Pourquoi la montée du protectionnisme n'est pas une catastrophe

Publié le 25/11/2016 à 14:04

Pourquoi la montée du protectionnisme n'est pas une catastrophe

Publié le 25/11/2016 à 14:04

Le nouveau président élu des États-Unis, Donald Trump (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE– Le protectionnisme progresse dans les pays du G20 depuis la récession de 2008-2009. Le Brexit et la victoire de Donald Trump ne feront qu'accentuer ce phénomène. Faut-il pour autant craindre une catastrophe? Non, car l'histoire économique des 150 dernières années montre qu'il faut relativiser l'impact du protectionnisme sur la croissance et le commerce international.

Mais avant d'aller plus loin, une mise en contexte s'impose afin de comprendre les enjeux.

Depuis les années 1970, l'idéologie économique dominante est le libéralisme. Or, le libéralisme est plutôt alarmiste à propos du protectionnisme (tarifs douaniers, barrières non tarifaires).

Ce dernier est la politique qui vise à limiter les importations afin de protéger la production nationale de la concurrence étrangère. Il y a plusieurs niveaux de protectionnisme. Celui des années 1930, durant la Dépression, est le pire et est celui qui a le plus marqué les esprits.

C'est d'ailleurs à cette période –unique dans l'histoire– que se réfèrent la plupart des décideurs politiques et économiques lorsqu'ils dénoncent le protectionnisme.

Or, cette idéologie est bien plus ancienne que la Dépression, comme on peut le voir dans ce tableau tiré du magazine français Alternatives Économiques.

Le raisonnement sous-jacent à la critique du protectionnisme est logique.

Imposer des tarifs douaniers et des barrières non tarifaires (par exemple, une réglementation) fait augmenter les coûts d'importation.

Par conséquent, les prix des biens et des produits que nous achetons sont plus élevés. Les entreprises paient aussi plus cher leurs intrants achetés l'étranger.

Les barrières au commerce international ont aussi un impact négatif sur nos exportateurs. Ces restrictions limitent leur capacité à exporter, car elles font augmenter leurs coûts et minent leur compétitivité par rapport aux entreprises locales sur les marchés étrangers.

Enfin, les mesures protectionnistes protègent les secteurs inefficaces dans un pays, ce qui limite les gains de productivité.

Voilà pourquoi la plupart des dirigeants politiques et économiques affirment que le protectionnisme est une idéologie indésirable, voire dangereuse.

Et, sur une base théorique, les arguments contre le protectionnisme et ceux en faveur du libre-échange sont donc solides.

Par conséquent, l'analyse des statistiques de l'impact du protectionnisme et du libre-échange sur la croissance et le commerce dans l'histoire devrait confirmer cette théorie.

Bref, sur une base empirique, on devrait constater deux choses:

-que les périodes libres-échangistes affichent toujours un dynamisme économique (croissance du PIB, croissance des exportations, etc.)

- que les périodes protectionnistes sont toujours caractérisées par une morosité économique (décroissance du PIB, déclin des exportations, etc.).

C'est logique, non?

En bien, ce n'est pas le cas, du moins, si on se réfère à d'autres périodes que la Dépression des années 1930.

Ce que nous apprend l'histoire économique

En matière de changement climatique, on nous répète –avec raison– qu'il faut s'appuyer sur la science pour avoir un juste portrait de la situation.

Ne devrait-on pas faire la même chose en matière de protectionnisme?

Voici donc le juste portrait de la situation de l'impact du protectionnisme, et ce, d'après les travaux de Paul Bairoch (1930-1999), l'un des plus grands historiens de l'économie de l'après-guerre.

Bairoch a découvert une chose fondamentale en analysant les statistiques et les comptes nationaux des pays industrialisés sur une période de deux siècles: le PIB et les exportations peuvent progresser plus vite en situation de protectionnisme qu'en situation de libre-échange.

Or, cette découverte va à l'encontre des idées reçues.

Ce tableau tiré de son classique Mythes et paradoxes de l'histoire économique résume bien la chose.

 

Ainsi, dans la deuxième partie du 19e siècle, soit de 1858-1860 à 1877-1879, l'Europe continentale a connu une phase de libre-échange, sans parler du Royaume-Uni, le premier pays à avoir expérimenté cette politique économique.

Durant cette période, la croissance moyenne agrégée du PIB de l'Europe continentale a progressé de 1,7% par année, selon les statistiques compilées par Bairoch.

Cette ferveur libre-échangiste commence toutefois à s'atténuer dans les années 1870, avec le début de la grande dépression européenne (1873-1893). Le protectionnisme refait alors surface pour redevenir le politique dominante à compter des années 1890, et ce, jusqu'à la Première Guerre mondiale.

Or, durant cette période protectionniste, l'Europe continentale enregistre une croissance économique de 2,4% par an, soit un niveau plus élevé que pendant la phase libre-échangiste.

Cette situation amène Bariroch à faire le constat suivant:

«Le point important est non seulement le fait que la crise ait démarré au plus fort du libéralisme, mais qu'elle se soit terminée vers 1892-1894, juste au moment où le retour au protectionnisme devenait effectif en Europe continentale», écrit-il dans Mythes et paradoxes de l'histoire économique.

Par la suite, l'Europe –et le reste du monde– entre dans une crise majeure de 1914 à 1945: Première Guerre mondiale, révolution russe, montée du nazisme, Dépression des années 1930, Deuxième Guerre mondiale.

La Dépression qui débute avec le krach de 1929 est terrible.

De nombreuses banques font faillite. Le crédit se contracte. La demande globale diminue, obligeant les entreprises à baisser leurs prix pour tenter d'écouler leur production. Le chômage explose.

La misère est généralisée.

Tous les pays ou presque sont touchés. Pour protéger leur marché national, les pays relèvent alors massivement leurs tarifs douaniers.

Aux États-Unis, la Loi Hawley-Smoot fait passer le tarif moyen sur les importations protégées de 39% à 53%, souligne une analyse de la Banque Nationale.

Après la guerre, LA priorité est donc de réduire les barrières tarifaires.

On assiste alors, en 1948, à la création du GATT (l'Accord général sur les tarifs et le commerce) afin de réduire graduellement le protectionnisme qui deviendra ensuite l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Comme on peut le voir sur ce graphique, les pays industrialisé réussissent à réduire graduellement les tarifs douaniers avec des cyles de négociation multilatéraux.

 

Les Trente glorieuses malgré des tarifs relativement élevés

Malgré les tarifs élevés de l'après-guerre, la plupart des pays industriels connaissent une croissante fulgurante durant les «Trente glorieuses», soit de 1945 à 1973, année du premier choc pétrolier.

La croissance moyenne du PIB avoisine les 5% par année, un niveau jamais vu. L'Europe est en reconstruction et l'Occident connaît un baby-boom.

Mais contrairement à ce qu'on peut croire, les Trente glorieuses ne sont pas une période de libre-échange et de libéralisme.

En fait, ces trois décennies sont caractérisées par l'interventionnisme de l'État dans l'économie et le présence de barrières au commerce international et aux flux des capitaux, malgré les progrès réalisés par le GATT.

À vrai dire, la phase libérale dans laquelle nous sommes prend son envol dans les années 1970.

Là, encore, les statistiques permettent de relativiser les impacts positifs du libre-échange par rapport aux impact négatifs du protectionnisme.

Car, loin d'augmenter, la croissance économique des pays occidentaux est en fait déclin depuis 1945, malgré certains rebonds au fil des décennies, comme dans les années 1980 et 1990.

Le Canada et les États-Unis en sont deux exemples éloquents (les données sont tirées des travaux de l'économiste et historien Angus Maddison).

Et depuis la récession mondiale de 2008-2009, l'économie de la planète affiche une croissance molle.

Pourquoi avons-nous une croissance molle?

Certains économistes pointent du doigt les mesures protectionnistes qui se sont multipliées dans les pays du G20, au premier chef aux États-Unis. Mais pour d'autres économistes, cette croissance molle tient davantage au vieillissement de la population et au déclin de la productivité.

Par exemple, dans les années 1970, la population de la planète a bondi de plus de 20%, selon le Fonds monétaire international (FMI). Et elle a progressé encore de 15% dans les années 2000. Par contre, ce taux chutera dans les prochaines décennies.

Ainsi, dans les années 2050, la population mondiale ne devrait progresser que de 5% –elle reculera même dans l'ensemble des pays développés.

Quant à la productivité, les travaux de Daniel K. Tarullo, l'un des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine (FED), sont très instructifs. Il a analysé l'évolution de la productivité dans l'histoire des États-Unis.

Son constat? Elle est en déclin.

Ainsi, de l'après-guerre jusqu'en 1971, la productivité a évolué en moyenne de 2,75% par année aux États-Unis. Par contre depuis 1971, la productivité n'a augmenté que de 1,50%.

Voilà pourquoi il faut garder la tête froide à l'égard de la présente montée du protectionnisme, car cette politique n'est pas toujours responsable des phases de déclin économique.

Il va sans dire qu'un retour à des barrières protectionnistes au niveau de celles des années 1930 aurait un impact majeur et catastrophique sur l'économie.

Par contre, la répétition d'un tel scénario est très improbable, voire impossible, car le contexte d'aujourd'hui est très différent. En outre, les accords de libre-échange bilatéraux (comme l'ALÉNA) et multilatéraux (comme l'OMC) se sont depuis multipliés.

Le scénario le plus probable, c'est qu'on assiste à l'augmentation de certains tarifs sur des produits spécifiques, disent la plupart des spécialistes. Le conflit du bois d'oeuvre entre le Canada et les États-Unis est un cas d'espèce, tous comme la multiplication des clauses dites du Buy American.

La montée du protectionnisme situation aura-t-elle un impact sur les coûts d'importation et d'exportation?

Assurément.

Par contre, elle n'entraînera pas une catastrophe économique.

C'est l'une des leçons qu'on peut tirer de l'histoire économique des 150 dernières années.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand