Pourquoi le repli sur soi des Américains serait une catastrophe

Publié le 19/11/2016 à 09:00

Pourquoi le repli sur soi des Américains serait une catastrophe

Publié le 19/11/2016 à 09:00

Le superhéros Capitaine America. (Source photo: Paramount Pictures)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE - L'élection de Donald Trump à la tête des États-Unis marque une rupture dans l'histoire de l'après-guerre. Sa victoire pourrait signifier un repli de la première puissance sur elle-même et un retour à un certain isolationnisme américain.

En décembre 1941, l'entrée en guerre des États-Unis contre le Japon et l'Allemagne nazie a marqué un tournant majeur dans l'histoire. Les Américains ont réussi à vaincre ces deux dictatures meurtrières et à créer un nouvel ordre mondial, la pax americana.

Mais, aujourd'hui, ce système risque de s'affaiblir en raison de l'élection de Donald Trump.

Pour la première fois depuis 1945, un président américain ne se présente plus comme le leader du monde libre, qui défend les idéaux démocratiques, comme l'ont été par exemple John F. Kennedy et Ronald Reagan (qui ont quand même eu, tous les deux, des politiques controversées à l'étranger).

Ainsi, la présidence Trump semble être annonciatrice d'une politique étrangère où seuls les intérêts vitaux des États-Unis primeraient au détriment des intérêts de ses alliés et de la stabilité mondiale, craignent des spécialistes.

Par exemple, durant la campagne présidentielle, Trump a suggéré que l'engagement des États-Unis à défendre ses alliés, tel que prévu par l'OTAN (l'alliance militaire comprenant 28 pays occidentaux et la Turquie) pourrait être conditionnel.

La fin du «Un pour tous, tous pour un »?

Interrogé par le New York Times à savoir s'il défendrait les pays baltes contre la Russie, il a déclaré: «S'ils remplissent leurs obligations envers nous, la réponse est oui», déplorant le fait que certains pays ratent la cible de dépenses militaires de l'OTAN, soit 2% de leur PIB.

Cette approche est en totale rupture avec la philosophie de l'alliance militaire fondée en 1949 pour contrer l'Union soviétique en Europe. Cette philosophie repose depuis toujours sur le principe popularisé par les Trois mousquetaires d'Alexandre Dumas du «Un pour tous, tous pour un», et ce, sans condition.

Il va sans dire que durant la campagne présidentielle, la position de Donald Trump a créé une onde de choc en Europe, au premier chef dans les pays baltes. Ces derniers s'inquiètent d'une possible ingérence de la Russie, comme Moscou l'a fait en Ukraine.

Et son élection a fait grimper leur niveau d'anxiété d'un cran, d'autant plus que le nouveau président est un admirateur de Vladimir Poutine. L'inquiétude est également notable en Allemagne, l'un des plus fidèles alliés de Washington en Europe.

Le magazine allemand Der Spiegel n'y va d'ailleurs pas avec le dos de la cuillère.

Ainsi, selon lui, les Américains ont renoncé à leur leadership en Occident (les États-Unis avaient commencé à affirmer ce leadership en intervenant dès 1917 lors de la Première Guerre mondiale).

«Pendant 100 ans, les États-Unis ont été le leader du monde libre. Avec l'élection de Donald Trump, le pays a maintenant abdiqué ce rôle», affirme Der Siegel.

Les Européens ont raison de s'inquiéter.

Car un retour à l'isolationnisme américain, comme après la Première Guerre mondiale, serait catastrophique pour la stabilité mondiale, affirment les spécialistes.

En 1917, l'intervention des États-Unis auprès des alliés -britanniques, français, russes, canadiens, etc.- a été déterminante pour vaincre la coalition des empires centraux (allemand, austro-hongrois et ottoman).

Mais après la victoire et la signature du Traité de Versailles (en 1919), les États-Unis se sont retirés, laissant les Européens à eux-mêmes.

On connaît la suite. L'absence d'une puissance pacificatrice en Europe a permis la montée de l'Allemagne nazie qui a déclenché 20 ans plus tard la Deuxième Guerre mondiale.

Et, encore une fois, c'est l'intervention des Américains qui a permis de vaincre les forces de l'Axe -l'Allemagne, l'Italie et le Japon- avec le concours de l'Union soviétique, qui est rapidement devenue un nouvel ennemi.

Mais cette fois, les Américains sont restés en Europe pour maintenir la paix et contrer l'avancée du communisme. La guerre froide venait de commencer.

Et c'est dans une Allemagne scindée en deux, incluant Berlin, que le leadership américain s'est d'abord affirmé.

Ainsi, de juin 1948 à mai 1949, les États-Unis - et leurs alliés - ont assuré un pont aérien quotidien afin d'approvisionner Berlin-Ouest.

Les Soviétiques avaient imposé un blocus pour tenter de faire tomber cette enclave démocratique située au coeur de l'Allemagne de l'Est. Encore aujourd'hui, les Berlinois n'ont pas oublié ce qu'ont fait les Américains pour sauver Berlin-Ouest à l'époque.

La crise des missiles à Cuba est un autre exemple du leadership des États-Unis durant la Guerre froide avec Moscou.

Légende: Interception du cargo soviétique Metallurg Anasov pendant la crise de Cuba en 1962 par un avion patrouilleur et le destroyer USS Barry.
Source: domaine public.

En octobre 1962, l'armée américaine a imposé un blocus à Cuba afin de forcer l'Union soviétique a retiré les missiles qu'elle y avait installés en secret et qui pouvaient atteindre le sol américain. Cette crise a mené le monde au bord d'une guerre atomique.

Moscou a finalement fait marche arrière et a démantelé les installations à Cuba. De leur côté, les États-Unis ont retiré des missiles qu'ils avaient déployés en Italie et en Turquie.

Pourquoi la pax americana est une bonne chose

Le monde occidental vit en paix depuis 1945. Et ce n'est pas le fruit du hasard.

C'est un ordre politique qui a été construit de toutes pièces par les Américains à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Que ce soit la création de l'Organisation des Nations unies (le 24 octobre 1945) ou la libéralisation graduelle du commerce international avec l'entrée en vigueur du GATT (le 1er janvier 1948), le monde tel que nous le connaissons porte la marque des Américains.

Le plan Marschall est une autre grande réalisation des États-Unis, même s'il répondait aussi à leurs propres intérêts économiques. Mais il a permis à l'Europe en ruine de se reconsruire et de créer plus tard l'Union européenne.

Bien entendu, le monde a connu des guerres depuis 1945, de la Guerre de Corée à la guerre du Vietnam, sans parler des conflits au Moyen-Orient et en Afrique.

Malgré tout, le leadership des Américains -appuyé par leurs alliés occidentaux et asiatiques, comme le Japon- a permis d'assurer une certaine stabilité mondiale.

À la chute du communisme et de l'Union soviétique au tournant des années 1990, les États-Unis sont devenus la seule superpuissance mondiale. Mais cette domination aura été relativement de courte durée.

Aujourd'hui, la Chine veut reprendre se place de puissance dominante en Asie, un rôle qu'elle a pratiquement toujours occupé dans l'histoire. Son objectif: forcer les Américains à quitter l'Asie-Pacifique, où ils sont bien implantés depuis 1945.

En Europe, même si elle n'a pas la puissance de l'ex-Union soviétique, la Russie de Vladimir Poutine est redevenue un acteur géopolitique de premier plan, ce qui inquiète à nouveau les Européens. Moscou est aussi devenu un acteur incontournable au Moyen-Orient, avec son intervention dans la guerre civile en Syrie.

C'est dans ce contexte qu'il faut situer le risque que les États-Unis retournent à un certain isolationnisme sous l'administration Trump.

Depuis des années, plusieurs analystes à gauche comme à droite ont dénoncé et dénoncent toujours l'impérialisme américain. Et ils ont en partie raison. Depuis 1945, les États-Unis sont intervenus dans plusieurs pays pour défendre leurs intérêts, comme au Chili, en 1973, ou en Irak, en 2003.

Un gendarme dans un monde anarchique

Cela dit, si le monde connaît une relative stabilité depuis 1945, c'est parce qu'il y a un gendarme mondial, et ce gendarme, ce sont les États-Unis.

Par exemple, si le commerce international fonctionne bien, c'est essentiellement parce que la marine américaine sillonne les mers du globe. On l'oublie trop souvent.

Les relations internationales sont par nature anarchiques, soulignent les spécialistes. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de gouvernement mondial pour pacifier le monde.

Ce rôle de pacificateur revient donc à la puissance dominante ou à un groupe de puissances. Aujourd'hui, c'est une démocratie, aussi imparfaite soit-elle, qui assure l'équilibre du système international: les États-Unis.

Mais si les Américains renoncent - même partiellement - à jouer ce rôle de leader mondial, qui prendra leur place? Les Européens? La plupart des analystes en doute.

Eh bien, ce sera essentiellement la Chine en Asie, la Russie en Europe orientale et au Moyen-Orient et les Occidentaux en Europe occidentale.

Les États-Unis resteront bien entendu une puissante dominante, notamment grâce à ses alliés européens. Mais le pays ne sera plus le gendarme du monde, mais plutôt l'un des gendarmes.

La pax americana sera de l'histoire ancienne.

Et ce monde multipolaire sera moins stable et moins prévisible, comme l'histoire nous l'enseigne.

 

Légende: Interception du cargo soviétique Metallurg Anasov pendant la crise de Cuba en 1962 par un avion patrouilleur et le destroyer USS Barry. 

Source: domaine public. 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand