Pourquoi la Chine ne surpassera pas les États-Unis

Publié le 05/01/2019 à 09:07

Pourquoi la Chine ne surpassera pas les États-Unis

Publié le 05/01/2019 à 09:07

Les drapeau de la Chine et des États-Unis.

[Photo: 123rf]

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – C’est devenu un cliché martelé ad nauseam par les médias : la Chine surpassera un jour les États-Unis en déclin pour devenir LA superpuissance mondiale. Or, ce lieu commun ne serait pas fondé, révèlent différentes études et analyses.

L’histoire nous apprend d’ailleurs qu’il faut demeurer prudent face à ce type de prévisions, nous rappelle le Financial Times de Londres, en donnant deux exemples éloquents.

Dans les années 1980, plusieurs analystes affirmaient que l’économie japonaise surpasserait un jour celle des États-Unis, ce qui ne s’est pas produit. Depuis l’éclatement de la bulle immobilière en 1990, l’économie nippone stagne et n’est plus que l’ombre d’elle-même.

En 1956, le leader soviétique Nikita Khrouchthev affirmait que l’histoire était du côté de l’URSS et que le communisme vaincrait le capitalisme. «Nous vous enterrons», avait-il déclaré. On connaît la suite : le communisme s’est effondré et l’URSS a éclaté en plusieurs États aux tournants des années 1990.

Plusieurs facteurs alimentent cette perception selon laquelle les États-Unis se feront un jour ou l’autre damer le pion par la Chine, à commencer par la puissance économique.

En 2018, la Chine avait un PIB de 14 000 milliards de dollars américains, plaçant le pays au deuxième rang après les États-Unis (20 400 G$US), selon le Fonds monétaire international (FMI).

Et l’économie chinoise continue de croître très vite. En 2018, le PIB chinois devrait progresser de 6,6% comparativement à 2,9% aux États-Unis, prévoit l’Economist Intelligence Unit.

La Chine, première puissance économique en 2030

Selon diverses études, la Chine pourrait devenir la première économie mondiale dans les prochaines décennies. La banque britannique HSBC estime que cela arrivera en 2030. Le PIB chinois atteindra alors 26 000 G$US et l’américain 25 200 G$US.

Ce serait une question de mathématiques : la population chinoise est quatre fois plus importante qu’aux États-Unis et sa croissance économique progresse deux fois plus vite.

Un autre facteur fait dire à des analystes que la Chine sera un jour une superpuissance : ses dépenses militaires progressent très vite - elles sont déjà trois fois celles de la Russie – de sorte que l’armée chinoise est de plus en plus puissante.

Le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) estime que les dépenses militaires chinoises se sont élevées à 228,2 G$US en 2017, tandis que celles des États-Unis atteignaient 609 G$US.

Fait peu connu, les Chinois détiennent déjà un avantage sur les Américains pour certains types d’équipements et d’armements tels que les bombardiers, les sous-marins d’attaques et les drones.

En revanche, les États-Unis ont toujours un net avantage en ce qui a trait aux porte-avions, aux sous-marins nucléaires ou aux avions tactiques, comme on peut le voir dans ce tableau.

La Chine est aussi une puissance technologique, comme l'a démontré sa capacité, cette semaine, à poser un engin spatial sur la face cachée de la lune, une première dans l’histoire. Le pays est aussi devenu un leader dans l’intelligence artificielle, la robotique et les télécommunications.

Bref, depuis une quarantaine d’années, la Chine a fait des progrès considérables dans plusieurs domaines. Elle est redevenue une puissance en Asie-Pacifique -comme elle l’a été la plupart du temps dans son histoire- et elle étend son influence dans le monde.

Les nombreux talons d’Achille de la Chine

Malgré tout, la Chine n’a pas le potentiel pour devenir une superpuissance globale comme les États-Unis, affirment plusieurs analystes. En fait, plusieurs facteurs empêcheront la Chine d’atteindre cet objectif.

  •  La population de la Chine diminuera : La Chine compte près de 1,4 milliard d’habitants. Or, la population devrait commencer à diminuer à partir de 2023, selon l’Organisation des Nations unies (ONU). Son scénario médian prévoit que la population descendra à environ 1 milliard en 2100. Pourquoi? Le taux de fécondité (1,6 en 2016, selon la Banque Mondiale) est inférieur au seuil de remplacement des générations (2,1) et le pays n’accueille pratiquement pas d’immigrants.
  • La Chine manque de bras : Comme dans plusieurs pays développés, la population active en Chine (les gens âgés de 16 à 59 ans) diminue, en l’occurrence depuis 2012. Et elle pourrait fondre de 23% d’ici 2050, selon le magazine britannique The Economist. Cette pénurie de main-d’œuvre mine sa croissance économique.
  • L’interventionnisme de l’État mine l’innovation : de 1998 à 2003, la Chine a fait plusieurs réformes économiques libérales. Or, depuis la présidence de Xi Jinping en 2013, l’interventionnisme de Pékin s’est accru, de sorte que le crédit est essentiellement accordé aux sociétés d’État, selon le Financial Times. Une situation qui peut miner l’innovation et le progrès économique en Chine.
  • La Chine n’attire pas assez de talents : depuis la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis sont devenus le centre mondial pour la recherche scientifique et l’éducation de haute qualité. Le pays devrait garder ce statut dans un avenir prévisible notamment grâce à l’immigration, selon le magazine japonais The Diplomat. Or, malgré tout son potentiel, la Chine n’est pas et ne deviendra pas un aimant pour les meilleurs cerveaux du monde comme le sont les États-Unis.
  • Le yuan n’est pas en voie de détrôner le dollar américain : le yuan chinois est de plus en plus utilisé dans le monde. C’est actuellement la 8e devise qui s’échange le plus dans le monde, selon la Banque des règlements internationaux (BRI). Le dollar américain domine de loin, suivi par l’euro, le yen japonais et la livre sterling. Le dollar canadien arrive au 6e rang. Les analystes s’entendent pour dire que le dollar américain n’est pas en voie d’être détrôné par le yuan, car la devise chinoise n’est pas facilement convertible (Pékin contrôle les mouvements de capitaux).
  • La Chine n’a pas le soutien des principales puissances : en 1945, les Européens ont accepté que les États-Unis deviennent le point d’ancrage de la stabilité économique mondiale. Un statut consacré par les Accords de Bretton Woods (44 pays alliés étaient impliqués), dont l’objectif était de favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la guerre. C’est à ce moment que le dollar est devenu LA devise internationale. Or, aujourd’hui, la Chine est très loin d’avoir l’appui dont les États-Unis ont bénéficié après la Deuxième Guerre mondiale, à commencer par l’Europe, souligne le magazine américain Forbes.
  • L’autoritarisme chinois inquiète : la montée de l’autoritarisme en Chine -après des décennies d’ouverture- n’a rien pour rassurer les autres puissances dans le monde, à l’exception de rares pays comme la Russie.

Depuis une quarantaine d’années, la Chine a connu une croissance fulgurante. Or, le pays ne pourra pas poursuivre son ascension encore bien longtemps.

Sa population diminuera dans les prochaines décennies, comme du reste son économie qui a déjà commencé, elle, à décélérer depuis 2010, selon le National Bureau of Statistics of China.

Aussi, selon une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’économie américaine pourrait même progresser un peu plus vite que celle de la Chine en 2060, soit près de 2% comparativement à 1,8%.

Ceux qui prédisent que la Chine deviendra un jour une superpuissance oublient d’ailleurs un point important : loin de décliner, les États-Unis continueront de prospérer dans les prochaines décennies.

Le pays a plusieurs avantages. C’est une démocratie et un État de droit, avec une culture entrepreneuriale et innovante très dynamique. Sa population continuera aussi de croître, rétrécissant l’écart démographique avec la Chine.

Entre 2014 et 2060, le U.S. Census Bureau prévoit que la population américaine passera de 318,7 à 416,8 millions d’habitants, soit une hausse de 98,1 millions, dont 78,2 millions de nouveaux citoyens issus de l’immigration.

«Une "superpuissance" est un pays qui a la capacité de projeter son pouvoir et son influence dominants partout dans le monde, et parfois dans plus d'une région du monde à la fois, et peut ainsi atteindre de manière plausible le statut d'hégémonie mondiale», affirme Alice Lyman Miller, chercheure et spécialiste de la Chine à l'Université de Stanford.

Et pour y arriver, un pays doit exceller dans plusieurs domaines, soit l’économie, l’armée, la politique et la culture (incluant la langue), sans parler du poids démographique et du jeu des alliances.

Les États-Unis excellent dans tous ces domaines, mais pas la Chine, ni aujourd’hui ni à l’avenir, disent des spécialistes.

Un jour, la Chine sera une grande puissance, mais elle ne pourra pas ravir le titre de superpuissance aux États-Unis.

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand