Pourquoi Marine Le Pen pourrait gagner

Publié le 11/02/2017 à 08:17

Pourquoi Marine Le Pen pourrait gagner

Publié le 11/02/2017 à 08:17

La présidente du Front national, Marine Le Pen (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE– On nous avait dit que le Brexit était impossible, tout comme l'élection de Donald Trump. Aujourd'hui, on nous assure que Marine Le Pen ne peut pas devenir la présidente de la France. Or, plusieurs facteurs rendent sa victoire possible, même si ce scénario semble malgré tout peu probable, du moins selon les sondages.

Par exemple, quatre sondages publiés le 8 février prévoient que le second tour de l'élection présidentielle du 7 mai sera un duel entre le candidat indépendant de centre gauche, Emmanuel Macron, et la présidente du Front national, Marine Le Pen. Et trois des quatre firmes de sondage affirment qu'Emmanuel Macron remportera haut la main ce duel en récoltant de 63 à 64% des voix (de 37 à 36% pour la présidente du FN).

Par conséquent, la probabilité que la leader du Front national–le premier parti de France dans les intentions de vote– devienne la prochaine présidente de la France est faible.

Pourquoi? Parce qu'une majorité d'électeurs–tant à gauche qu'à droite– voteront vraisemblablement pour Emmanuel Macron, et ce, afin de barrer la route au FN, un parti d'extrême droite, «eurosceptique», antimondialisation et xénophobe.

C'est du moins le scénario sur presque toutes les lèvres des analystes en France et à l'étranger. Or, la situation est beaucoup plus complexe et imprévisible qu'il n'y paraît à première vue.

Car s'il y a bien une leçon à tirer du Brexit au Royaume-Uni et de l'élection de Donald Trump aux États-Unis, c'est qu'il faut se méfier des sondages, des analyses et des spécialistes qui prétendent qu'un scénario est impossible ou presque.

Voici donc pourquoi Marine Le Pen pourrait malgré tout gagner.

Le Pen surfe sur la vague du populisme et du nationalisme

La tendance est lourde, mais elle s'est accélérée en 2016: on assiste à une montée du populisme (de droite et de gauche) et du nationalisme économique en Occident. Et l'élection de Donald Trump a en quelque sorte légitimé ce mouvement aux yeux de millions d'électeurs dans le monde.

En Europe, le populisme est en progression constante depuis des années dans plusieurs pays, dont la France, selon une étude de la Harvard Kennedy School (Trump, Brexit, and The Rise of Populism: Economic Have-Nots and Cultural Backlash).

La montée du populisme s'appuie en grande partie sur une révolte populaire à l'égard de la mondialisation. Et comme le soulignait récemment Le Monde, cette critique de la mondialisation porte sur deux grands thèmes, et ce, quelles que soient les singularités d'un pays à l'autre: le contrôle des flux migratoires et les inégalités de revenus.

Aux États-Unis, beaucoup d'électeurs qui ont voté pour Donald Trump sont des ouvriers et des cols bleus qui votaient traditionnellement pour les démocrates, traditionnellement plus à gauche et près des syndicats.

Or, on assiste au même phénomène en France depuis quelques années: les ouvriers, qui ont voté pendant des années en bloc pour les communistes et les socialistes, penchent de plus en plus en faveur du Front national.

Les 144 engagements présidentiels de Marine Le Pen rendus publics récemment proposent d'ailleurs plusieurs mesures de soutien pour les travailleurs.

Par exemple, la leader du FN s'engage à instaurer une prime de pouvoir d'achat pour ceux «qui ont des bas revenus et des petites retraites». Elle propose aussi de mettre en place un plan pour réindustrialiser la France, comme aux États-Unis, sous les administrations Obama puis Trump.

Dans une récente analyse, le magazine américain Foreign Policy souligne que la base électorale de Marine Le Pen est en grande partie composée de blancs en colère–comme celle de Donald Trump– qui vivent dans les régions économiquement déprimées de la France.

Des régions qui ont souffert ces dernières années de la désindustrialisation en raison de la mondialisation et de l'automatisation. Depuis 15 ans, le pays a perdu 900000 emplois manufacturiers.

Or, comme aux États-Unis et ailleurs en Occident, les partis de la gauche traditionnelle en France– au premier chef les socialistes– ne se préoccupent guère plus des conditions économiques de la classe ouvrière et des cols bleus.

Les conservateurs en France voteront-ils pour Macron?

Avant le scandale financier qui l'afflige actuellement, le candidat de centre droit, l'ancien premier ministre François Fillon, était le favori pour remporter l'élection présidentielle, au second tour, contre Marine Le Pen.

Pourquoi? Parce qu'il a un programme conservateur sur le plan social et économique, qui aurait pu convaincre une majorité de Français de voter pour lui, incluant une partie de l'électorat traditionnel du FN.

Or, à moins d'un revirement spectaculaire, François Fillon ne passera pas le premier tour, comme le montrent les sondages.

La grande question est à savoir si la base votera massivement pour Emmanuel Macron afin de barrer la route à Marine Le Pen.

Aux États-Unis, la victoire de Trump a été rendue possible en partie grâce au soutien des conservateurs et de la droite religieuse.

Dans une analyse publiée dans le Financial Times, un spécialiste du populisme à l'Université Princeton, aux États-Unis, souligne que la victoire des partis populistes de droite n'est possible que s'il y a une alliance avec les forces conservatrices.

Et il donne l'exemple du Royaume-Uni.

Le leader du camp en faveur du Brexit, Nigel Farage, qui a depuis quitté la présidence du Parti pour l'indépendance du Royaum-Uni (UKIP), n'a pas gagné tout seul son audacieux pari de sortir son pays de l'Union européenne.

Il a bénéficié du soutien de deux politiciens conservateurs: Boris Johnson, l'ancien maire de Londres, aujourd'hui ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, et Michael Gove, l'ex-ministre de la Justice dans le gouvernement conservateur de David Cameron.

Par conséquent, si la base électorale du FN et les forces conservatrices de la France unissent leurs voix, une telle alliance pourrait accroître la probabilité d'une victoire de Marine Le Pen.

Un autre attentat terroriste en France

Enfin, un autre facteur pourrait faire pencher la balance en faveur de Marine Le Pen: un attentat terroriste d'envergure en France, comme ceux de Paris, en novembre 2015, ou celui de Nice, en juillet 2016.

Marine Le Pen est sans pitié pour le terrorisme islamique, tout comme François Fillon ou Manuel Valls, l'ancien premier ministre socialiste qui a perdu l'investiture de son parti au profit de Benoît Hamon (plus à gauche).

Dans son programme, Emmanuel Macron s'est certes engagé à lutter contre le terrorisme (renforcement de l'armée, du renseignement et de la police).

Par contre, des analystes estiment que le manque d'expérience de l'ancien ministre socialiste de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique pourrait être jugé comme un handicap majeur par les électeurs si la France était à nouveau frappée par des attentats d'ici le 7 mai.

Et, le cas échéant, dans ce climat de peur et d'incertitude, cette situation pourrait inciter bon nombre de Français à voter malgré tout pour Marine Le Pen.

Cela dit, pour l'instant, Emmanuel Macron est le grand favori pour devenir le prochain président de la France, comme le confirment les plus récents sondages. Aussi, la probabilité d'une victoire de Marine Le Pen est relativement faible.

En revanche, une combinaison de ces trois facteurs–la montée du populisme et du nationalisme économique, une alliance avec les forces conservatrices et de nouveaux attentats– pourrait permettre à la leader du FN de gagner son pari de devenir la présidente de la République et de déjouer ainsi tous les pronostics.

Comme dans le cas du Brexit et de l'élection de Donald Trump.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand