Risquez-vous un échec et mat?

Publié le 25/06/2016 à 08:01

Risquez-vous un échec et mat?

Publié le 25/06/2016 à 08:01

ANALYSE DU RISQUE - Attentats de l'État islamique, guerre civile en Syrie, montée du protectionnisme, militarisation et tensions en mer de Chine méridionale... Les investisseurs qui ont des placements à l'étranger évoluent sur un échiquier mondial de plus en plus instable et imprévisible, affirment les spécialistes.

Aussi, comme l’analyse Zoom sur le monde (qui traite de ces enjeux chaque semaine) fait relâche pour un mois, j'aimerais partager avec vous - sans prétention - quelques outils pour vous aider à faire votre propre analyse du risque politique.

Eh oui, je fais partie de l'école de pensée qui croit qu'on peut réfléchir et se creuser les méninges même durant la période estivale!

Mais avant de commencer, une question s'impose: en quoi consiste au juste l'analyse du risque politique? En bien, c'est d'essayer d'évaluer si des décisions, des événements ou des tendances peuvent avoir un impact négatif sur vos investissements à l'étranger.

Bref, c'est d'analyser leur vulnérabilité, et de voir si cette vulnérabilité peut vous causer une perte sur les marchés des actions, des taux d'intérêt (incluant le marché obligataire) ou des devises.

Cela dit, analyser le risque politique est très difficile, car il s'agit d'un risque qualitatif et non pas quantitatif. Oubliez les ratios et les indices: les risques politiques sont pratiquement impossibles à mesurer contrairement aux risques économiques et financiers.

Aussi, les formations en finance ou en administration (CFA, MBA etc.) ne sont pas d'un grand secours pour analyser le risque politique. Ce sont plutôt des disciplines comme l'histoire, la science politique, la sociologie ou l'anthropologie qui sont indispensables dans ce domaine.

Trois exemples de risque politique

Pour analyser un risque politique, vous devez par exemple vous poser ce genre de questions:

- Quel impact politique aura à terme le décision des Britanniques de sortir de l'Union europenne? D'autres pays pourraient-ils suivre l'exemple du Royaume-Uni? L'UE peut-elle survivre?

- La Russie dirigée par Vladimir Poutine va-t-elle intervenir dans les prochaines années dans des pays d'Europe orientale ayant des minorités russophones, comme elle l'a faite en Ukraine? Le cas échéant, quel impact une telle intervention pourrait-elle avoir sur les investissements étrangers en Europe orientale, comme dans les pays baltes, sans parler du prix de l'énergie?

- L'idée du libre-échange est attaquée tous azimuts en Europe et aux États-Unis, alors que se multiplient les mesures protectionnistes. Quel sera l'impact à terme sur l'économie, les importateurs inscrits en Bourse en Europe et aux États-Unis, ainsi que sur les exportateurs cotés en Bourse au Canada?

- La crise des migrants en Europe favorise les partis d'extrême droite comme le Front national en France, qui grimpe dans les intentions de vote. Ce type de parti peut-il prendre le pouvoir dans un pays européen? Et le cas échéant, quel serait l'impact sur les politiques publiques de ce pays et celles, du reste, de l'Union européenne?

On le voit bien, il n'est pas facile de répondre à ce genre de questions. C'est pourquoi, à défaut d'avoir une formation d'historien, de politologue, de sociologue ou d'anthropologue, il faut lire beaucoup de choses pour se faire une bonne tête sur divers enjeux de politiques internationales.

Regardons d'abord les sources médiatiques.

Pour comprendre les risques potentiels auxquels vous pourriez être confrontés, il faut avoir la meilleure information possible. Et, surtout, il faut lire à gauche comme à droite, de manière à vous exposer à tous les points de vue.

Voici des sources incontournables:

- Le Financial Times de Londres (la bible des milieux financiers et politiques internationaux. C'est un quotidien mondial, qui couvre tous les continents)

- The Economist (chaque semaine, ce magazine fait une formidable synthèse de l'actualité politique, financière et économique dans le monde)

- Le Monde (une source d'information unique en français, qui traite des grands enjeux internationaux avec rigueur et profondeur)

- Le Monde diplomatique (ce mensuel est la bible de la gauche mondiale, traduit en plusieurs langues, un média incontournable pour avoir des points de vue alternatifs)

- Foreign Policy (publié six fois par année, ce magazine propose des analystes approfondies sur les grandes tendances mondiales. Il est idéal pour les gens d'affaires et les investisseurs qui s'intéressent aux relations internationales, sans être des spécialistes)

- Courrier international (cet hebdomadaire reproduit en français des reportages publiés aux quatre coins du monde, ce qui permet d'identifier des tendances et de tâter le pouls de l'opinion publique dans certains pays).

- The Globe and Mail (pour ne pas manquer les décisions, les événements ou les tendances à l'étranger pouvant avoir directement un impact sur les investisseurs canadiens, ce que les médias étrangers ne couvrent pas vraiment).

Lire les médias est important pour identifier des risques politiques à l'étranger. Mais ce n'est pas suffisant: il faut nécessairement se plonger dans des livres.

Des essais incontournables

On peut difficilement se faire une bonne tête en matière de risque politique sans des notions d'histoire et de géopolitique (une discipline qui analyse les rapports entre les sociétés et leur environnement).

Aussi, si vous n'avez qu'un livre à lire, je vous suggère fortement une nouveauté publiée en janvier La Géopolitique pour les nuls, écrit par Philippe Moreau Defarges, l'un des spécialistes français de la géopolitique. Vous ne consommerez plus les nouvelles de la même façon.

Si vous avez le courage (et le temps), je vous recommande aussi le classique Naissance et déclin des grandes puissances de Paul Kennedy.

Publié à la fin des années 1980, cet essai vous donnera une perspective historique mondiale sur 500 ans. Un petit bijou, car pour comprendre le présent (et tenter d'anticiper l'avenir), il faut connaître le passé.

Par ailleurs, Ian Bremmer, le fondateur et président d'Eurasia Group, une firme new-yorkaise spécialisée dans l'analyse du risque politique, est un analyste fort intéressant à suivre.

L'an dernier, il a publié Superpower: Three Choices for America's Role in the World, un essai dans lequel il explique les directions que pourraient prendre la politique étrangère des États-Unis dans les prochaines années. Un enjeu qui pourrait avoir un impact sur la stabilité du monde, si les Américains décidaient par exemple de se replier sur eux-mêmes.

Enfin, les réseaux sociaux peuvent regorger de petites mines d'or pour les investisseurs qui veulent en savoir plus les tendances mondiales et mieux gérer ainsi leur risque politique.

On y trouve des spécialistes et des organisations qui publient souvent des analyses ou des études inédites.

Des comptes twitter à suivre

Je vous suggère six comptes Twitter à suivre:

@IFRI_ (Institut français des relations internationales, où Philippe Moreau Defarges est un chercheur)

@ianbremmer (Ian Bremmer, Eurasia Group)

@elerianm (Mohamed El-Erian, l'économiste en chef d'Allianz)

@ForeignPolicy (un magazine américain)

@ForeignAffairs (un magazine américain)

@Diplomat_APAC (un magazine produit au Japon qui analyse les grands enjeux de l'Asie-Pacifique)

Et voilà! Bonne lecture, et à bientôt!

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand