VIA Rail : le Canada a plus à gagner qu'à perdre du libre-échange

Publié le 01/12/2018 à 09:01

VIA Rail : le Canada a plus à gagner qu'à perdre du libre-échange

Publié le 01/12/2018 à 09:01

Un train quittant une gare à Toronto

Un train de VIA Rail qui quitte la gare de Toronto (source photo: getty Images)

 

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Nous gagnons au libre-échange avec l’Europe, même si VIA RAIL pourrait accorder un contrat à l’allemande Siemens pour construire 32 trains. Et la raison est simple : la taille des marchés publics (les achats des gouvernements) dans l’Union européenne est beaucoup plus grande qu’au Canada.

Cette semaine, des politiciens et des syndicats ont réagi fortement à la nouvelle de La Presse selon laquelle la société d’État aurait préféré Siemens à Bombardier Transport (et son usine de La Pocatière) pour ce contrat évalué à 1 milliard de dollars canadiens.

Pis encore, toujours selon le quotidien montréalais, la multinationale allemande pourrait même construire le matériel ferroviaire dans son usine de Sacramento (en Californie), privant ainsi le Canada de retombées économiques.

Si ces informations se confirment, on peut comprendre la déception du premier ministre François Legault, de certains fournisseurs de Bombardier ainsi que des travailleurs de l’équipementier québécois à La Pocatière.

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D’un point de vue légal, VIA Rail peut choisir l’entreprise qu’elle veut au terme de son appel d’offres, car le traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (l’Accord économique et commercial global ou AECG) accorde le traitement national aux entreprises européennes, souligne Bernard Colas, avocat spécialisé en droit du commerce international chez CMKZ.

Bref, dans les marchés publics, les gouvernements (le fédéral, les provinces, les municipalités) ainsi que les sociétés d’État fédérales et provinciales doivent traiter les fournisseurs de l’UE comme s’ils étaient originaires de Rimouski ou de Calgary.

Les entreprises canadiennes bénéficient aussi du traitement national dans l’UE.

De plus, si l’AECG permet à l’Ontario et au Québec d’imposer des seuils de contenu local de 25% dans les appels d’offres, Ottawa n’a pas ce pouvoir pour les sociétés d’État fédérales comme VIA Rail, précise l’avocat spécialisé en commerce international Xavier Van Overmeire, chez Dentons.

Pourquoi n’y a-t-il pas de seuil de contenu local au fédéral?

Dans les négociations avec l’AECG, Ottawa aurait-il pu demander d’inclure une clause permettant à des sociétés d’État fédérales d’exiger un minimum de contenu local, ce qui forcerait par exemple Siemens à réaliser 25% du contrat de VIA Rail au Canada?

Bien entendu, affirment les spécialistes.

Mais comme les négociations de l’accord se sont faites derrière des portes closes, il est difficile d’avoir l’heure juste à ce sujet.

Mais trois scénarios sont possibles à propos de l’absence de contenu local au niveau fédéral :

  • Les Canadiens ont négligé de le demander.
  • Les Canadiens l’ont demandé, mais les Européens ont refusé.
  • Les Canadiens ne l’ont pas demandé afin d’obtenir autre chose dans la négociation comme la protection de la gestion de l’offre (lait, œufs, volaille).

Résultat, hormis quelques exceptions de part et d’autre, le Canada et l’Union européenne ont respectivement ouvert leurs marchés publics.

Par contre, les bénéfices de cette libéralisation ne sont pas les mêmes des deux côtés de l’Atlantique compte tenu de la différence de taille entre les deux économies.

Ainsi, les marchés publics de l’UE (incluant ceux du Royaume-Uni) s’élèvent à 3 300 milliards de dollars canadiens par année. Cela représente pratiquement la taille du PIB de l’économie britannique (3 900 G$CA).

En revanche, la valeur annuelle des marchés publics au Canada est d’environ 120 G$CA, selon Xavier Van Overmeire.

Bref, les marchés des approvisionnements publics européens sont 28 fois plus importants qu’au Canada.

On comprend rapidement que les occasions d’affaires sont très nombreuses pour les entreprises canadiennes, même si la concurrence est forte sur le marché européen.

On retrouve ces occasions de Pologne à l’Espagne en passant par l’Allemagne, et ce, dans des secteurs aussi variés que les universités, les municipalités ainsi que les entreprises de services publics (traitement et distribution des eaux, électricité, aéroports et ports).

Encore une fois, on peut comprendre la réaction à l’effet que VIA Rail choisirait Siemens plutôt Bombardier pour la construction de 32 trains.

Par contre, si on fait une analyse des coûts et des bénéfices, il est clair que le Canada est plus que gagnant de l’ouverture des marchés publics avec l’Europe.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand