Bombardier: la commande de Delta est en péril

Publié le 26/09/2017 à 23:06

Bombardier: la commande de Delta est en péril

Publié le 26/09/2017 à 23:06

La décision du Département du commerce américain d'imposer des droits compensatoires de 220% sur le CSeries menace-t-elle Bombardier d'une annulation de commande de Delta et, conséquemment, d'importantes mises à pied?

La question nous taraude depuis quelques jours.

Attrapé en vitesse lors d'un point de presse impromptu devant le siège social de Bombardier, mardi soir, le porte-parole de Bombardier s'est montré prudent.

"Au moment où on se parle, la séquence des événements fait que les livraisons de Delta vont arriver après une décision finale, c'est une question qui ne se pose pas vraiment. On est à une décision préliminaire et confiant que les faits vont être de notre côté au moment de la décision finale", a dit Olivier Marcil, vice-président, Relations externe de Bombardier.

On voit cependant personnellement mal comment cette commande pourra tenir, du moins en totalité.

Les 75 appareils CS 100 commandés par Delta doivent commencer à être livrés au printemps 2018.

La décision de la US Trade Commission, qui établira les droits finaux, devrait de son côté être rendue en février 2018. La commission américaine aura à ce moment également à statuer sur d'autres droits, antidumping ceux-là, qui pourraient venir s'ajouter dès la semaine prochaine. Une source chez Bombardier indiquait mardi que Boeing demandait initialement des droits antidumping de… 143%. On peut voir d'ici l'ampleur des droits totaux qui pourraient bientôt être appliqués sur le CSeries aux États-Unis.

Certes, la US Trade Commission pourrait annuler ou abaisser les droits compensatoires (et antidumping), mais, si on en croit les décisions antérieures de l'organisme, il est probable qu'ils demeureront à un niveau fort élevé et que le Canada devra saisir des tribunaux internationaux d'arbitrage pour tenter de faire casser la décision. Le processus sera long. Des années.

À compter de février 2018 et pour les années à venir, quelle sera la situation de Bombardier?

Trois options lui semblent disponibles.

1-Forcer Delta à prendre livraison d'appareils qui pourraient potentiellement avoir triplé de prix. C'est une option sur papier. Mais pour l'établissement de relations d'affaires futures avec d'autres transporteurs, il est fort douteux que la ligne dure soit l'avenue à emprunter.

2-Baisser les prix accordés à Delta de manière à ce qu'elle ne paie pas beaucoup plus cher que ce qui était initialement convenu, après les droits.

C'est ce qui s'est traditionnellement fait dans le passé dans les conflits du bois d'œuvre. Les producteurs baissaient leur prix de manière à ce qu'une fois les droits imposés, le bois canadien puisse être offert à des prix semblables à celui du bois américain. Les producteurs opéraient souvent à perte, mais le gouvernement garantissait leur marge de crédit. Une fois le conflit réglé, ils récupéraient en bonne partie les droits perçus, ce qui leur permettait de se renflouer.

La différence ici se situe dans le bilan de Bombardier (lourd endettement) et, il faut le reconnaître, la présence de l'État québécois au capital-actions de la société du CSeries. Si jamais Bombardier n'avait pas gain de cause sur toute la ligne elle serait dans quelques années forcée de conserver un bon morceau de dette à son bilan. Il y a ici un risque important de destruction de valeur pour les actionnaires. Sachant que la valeur d'une entreprise est constituée de la valeur de ses actions (capitalisation boursière) + sa dette, si la dette grimpe, la valeur des actions baissera. Et avec 75 appareils en commandes, aux tarifs actuels, on peut facilement additionner quelques milliards de dette nécessaire. Le tout est à mettre en perspective avec une capitalisation actuelle de 4 G$ US et un risque déjà présent de recours supplémentaire à l'endettement si le cycle actuel devait s'arrêter. Décision difficile pour le conseil d'administration, et pari qui n'est pas sans risque pour les gouvernements.

3-Annuler ou diminuer la commande de Delta

Dans cette situation, il y aurait peut-être moyen pour Bombardier d'obtenir une indemnité de la part de Delta. Le transporteur américain est probablement prêt à payer pour se sortir d'une commande qui risque de lui coûter les yeux de la tête. Les compensations reçues pour les appareils abandonnés pourraient peut-être servir en partie à payer les droits compensatoires des appareils conservés en commandes.

Certains avanceront un quatrième scénario, qui consisterait à vendre les CSeries à une société de location d'appareils hors les États-Unis, qui pourrait ensuite les louer à Delta. C'est un scénario peu probable. Il faudrait payer une marge bénéficiaire au locateur, et il serait très étonnant que les États-Unis permettent de faire indirectement ce que l'on vient d'empêcher directement.

De tous les scénarios, le troisième semble le plus probable. Quant à l'impact sur les emplois, ça demeure difficile à dire. L'effectif actuel n'est pas clair et il est difficile de voir jusqu'à quel point la commande de Delta servait à maintenir la cadence actuelle ou à l'augmenter. À long terme cependant, il faudra une centaine d'avions par année pour que le CSeries soit rentable. On est actuellement à 30-35. Avec le marché US fermé pour un bon bout de temps, il faudra vraiment beaucoup de commandes de l'international pour maintenir les emplois actuels.

 

 

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À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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