Préparez-vous à une croissance lente, car c'est la norme historique

Publié le 16/04/2016 à 09:32

Préparez-vous à une croissance lente, car c'est la norme historique

Publié le 16/04/2016 à 09:32

Image: Shutterstock

ANALYSE DU RISQUE - Depuis la Grande récession de 2008-2009, l'économie mondiale bat de l'aile. Pour la relancer, le Fonds monétaire international (FMI) réclame des réformes structurelles, surtout dans les pays développés. Et si tous ces efforts étaient vains? Et si la croissance actuelle était en fait un retour à la normale?

Quand ils analysent la croissance économique à long terme, la plupart des politiques, des économistes et des financiers se réfèrent à la période suivant la Deuxième Guerre mondiale. Ce qui représente 71 ans jusqu'à aujourd'hui.

Cela peut sembler long pour une civilisation comme la nôtre axée sur le court terme, qui a le culte du temps présent.

Or, pour les historiens de l'économie ou les économistes ayant une vision à très long terme, cette période de temps est relativement courte, car elle ne donne pas une perspective suffisante pour comprendre la croissance économique dans l'histoire.

Cet enjeu est majeur et pourtant sous-estimé par la plupart des investisseurs.

Ce qui peut avoir un impact sur leur stratégie d'investissement à long terme et leur rendement sur le capital investi.

Benoît Durocher et Richard Beaulieu, respectivement vice-président et stratège économique ainsi qu'économiste principal chez Addenda Capital, une firme montréalaise de gestion de placements, sont parmi les rares financiers à s'intéresser à cette question.

Selon eux, l'économie mondiale va continuer de croître dans les prochaines années et décennies. Mais ce sera une croissante lente, comme cela a du reste été la norme au cours des derniers siècles.

Ainsi, ce qui nous semble être la norme - le boom économique de l'après-guerre, où la croissance économique mondiale s'est élevée à près de 5% en moyenne entre 1950 à 1973 - est en fait une exception.

Or, nous en avons fait notre étalon de mesure, un idéal à atteindre.

La situation actuelle devrait pourtant nous amener à réfléchir.

Car, malgré les politiques très expansionnistes des banques centrales (les taux d'intérêt sont à des planchers historiques, et le quart de l'économie mondiale expérimente des taux d'intérêt négatifs), l'économie progresse toujours lentement.

En 2012, 2013 et 2014, la croissance mondiale s'est établie à 3,4%, pour retraiter à 3,1% en 2015, selon le FMI. Et cette semaine, l'organisation a même revu à la baisse ses prévisions pour 2016, les faisant passer de 3,4 à 3,2%.

Back to the future pour comprendre

Un long retour en arrière s'impose pour mettre les choses en perspective.

Et pour comprendre l'évolution de la croissance économique, il faut se rappeler que deux facteurs la stimulent, soit la productivité et l'accroissement de la population.

Dans un article publié en 2012 pour le compte du National Bureau of Economic Research (Is the U.S Economic Growth Over? Faltering Innovation Confronts the Six Headwinds), l'économiste Robert J. Gordon souligne qu'il n'y avait pratiquement pas de croissance économique avant 1750.

Depuis cette époque, elle a progressivement progressé pour atteindre son apogée au milieu du 20e siècle. Mais depuis les années 1950, son rythme a tendance à diminuer.

Selon Robert J. Gordon, il n'y a pas de garantie que la croissance économique telle que nous la connaissons se poursuivra éternellement. Et à ses yeux, les progrès prodigieux de la croissance économique depuis 250 ans pourraient bien être une période unique dans l'histoire de l'humanité.

L'économiste français Thomas Piketty (l'auteur du best-seller Le capital au XXIe siècle) s'est aussi penché sur l'état et l'avenir de la croissance économique.

Le fruit de ses travaux (et de son équipe de chercheurs) est exceptionnel.

Comme on peut le constater sur cette courbe, la croissance économique évolue comme une cloche. Et selon les estimations de Thomas Piketty, elle a amorcé un long déclin qui devrait se poursuivre jusqu'à la fin de ce siècle.

Plusieurs facteurs ont stimulé la croissance économique après la Deuxième Guerre mondiale, selon Addenda Capital.

- le commerce international a été libéré, grâce à la création du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) en 1948, remplacé par l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) en 1995.

- le capital est devenu de plus en plus mobile.

- la politique monétaire des banques centrales est devenue plus efficace.

- le monde a connu un boom démographique.

Les conditions de l'après-guerre ont changé

Or, ces conditions ont changé. Par exemple, la démographie (l'une des deux composantes de la croissance économique) est en déclin dans le monde.

Dans les années 1970, la population mondiale a bondi de plus de 20%, selon le FMI. Dans les années 2000, elle a progressé de 15% encore. Mais ce taux chutera dans les prochaines décennies.

Ainsi, dans les années 2050, la population de la planète ne devrait augmenter que de 5% - elle diminuera même dans l'ensemble des pays développés.

Pour ce qui est de la productivité, elle continuera de progresser, mais son rythme ralentira également, comme la démographie.

Robert J. Gordon a évalué la croissance moyenne de la productivité pour quatre périodes de l'histoire des États-Unis. Et on constate qu'elle est en déclin depuis une vingtaine d'années:

1891-1972: 2,33%

1972-1996: 1,38%

1996-2004: 2,46%

2004-2012: 1,33%

La démocratisation d'internet et des ordinateurs personnels a permis de relancer la productivité aux États-Unis dans la période 1996-2004. Mais depuis, elle a décliné, atteignant même un niveau inférieur à la période 1972-1996.

L'un des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine, Daniel K. Tarullo, a aussi analysé de long en large l'évolution de productivité aux États-Unis.

Ainsi, de l'après-guerre jusqu'en 1971, elle a évolué en moyenne de 2,75% par année. Mais depuis 1971, la productivité n'a progressé que de 1,50%.

On le voit bien, les deux composantes de la croissance économique (la productivité et la démographie) sont en déclin depuis quelques années. Ce qui annonce une croissance du PIB mondial moins rapide dans le futur.

Cela dit, il est possible que la productivité fasse de nouveaux bonds dans l'avenir, grâce aux innovations de la quatrième révolution industrielle dans laquelle nous sommes entrés.

Mais il serait très surprenant - voire impossible - que l'humanité connaisse à nouveau boom démographique comme dans les années 1970.

Voilà pourquoi les investisseurs doivent s'attendre à évoluer dans un environnement où la croissance économique sera plus lente.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand