Warren Buffett a-t-il raison de craindre une attaque nucléaire?

Publié le 18/03/2016 à 21:12, mis à jour le 19/03/2016 à 09:24

Warren Buffett a-t-il raison de craindre une attaque nucléaire?

Publié le 18/03/2016 à 21:12, mis à jour le 19/03/2016 à 09:24

Warren Buffett (source photo: Bloomberg)

ANALYSE DU RISQUE– «Il n'y a aucun moyen pour les sociétés américaines ou leurs investisseurs d'éviter ce risque. Si un tel événement se produisait aux États-Unis et provoquait une destruction de masse, la valeur de toutes les actions serait certainement décimée.»

De quel risque parle-t-on? D'un risque majeur pour les investisseurs exposés au marché américain, c'est-à-dire qu'une attaque biologique, chimique ou nucléaire soit un jour perpétrée aux États-Unis.

Et c'est Warren Buffett qui sert cette mise en garde, dans sa dernière lettre annuelle aux actionnaires de Berkshire Hathaway(NY., BRK.B), publiée le 27 février.

Analysons le risque nucléaire, de loin le plus terrifiant des trois attaques potentielles.

Les spécialistes en sécurité analysent régulièrement le risque qu'un pays ou qu'une organisation terroriste attaque les États-Unis. Qu'un investisseur s'attarde à cet enjeu est extrêmement rare, et dénote certainement une inquiétude vis-à-vis ce risque.

Et ce n'est pas la première fois que Warren Buffett aborde cet enjeu.

Depuis 1977 (année la plus ancienne pour consulter ses lettres aux actionnaires sur le site de Berkshire Hathaway), il a évoqué le risque nucléaire à cinq reprises, soit en 2001, en 2002, en 2004, en 2005 et en 2015 - nous avons vérifié.

On comprend que les attentats du 11 septembre 2001 ont alimenté sa réflexion à ce sujet.

Dans sa plus récente lettre, Warren Buffett précise que la probabilité d'une destruction de masse aux États-Unis à court terme, c'est-à-dire pour une année donnée, «est probablement très faible». Par contre, à long terme, cette probabilité «se rapproche de la certitude», soutient-il.

Et pour appuyer son propos, il donne un exemple probabiliste.

«S'il y a seulement une chance sur trente qu'un événement se matérialise dans une année donnée, la probabilité qu'il se produise au moins une fois dans un siècle est de 96,6%.»

Par conséquent, l'oracle d'Omaha estime qu'une attaque nucléaire, biologique ou chimique aux États-Unis est presque inévitable à long terme.

Et il y va de ce sombre constat:

«La mauvaise nouvelle, c'est qu'il y aura toujours des gens et des organisations et peut-être même États qui voudront infliger un maximum de dégâts à notre pays. Leurs moyens de le faire ont augmenté de façon exponentielle au cours de ma vie. "L'innovation" a son côté sombre», écrit-il.

Warren Buffett a-t-il raison de s'inquiéter autant? Les États-Unis courent-ils vraiment le risque de subir une attaque nucléaire perpétrée par un État ou une organisation terroriste?

S'il y a lieu de se préoccuper de ce risque, les craintes soulevées par le plus célèbre investisseur vivant semblent exagérées.

Commençons par le risque d'une attaque venant d'un autre pays. À vrai dire, il est très limité, voire pratiquement nulle, même à long terme, affirment les spécialistes.

Pendant la guerre froide, Washington et Moscou n'ont jamais utilisé leurs armes atomiques.

Et depuis la chute du mur de Berlin, en 1989, les neuf puissances nucléaires (États-Unis, Russie, France, Chine, Israël, Inde, Pakistan, Royaume-Uni, Corée du Nord) ne se sont pas non plus fait la guerre.

Pourquoi les puissances nucléaires ne se font pas la guerre

La raison est fort simple: le prix à payer est tout simplement trop élevé. Des villes seraient détruites, des millions de personnes mourraient, sans parler de la contamination radioactive de l'environnement (air, terre, eau) pour des décennies.

Tous les leaders des puissances nucléaires de la planète ont à l'esprit la destruction des villes japonaises d'Hiroshima (le 6 août 1945) et de Nagasaki (le 9 août 1945) par les Américains.

Voilà pourquoi les États-Unis et l'ex-URSS n'ont jamais utilisé leurs armes atomiques durant la guerre froide, tout comme l'Inde et le Pakistan, pourtant deux ennemis jurés.

La destruction mutuelle est un gage de paix entre puissances nucléaires.

L'américain Kenneth N. Waltz (1924-2013), une figure de proue de la théorie des relations des relations internationales, explique cet enjeu dans plusieurs essais.

Cela dit, le risque zéro n'existe pas, même dans le cas d'une attaque nucléaire.

Nous vivons dans un monde où les pays sont en train d'accroître ou de moderniser leur arsenal nucléaire, soulignait The Economist en 2015 dans The new nuclear age: why the risks of conflict are rising.

Une situation préoccupante, car «le risque que quelqu'un utilise un jour une arme atomique est plus grand», écrit le magazine britannique.

Et le risque terroriste?

Pour sa part, le risque qu'une organisation terroriste fasse exploser une bombe atomique aux États-Unis est plus complexe.

Car, dans un tel scénario, la force de dissuasion nucléaire des Américains serait neutralisée, d'autant plus s'il s'agit d'un attentat nucléaire anonyme.

Qui frapper en guise de représailles?

La réflexion de Kenneth Waltz est encore une fois incontournable pour analyser ce risque, qui est beaucoup moins élevé qu'il n'y paraît à première vue.

Aussi puissante soit-elle, une organisation terroriste ne peut pas se doter et utiliser une bombe atomique sans le soutien d'un État et de ses services secrets.

Et, de son côté, cet État ne peut pas avoir l'assurance de rester anonyme à 100%, même s'il prend toutes les précautions pour ne pas laisser de traces le reliant à cette organisation terroriste.

«Même si les dirigeants d'un pays arrivaient à se persuader que les chances de subir des représailles nucléaires sont faibles, qui serait prêt à prendre ce risque?», écrit Kenneth Waltz dans l'article Toward Nuclear Peace.

Pour sa part, le gouvernement américain est conscient du risque du terrorisme nucléaire.

Dans un discours prononcé à Prague en 2009, le président Barack Obama a déclaré qu'il s'agissait de «la plus grande menace» à la sécurité nationale des États-Unis.

Un risque qui est toutefois moins important aujourd'hui, selon Rose Gottemoeller, sous-secrétaire au contrôle des armes et à la sécurité internationale au département d'État américain.

Lors d'un colloque sur la sécurité en Caroline du Sud, en 2015, elle a indiqué que les États-Unis étaient davantage en sécurité qu'au début du premier mandat de Barack Obama.

Pourquoi? Parce que les puissances nucléaires de la planète ont réduit le nombre de sites où sont entreposés l'uranium et le plutonium enrichis (l'élément essentiel pour faire une bombe atomique) ainsi que leur quantité disponible.

Cela dit, beaucoup de choses restent à faire pour réduire encore davantage ce risque, admet Rose Gottemoeller. Un risque qui ne sera du reste jamais complètement éliminé.

Mais la probabilité que les États-Unis subissent un jour une attaque nucléaire ne se rapproche certainement pas de la certitude, même à long terme, s'entendent pour dire les spécialistes en sécurité et en relations internationales.

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand