Trump est le symptôme d'une mouvance plus inquiétante

Publié le 04/03/2016 à 22:42, mis à jour le 05/03/2016 à 14:19

Trump est le symptôme d'une mouvance plus inquiétante

Publié le 04/03/2016 à 22:42, mis à jour le 05/03/2016 à 14:19

(source photo: Bloomberg)

ANALYSE DU RISQUE - Méfiez-vous des commentateurs qui affirment que Donald Trump est un bouffon et une simple erreur de parcours. Sa popularité est un phénomène beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Le controversé milliardaire est le symptôme - et non la cause - d'une vague de fond aux États-Unis: la montée de l'autoritarisme.

C'est ce que soutient une longue analyse publiée le 1er mars par Vox (un média américain publié uniquement en ligne), intitulée The rise of American authoritarianism.

Et ce phénomène ne s'estomperait pas même si Trump perdait la course à l'investiture républicaine, estiment les politologues cités dans cette analyse.

Une perspective qui représente un risque pour les investisseurs aux États-Unis, car cette mouvance autoritaire est anti-mondialisation, protectionniste et xénophobe. Tout le contraire du libéralisme politique et économique.

Mettons les choses au clair: cet autoritarisme n'est ni du fascisme (le système politique que Mussolini a établi en Italie en 1922, puis par Hitler en Allemagne en 1933) ni un mouvement politique pour instaurer une dictature aux États-Unis.

Ceux et celles qui comparent la montée en puissance de Trump à celle de Mussolini ou de Hitler font une erreur d'appréciation et manquent de perspectives historiques, estiment les historiens.

Trump n'est pas un nouvel Hitler

Le contexte des années 1920 et 1930 était fort différent par rapport à aujourd'hui:

- La Première Guerre mondiale (1914-1918) avait bouleversé l'ordre politique européen avec le démembrement des trois empires du Vieux Continent (allemand, austro-hongrois, russe).

- La révolution communiste en Russie, déclenchée en 1917, faisait trembler la bourgeoisie.

- La Dépression ravageait les sociétés qui n'avaient pas de programmes sociaux à l'époque, et la misère était omniprésente.

- Mussolini et Hitler voulaient instaurer une dictature dans leur pays.

- Le premier a réussi quand le roi d'Italie lui a demandé, en 1922, de former le gouvernement devant ses menaces de prendre le pouvoir par la force avec ses milliers de chemises noires (les milices de Mussolini).

- Le second y est arrivé par les urnes, en 1933, dans un climat de crise politique extrême, notamment provoquée par l'incendie criminel du parlement allemand ou Reichstag (plusieurs historiens soupçonnent les nazis d'en être les auteurs).

On le voit bien, ce contexte n'a rien à voir avec l'actuelle situation politique et économique aux États-Unis. Et Trump - malgré ses déclarations incendiaires et controversées - n'a pas l'intention d'abolir la démocratie aux États-Unis s'il devenait un jour président.

À vrai dire, l'autoritarisme dont il est question ici définit plutôt le profil psychologique d'un certain nombre d'électeurs américains qui aiment l'ordre et qui ont peur des étrangers.

La plupart d'entre eux sont des républicains, et ils supportent en grand nombre Donald Trump. Plus troublant encore, le milliardaire semble avoir des admirateurs autoritaires dans tous les milieux, et ce, peu importe le niveau d'éducation, le revenu, l'âge, voire même les croyances religieuses des électeurs.

Que veulent les électeurs autoritaires?

Quand ces électeurs dits autoritaires se sentent menacés, ils cherchent des leaders forts qui peuvent leur promettre de les protéger par tous les moyens.

Ces menaces perçues peuvent être multiples: physique (la crainte d'un attentat terroriste), économique (la perte d'emplois en raison de la mondialisation) ou socio-culturel (le mariage gai et le déclin de la famille traditionnelle).

La perte de l'identité américaine - en raison de l'immigration, au premier chef musulmane - est aussi perçue comme une menace existentielle.

Ces craintes sont d'ailleurs partagées par un nombre grandissant d'électeurs en Europe, soulignait en décembre le magazine britannique The Economist (The march of Europe little Trumps).

C'est ce qui explique la montée en puissance des partis populistes et xénophobes comme le Front national de Marine Le Pen en France. Certains d'entre eux sont même au pouvoir, en Hongrie par exemple, avec le premier ministre Viktor Orban.

Aux États-Unis, les électeurs autoritaires cherchent non seulement une protection auprès d'un leader fort; ils sont aussi attirés par des candidats qui ont un tempérament en rupture totale avec celui des politiciens classiques - et dont les politiques vont bien au-delà des normes acceptables.

Un candidat comme Donald Trump.

Des terroristes de l'État islamique menacent les États-Unis? Trump propose de refuser le droit d'entrer dans le pays aux immigrants de confession musulmane.

Des Latino-Américains pénètrent illégalement sur le territoire américain? Trump veut ériger un mur entre les États-Unis et le Mexique, aux frais du gouvernement mexicain.

Les importations chinoises font mal au secteur manufacturier aux États-Unis? Trump veut imposer des tarifs élevés pour réduire l'entrée des produits made in China.

Et selon l'analyse publiée par Vox, Trump incarne le style de leadership autoritaire classique: il a un discours simple, il dégage une image de puissance, et il a une approche punitive.

Mais il n'est pas le seul à pouvoir déployer ce style de leadership à la Vladimir Poutine - beaucoup de partisans de Trump admirent le président russe.

Bref, si ce n'est Trump, un autre candidat - un homme ou une femme - prendra la relève pour diriger la mouvance autoritaire aux États-Unis dans les prochaines années.

Et plus ces électeurs auront l'impression que nous vivons dans un monde menaçant, dangereux et instable, plus ils seront enclins à suivre des leaders autoritaires, car ils ont peur.

Des peurs qui sont amplifiées par Fox News, un média conservateur qui donne souvent l'impression que les États-Unis sont assiégés, souligne l'analyse de Vox.

Et si Trump n'était que le prélude d'une nouvelle façon de faire de la politique chez nos voisins américains, même si ce phénomène demeure marginal, du moins pour l'instant?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand