Cols bleus: financièrement, Montréal joue curieusement ses cartes

Publié le 14/12/2015 à 18:34

Cols bleus: financièrement, Montréal joue curieusement ses cartes

Publié le 14/12/2015 à 18:34

Photo: Shutterstock

La Ville de Montréal y va de sanctions à l'endroit de ses cols bleus parce qu'ils ont participé à une assemblée syndicale sur leurs heures de travail. Judicieux?

Clairement nous venons d'entrer dans une situation où les deux parties ont décidé d'avoir recours à l'intimidation. Le syndicat des cols bleus en appelait la semaine dernière à une radicalisation des moyens à mettre de l'avant pour contrer la loi 15 du gouvernement du Québec. Cette loi permettra aux administrations municipales d'ultimement décréter des conditions de travail. "Just watch me", ont notamment dit plusieurs à la sortie de l'assemblée.

La veille, l'administration municipale avait pris soin d'obtenir de la Commission des relations de travail (CRT) une ordonnance enjoignant à tous les membres du syndicat des cols bleus de ne pas se présenter à cette assemblée sur leurs heures de travail et de fournir leur prestation habituelle.

On a eu un intéressant échange en journée lundi avec Simon-Pierre Hébert, avocat spécialisé en droit du travail chez BCF. Me Hébert donne uniquement le droit.

Première question: la Ville est-elle en droit d'y aller de sanctions?

Il y a clairement cessation de travail, concertée, par un groupe de salariés alors que la convention collective est toujours en vigueur. C'est une grève illégale, et la décision de la CRT vient le corroborer. De l'avis de Me Hébert, aux yeux du droit, les sanctions sont justifiées.

Deuxième question: la force des sanctions est-elle juste ou excessive?

Pas moins de 2400 cols bleus seront suspendus sans salaire pendant une semaine. L'exécutif syndical, présidente incluse, est suspendu sans solde pour deux mois.

Ici, Me Hébert ne peut se prononcer. Le fait d'avoir été à l'encontre d'une ordonnance de la CRT est un facteur aggravant. Il est possible qu'un arbitre juge juste la force de la sanction. Il est aussi possible qu'il juge qu'elle est excessive et que la Ville soit plus tard forcée de rembourser un certain nombre de jours de salaire.

Troisième question: sur qui repose le fardeau de la preuve?

Sur l'administration municipale. C'est à elle de faire la démonstration que les 2400 salariés suspendus n'étaient pas au travail pendant l'assemblée. C'est une preuve qui doit être faite pour chacun des employés. Elle sera difficile étant donné le grand nombre de suspensions.

Conclusion?

La nôtre.

Les cols bleus ont évidemment tort. L'intimidation est une tactique qui a fait son temps et qui, dans le contexte d'aujourd'hui (réglementaire et d'opinion publique) n'a aucune chance de succès.

Financièrement, la Ville de Montréal sort cependant un peu rapidement le bazooka. Elle aurait pu plutôt brandir la menace de sanctions sur les employés (sans les appliquer) et attaquer uniquement l'exécutif syndical, à la fois avec les suspensions annoncées et du côté de la Commission des relations de travail (sur une base d'outrage au tribunal).

Nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation où la Ville devra utiliser sa trésorerie pour financer une preuve qui risque d'être sans succès dans nombre de cas. Elle devra de même défendre des sanctions qui sont en zone grise et qui l'exposent à des remboursements. Cela, après que des coûts supplémentaires aient vraisemblablement été enregistrés pour fournir les services durant les suspensions.

D'un point de vue intimidation et spectacle, il n'y a pas de doute que Montréal frappe fort. D'un point de vue gestion des deniers publics, c'est moins sûr.

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À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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