Alcoa : pourquoi ça chauffera


Édition du 16 Novembre 2013

Alcoa : pourquoi ça chauffera


Édition du 16 Novembre 2013

La nouvelle a secoué toute la province. Si Québec ne réduit pas les termes du nouveau contrat d'électricité qui doit entrer en vigueur en janvier 2015, Alcoa (NY, AA, 8,95 $ US) fermera ses usines de Baie-Comeau, Bécancour et Deschambault. Bas cyclique qui signale une occasion d'entrée aux investisseurs ou moment de prendre la poudre d'escampette ?

Avant d'aborder le volet investissement, quelques paragraphes sur l'intérêt collectif.

La question pour Québec est d'évaluer son rapport de force.

Un classement de la firme Wood Mackenzie place actuellement Deschambault et Bécancour aux troisième et quatrième rangs de la vingtaine d'alumineries d'Alcoa dans le monde en terme de coûts de production (cash costs). Leurs coûts sont de 0,74 $ US et 0,75 $ US la livre respectivement, ce qui les place au 28e et au 30e rang mondial. C'est moins bon pour l'unité restante de Baie-Comeau (après la fermeture des cuves Söderberg). Son coût de 0,82 $ US/livre la positionne dans la moyenne des usines, et au 52e rang mondial (on ne sait pas sur combien d'alumineries dans le monde, mais la dernière d'Alcoa est au 159e rang).

Évidemment, il s'agit des coûts avant la hausse du prix de l'électricité prévue pour 2015. On peut néanmoins voir que Québec a un peu d'espace de négociation pour faire des gains par rapport à l'entente actuelle (celle qui se termine en 2015). Alcoa ne fermera pas en effet ses meilleures usines.

Cela dit, le gouvernement pourrait peut-être aussi préférer s'assurer que le projet de remplacement des cuves Söderberg de Baie-Comeau (1,2 G$) ira de l'avant. Dans l'état actuel du marché (comme on le verra plus loin), on a personnellement des doutes qu'Alcoa ira de l'avant et les quelque 900 emplois qui restent là-bas semblent dans une zone plus à risque.

Passons maintenant au volet investissement.

Que se passe-t-il sur le marché de l'aluminium ?

Tout devrait normalement y être harmonieux. Au cours des 10 dernières années, la demande de ce métal blanc a en moyenne augmenté de 6,3 % par année, une hausse de loin supérieure à celle des autres métaux.

La demande mondiale allait notamment être amplifiée par l'arrivée de firmes d'investissement cherchant à profiter de bas taux d'intérêt pour spéculer sur le prix de la ressource.

Avec une telle demande, le prix de l'aluminium aurait dû «partir pour la gloire». C'était malheureusement sans compter sur la Chine.

Au cours de la dernière décennie, le pays a augmenté sa production de 18 % par année.

Résultat : après être demeurés sous le million de tonnes (Mt) pendant des années, les stocks d'aluminium entreposés au London Metal Exchange se promènent depuis 2009 au-dessus des 5 millions de tonnes.

Et le prix du métal blanc sur les marchés financiers a fondu à son plus bas niveau en quatre ans, à 0,80 $ US la livre.

Une possibilité de redressement ?

On ne peut pas dire que ça s'annonce très bien. Malgré la débandade du secteur, les Chinois continuent d'ajouter de la capacité, en investissant dans des projets d'alumineries, plus performantes que leurs anciennes usines, qui étaient parmi les moins performantes du monde. La capacité chinoise actuelle de production d'aluminium est évaluée de 20 à 27 Mt par année (sur un total mondial de plus de 45 Mt). La firme d'investissement Natixis note que si tous les projets déjà approuvés vont de l'avant, la capacité chinoise pourrait atteindre 40 Mt par année en 2015.

Comment expliquer que les Chinois n'aient pas encore appliqué les freins, dites-vous ?

Deux éléments de réponse.

Le régime communiste tolère plus longtemps des entreprises déficitaires que les régimes capitalistes de l'Occident.

En parallèle, un autre phénomène a ralenti les arrêts de production et les fermetures d'alumineries. Malgré un plus faible prix sur les marchés, les producteurs recevaient (et reçoivent toujours) une prime lors de la livraison aux entrepôts. Aussi curieux que cela puisse paraître, il y a sur le marché une forme de pénurie d'aluminium physique. La faute des grandes banques d'affaires dont on a parlé précédemment, qui, après avoir accumulé des lingots, roulent maintenant leurs positions sur le marché financier (achètent sur le marché spot et vendent à terme), mais doivent conserver le métal pour garantir celles-ci.

C'est ici que ça se corse pour Alcoa.

Le London Metal Exchange vient d'émettre une nouvelle règle, qui entrera en vigueur le 1er avril 2014, exigeant que les entrepôts dont les délais de livraison dépassent 50 jours livrent plus de métal qu'ils n'en reçoivent.

Les primes versées aux producteurs pour l'aluminium physique devraient donc prochainement se mettre à fondre, et il est probable que la rentabilité des Alcoa de ce monde souffrira encore plus.

La bonne nouvelle, c'est que de la capacité fermera sans doute alors en accéléré dans le monde. Et même en Chine. Ce qui devrait permettre aux prix de se redresser sur un an ou deux. La mauvaise, c'est que dans l'intervalle les résultats d'Alcoa souffriront encore davantage. On éviterait.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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