Trump s’attaque au Made in China 2025

Publié le 24/03/2018 à 10:13

Trump s’attaque au Made in China 2025

Publié le 24/03/2018 à 10:13

Le président chinois Xi Jinping et le président américain Donald Trump (Source: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – C’est la guerre. Washington imposera de nouveaux tarifs sur plus de 60 milliards de dollars d’importations chinoises, tandis que la Chine ripostera avec ses propres tarifs. Et l’administration Trump a une cible bien précise : la politique du Made in China 2025, qui vise à faire de la Chine LA puissance manufacturière du 21e siècle en termes de qualité.

Bien entendu, les futurs tarifs de 25% sur les importations chinoises cherchent à réduire le déficit commercial des États-Unis avec la Chine, qui s’élevait à 375 milliards de dollars américains en 2017, selon le U.S. Census Bureau.

Washington veut aussi restreindre la capacité des entreprises chinoises d’acheter des sociétés technologiques américaines dans ses secteurs stratégiques –la Chine le fait déjà chez elle.

Enfin, l’administration Trump souhaite -comme les administrations précédentes- avoir un meilleur accès au marché chinois, car la réciprocité en matière d’ouverture au commerce international n’existe pas entre la Chine et les États-Unis

Mais ces nouveaux tarifs annoncés ce jeudi par Donald Trump -qui entreront en vigueur dans les prochaines semaines- ne visent pas n’importe quels secteurs de l’économie chinoise.

Ils ciblent en fait les secteurs prioritaires de haute technologie ou de valeur ajoutée que Pékin a identifiés dans le Made in China 2025 afin de moderniser la Chine dans les prochaines décennies, souligne le Financial Times de Londres.

Des fonctionnaires américains, cités par l’agence Associated Press, affirment que cette politique est «énormément problématique», car elle créera de nouveaux compétiteurs chinois notamment dans les secteurs des voitures électriques, des robots et de l’intelligence artificielle.

Lancé en 2015, le Made in China 2025 a notamment l’objectif de faire de la Chine LA puissance manufacturière mondiale en 2049 en termes de qualité, année où le pays célébrera le centenaire de la fondation de la Chine communiste.

Le gouvernement a entrepris cette réforme ambitieuse parce qu’il devait trouver une solution à une tendance lourde qui menace la stabilité socio-économique du pays : l’industrie chinoise perd de sa compétitivité internationale, car les salaires en Chine augmentent plus rapidement que les gains de productivité.

En Asie, les investissements directs étrangers (IDE) se déplacement d’ailleurs graduellement vers des pays à plus faibles coûts de production tels que le Cambodge ou le Vietnam.

Certes, la Chine est toujours «l’usine» du monde.

Par contre, elle risquait de devenir une puissance manufacturière à moyenne valeur ajoutée.

Le Made in China 2025 vient donc corriger le tir, avec l’ambition que la Chine soit aussi l’endroit au monde où l’on fabrique les meilleurs produits manufacturiers, meilleur qu’aux États-Unis, en Allemagne ou au Japon.

Les dix secteurs prioritaires aux yeux du parti communiste chinois sont également stratégiques dans la plupart des pays développés, au premier chef aux États-Unis.

Bref, tous les pays développés sentiront cette nouvelle concurrence.

L’objectif de la Chine est simple: détrôner les Allemands et faire du label Made in China un label aussi fort et synonyme de qualité que le fameux Made in Germany.

La politique de Pékin s’inspire d’ailleurs de la politique de l’Industry 4.0 (ou la quatrième révolution industrielle) lancée en Allemagne en 2012, souligne le Centre de ressources et d’information sur l’intelligence économique et stratégique, une organisation française.

Le plan de match de la Chine

Les Chinois comptent devenir les «Allemands» du 21e siècle en trois étapes avec une stratégie à très long terme.

Vous devez retenir trois années charnières : 2025, 2035 et 2049.

En 2025, la Chine veut que son industrie manufacturière soit très innovante et très efficace, ce qu’elle n’est pas actuellement.

En 2035, la Chine veut être capable de concurrencer en termes de qualité les principales puissances manufacturières des pays développés.

En 2049, la Chine veut être LA puissance manufacturière dominante.

Bien entendu, les États-Unis et les autres économies développées pourront garder leur industrie manufacturière. Après la Deuxième Guerre mondiale, la montée en puissance du Japon et de la Corée du Sud dans les niches des hautes technologies n’a pas tué ces industries dans pays riches.

Il se passe la même chose avec la Chine, qui s’immisce de plus en plus dans les produits à valeur ajoutée, talonnant même les États-Unis dans le monde.

Par contre, dans le cas de la Corée du Sud et du Japon, les États-Unis ont dû s’ajuster, non sans créer d’importantes tensions avec le Japon.

Peu de temps après son élection en 1980, Ronald Reagan a déclenché une guerre commerciale contre le Japon (le pays que tout le monde craignait à l'époque), un peu comme semble vouloir le faire actuellement Donald Trump avec la Chine.

Trois des principaux conseillers économiques du président Trump -le secrétaire au Commerce Wilbur Ross, le représentant au Commerce Robert Lighthizer et le directeur de la politique commercial et industriel Peter Navarro- ont débuté leur carrière en plein milieu des guerres commerciales entre les États-Unis et le Japon, souligne le Globe and Mail.

L'autre objectif de la China: la production locale

Outre la création de champions mondiaux dans les produits à très grande valeur ajoutée, le Made in China 2025 a aussi un autre objectif qui bouleversera le commerce international étant donné le poids de la Chine, estiment certains analystes.

Cette politique vise à augmenter le contenu local dans les produits manufacturiers vendus en Chine, à l'instar du Buy America (transport public) ou du Buy American (biens du gouvernement, sauf les services) aux États-Unis.

Ainsi, le Made in China 2025 vise à porter le contenu chinois dans les produits manufacturiers vendus en Chine à 40 % en 2020 et à 70 % en 2025, selon une analyse du Center for Strategic and International Studies (CSIS), situé à Washington.

Actuellement, le gouvernement n'impose pas vraiment de seuil minimal de contenu chinois.

Par contre, dans certains secteurs stratégiques comme l'aérospatiale, les multinationales telles que Boeing et Bombardier doivent créer des coentreprises en Chine afin d'y vendre leurs avions ou leurs trains.

Cet enjeu suscite depuis des années des craintes en ce qui a trait au transfert de la propriété intellectuelle, un transfert qui permet ensuite à la Chine de concurrencer les Occidentaux sur les marchés étrangers.

Donald Trump a d’ailleurs soulevé cet enjeu cette semaine.

Made in China 2025.

Retenez bien cette expression, car vous n’avez pas fini d’en entendre parler, et pas seulement aux États-Unis.

Car, si la Chine réussit à atteindre ses objectifs de production locale et d'augmentation de la qualité des produits manufacturiers, l'industrie chinoise représentera une nouvelle concurrence pour les manufacturiers des pays développés incluant le Canada, comme le soulignait l’an dernier à Les Affaires Zhan Su, spécialiste de la Chine à l'Université Laval.

«Bien que le commerce entre le Canada et la Chine demeure aujourd'hui plutôt complémentaire, le programme Made in China 2025 représente incontestablement une menace concurrentielle pour les industries canadiennes qui veulent se développer davantage dans les secteurs de haute valeur ajoutée que la Chine vise également.»

Suggestion de lecture pour aller plus en profondeur

U.S. Trade Deficit With China and Why It's So High

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand