Quand l'extrême droite dirigera en Europe

Publié le 28/05/2016 à 09:07

Quand l'extrême droite dirigera en Europe

Publié le 28/05/2016 à 09:07

La chef du Front national, Marine Le Pen (Source: Bloomberg)

ANALYSE DU RISQUE - Déjà présente dans plusieurs coalitions ou aux portes du pouvoir comme en Autriche, ce n'est sans doute qu'une question temps avant que l'extrême droite ne dirige un pays en Europe. Un scénario qui risque d'avoir à terme une influence sur le climat d'affaires et d'investissement sur le marché européen.

Le 23 mai, Norbert Hofer, le candidat du FPÖ (parti de la liberté), est passé tout près de devenir le premier chef d'État issu de l'extrême droite en Europe occidentale depuis 1945. C'est finalement un candidat écologiste, Alexander Van der Bellen, qui est devenu le président de l'Autriche, mais avec seulement 50,3% des voix.

L'Europe a poussé un grand soupir de soulagement.

Toutefois, le répit pourrait être de courte durée. Car des élections législatives (avec l'élection du chancelier soit l'équivalent d'un premier ministre) auront lieu en 2018, et l'extrême droite mène dans les sondages.

Les risques économiques et financiers

La montée de l'extrême droite représente un risque géopolitique pour les investisseurs.

Même si les partis d'extrême droite varient d'un pays à l'autre, ils ont en revanche plusieurs points en commun, soulignent les spécialistes.

Ils sont d'abord «eurospectiques». Cela signifie qu'ils sont contre l'Union européenne et l'euro, la monnaie commune de 19 pays européens.

Ils sont aussi très souvent hostiles au libéralisme économique et au libre-échange.

Lorsqu'un parti d'extrême droite siège par exemple au sein d'un gouvernement de coalition, il propose la plupart du temps des mesures protectionnistes défavorables aux investisseurs étrangers.

Enfin, les partis d'extrême droite s'opposent farouchement à l'immigration, qui est vue comme une menace à l'identité européenne. La crise des migrants a d'ailleurs permis à la plupart des partis de faire des gains dans les intentions de vote.

C'est ce qui explique la force de l'extrême droite en Autriche, un pays de 8,5 millions d'habitants.

En 2015, l'Autriche a enregistré 90 000 demandeurs d'asile, avant de fermer ses portes en début d'année, face au retournement de son opinion publique, rapporte Le Monde.

Or, si une société vieillissante comme l'Europe se prive d'immigrants, elle risque de réduire le potentiel de croissance de son économie et de ses entreprises, craignent plusieurs économistes.

Marine Le Pen présidente en 2017 ou 2022?

Après la quasi-victoire de l'extrême droite en Autriche, les regards sont maintenant tournés vers la France, où aura lieu une élection présidentielle en 2017. Et, là aussi, les analystes s'attendent à ce que la chef du Front national, Marine Le Pen, fasse bonne figure.

Elle devrait atteindre le second tour pour affronter soit l'actuel président socialiste François Hollande (la candidature probable, mais qui ne fait pas l'unanimité à gauche) ou le candidat de la droite modérée (qui n'a pas encore été choisi).

En 2002, l'ancien président du Front national, Jean-Marie Le Pen (le père de Marine Le Pen), avait créé toute une surprise au premier tour de l'élection présidentielle.

Il avait alors récolté 16,86% des voix, éliminant le candidat socialiste, le premier ministre Lionel Jospin.

Pour lui barrer la route, une écrasante majorité de Français - à gauche comme à droite - avaient alors réélu le président sortant de centre droit, Jacques Chirac, qui avait rassemblé 82% du suffrage.

L'effondrement des partis traditionnels

La montée de l'extrême droite en Europe a pour toile de fond le déclin des partis politiques traditionnels qui dirigent les pays européens depuis 60 ans, soit les sociaux-démocrates (centre gauche) et les chrétiens démocrates (centre droit).

La récente présidentielle en Autriche illustre bien ce phénomène: au second tour, les Autrichiens avaient le choix entre le candidat de l'extrême droite et un candidat écologiste anti-système.

Allons voir ce qui se passe ailleurs en Europe.

En Suède, le parti d'extrême droite, les Démocrates de Suède, a remporté 49 sièges (ou 13% des voix) en 2015, lui donnant la balance du pouvoir au parlement.

Au Danemark, le parti du peuple danois a fait des gains importants de puis cinq ans, passant de 14 à 21% dans les intentions de vote.

Même l'Allemagne n'échappe pas à ce phénomène.

Le parti alternative pour l'Allemagne progresse graduellement dans les intentions de vote. Actuellement, il est crédité de 15% des voix au niveau national, cinq point derrière les sociaux-démocrates, selon le quotidien The Guardian.

Depuis quelques années, l'extrême droite fait donc des gains dans plusieurs pays d'Europe. La grande question est à savoir si cette tendance peut s'inverser.

Bref, l'extrême droite en Europe sera-t-elle plus forte ou moins forte qu'aujourd'hui dans cinq ou dix ans?

La perte de confiance de plusieurs électeurs dans les partis traditionnels n'augure rien de bon, disent les analystes.

De plus, la crise des migrants - le carburant de l'extrême droite - est là pour durer à moyen terme en raison de la guerre civile en Syrie, sans parler des autres zones de conflits au Moyen-Orient et en Afrique.

Le climat est un autre facteur à considérer.

On l'oublie souvent, mais les changements climatiques forcent aussi des gens, en Afrique ou au Moyen-Orient, à quitter leur terre.

Comme le soulignait en 2015 le magazine Foreign Policy (Same Game, New Board: climate change is destroying the geopolitical playbook. How will Nation Survive?), les changements climatiques sont en train de changer la géographie de la planète.

Des îles disparaissent et de grandes zones agricoles sont en train de dépérir.

Et les changements climatiques ne vont pas s'inverser dans un avenir prévisible, affirment les scientifiques.

Par conséquent, il faut s'attendre à voir de plus en plus de réfugiés climatiques dans le monde dans les prochaines années et décennies, dont plusieurs iront en Europe.

Une situation qui risque d'alimenter encore davantage la crainte de l'immigration dans une frange de plus en plus importante de la population européenne.

C'est pourquoi ce n'est sans doute qu'une question de temps avant que l'extrême droite ne dirige un pays en Europe, voire plusieurs.

Les investisseurs doivent donc se préparer à gérer ce risque géopolitique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand