beaucoup trop court. Il semble plutôt y avoir convergence de plusieurs facteurs négatifs. La direction parle de surplus de stocks importants, particulièrement dans le créneau de la chasse. Chacun guerroie pour ne pas perdre de parts de marché et coupe ses prix. La demande pour les articles athlétiques n'est pas claire : certains analystes estiment qu'elle tient, et d'autres, qu'elle faiblit.

En parallèle, les grandes marques, comme Nike, Under Armour et Adidas, semblent vouloir élargir leur réseau de distribution et se livrent à une guerre sur les prix. Nike est notamment réputée avoir baissé le prix de ses produits, ce qui rend plus difficile la croissance des ventes comparables des détaillants spécialisés et semble compresser leurs marges. Under Armour a récemment introduit ses produits chez le détaillant généraliste Kohl's. Bien que le marchand ne vienne pas nécessairement voler beaucoup de clientèle, il peut forcer des ajustements de prix à la baisse.

Nike est aussi réputée préparer son arrivée sur Amazon afin de vendre directement ses produits à la clientèle.

Seule Lululemon semble en fait réussir à tirer son épingle du jeu, avec des ventes comparables en hausse de 7 % au dernier trimestre. Pourquoi ? Lululemon semble pour l'instant relativement à l'abri de la concurrence (en ligne ou physique), sa clientèle étant prête à payer le plein prix pour des produits uniques, que la concurrence n'est pas encore parvenue à imiter.

Que faire ?

Lululemon n'est pas notre préférée. On aime ses produits, mais pas son multiple de 25 fois le bénéfice anticipé. L'histoire nous a appris que l'engouement pour des marques finit toujours par s'essouffler.

Big 5 est attrayante, mais on la connaît moins et on est maintenant échaudé par le secteur.

Vendre Dick's, alors ?

Le titre n'est quand même qu'à 9,6 fois le bénéfice attendu. En 2009, lors de la crise, le multiple avait atteint un creux de 9,5 fois le bénéfice attendu. Bien que des turbulences supplémentaires s'annoncent, le marché semble les percevoir avec trop de pessimisme. Le marché devrait se consolider au fil du temps, des détaillants (d'articles de sport ou pas) être éliminés, ce qui devrait permettre à Dick's de gruger un peu plus dans l'assiette du détail. Best Buy est déjà passée par une situation apparentée et a finalement réussi à tirer son épingle du jeu.

On reste donc dans le piège, bien conscient que d'autres déceptions sont possibles, mais avec l'intuition qu'il est trop tard (ou trop tôt !) pour vendre.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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