Populisme: les élites jouent avec le feu

Publié le 13/05/2017 à 08:52

Populisme: les élites jouent avec le feu

Publié le 13/05/2017 à 08:52

Source photo: 123rf

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Malgré la victoire d’Emmanuel Macron en France, les élites dans le monde peuvent difficilement crier victoire et maintenir le statu quo, car elles sont en grande partie responsables de la fronde populiste sur la planète. Aussi, sans réformes majeures, les formations anti-système risquent de poursuivre leur ascension.

En fait, les élites politiques et économiques, de gauche comme de droite, sont de plus en plus déconnectées d’une bonne partie de la population, au premier chef de la classe ouvrière, déplorent des spécialistes.

Par exemple, aux États-Unis, la relation historique entre la classe ouvrière et l’élite progressiste américaine est «brisée», affirme l’universitaire américaine Joan C. Williams dans un entretien au FT Magazine (They don’t want compassion. They want respect).

L’intellectuelle affirme que cette élite éduquée et urbaine ne respecte pas, voire méprise, les ouvriers–souvent des blancs, ruraux, peu éduqués– et n’a d’yeux que pour les minorités ethniques et sexuelles.

Or, cette classe ouvrière était depuis les années 1930 la base électorale des démocrates.

Mais lors de l’élection présidentielle aux États-Unis, une partie importante des ouvriers ont voté pour le populiste Donald Trump.

Et on assiste du reste au même phénomène en France.

Une majorité d’ouvriers ont délaissé le parti socialiste afin de voter pour Marine Le Pen, la leader du Front national d’extrême droite.

En général, les électeurs qui votent pour des partis populistes se regroupent dans deux grandes catégories, selon le think thank britannique Chatham House (Right Response: Understanding and Countering Populist Extremism in Europe).

La première compte des citoyens de la classe moyenne inférieure, qualifiés ou sous-qualifiés. Ces gens vivent une grande insécurité économique, car ils ont perdu par exemple leur travail ou leur maison -ou ils ont peur de les perdre.

Ces citoyens pointent du doigt le libre-échange, même si dans les faits le grand responsable sont les changements technologiques, selon une étude du Center for Business and Economic Reasearch de la Ball State University.

La seconde catégorie regroupe des électeurs qui sont inquiets à propos de l'immigration et la diversité culturelle. Ils ont l'impression que les immigrants, les minorités et le multiculturalisme menacent leur culture nationale.

Comment les élites ont favorisé la montée du populisme

En fait, le populisme progresse en Occident parce que les partis traditionnels, les sociaux-démocrates, les libéraux et les conservateurs, répondent justement de moins en moins aux attentes et aux craintes des électeurs dits populistes.

Selon le magazine français Alternatives Économiques, les élites ont carrément rejeté le peuple (mépris des classes populaires, réduction des impôts pour les riches, démantèlement des programmes sociaux, etc.), et elle paie aujourd'hui le prix de ce rejet.

«Nos sociétés finissent par subir les coûts de cet abandon. "Les pauvres", en fait tous ceux qui subissent ou se sentent menacés par le déclassement, en arrivent à se rebeller.»

Au 47e Forum économique de Davos, en janvier, les élites politiques et économiques des quatre coins du monde ont même dit craindre que cette rébellion populaire conduise à un recul de la mondialisation.

Ils ont raison, car le processus d’ouverture des marchés est une construction politique (qui s’appuie sur des lois, des traités, une idéologie, le libéralisme économique), et non pas un ordre naturel.

Aussi, si on a pu «construire» la mondialisation, on peut la «déconstruire», souligne une étude de Credit Suisse (The End of Globalization or a more Multipolar World).

L’institution financière y anticipe trois scénarios pour les prochaines années, dont celui de la fin de la mondialisation. Dans ce scénario, les pays collaborent moins entre eux, alors que les barrières au commerce et le protectionnisme augmentent.

Quelle réponse donner au populisme?

Il n’y a pas de recette miracle pour restaurer la paix sociale.

Cela dit, une société plus égalitaire et plus juste, qui tient compte des besoins et des aspirations des plus vulnérables, qui favorise davantage l’égalité des chances, le bien commun et l’éducation serait un bon départ, car une telle société favorise la paix sociale, s’entendent pour dire les spécialistes.

Pour sa part, Chatham House identifie six stratégies qui sont soit déployées ou qui devraient l'être par les partis politiques traditionnels pour tenter de combattre le populisme.

Notez bien que les quatre premières sont inefficaces, tandis que les deux dernières (5 et 6) donnent des résultats, selon Chatham House.

1. L'exclusion (inefficace): cette stratégie consiste à empêcher les candidats des partis populistes d'être élus et d'influencer le débat public. Or, il y a peu d'indications voulant que cette approche fonctionne. Elle a plutôt tendance à radicaliser davantage ces formations politiques.

2. La diffusion (inefficace): cette stratégie cherche à favoriser la diffusion des idées des partis anti-système, et ce, afin de mieux les combattre dans l'espace public. Or, cette approche est à double tranchant, car les débats sur des enjeux comme l'immigration tendent souvent à favoriser les partis populistes. Pourquoi? Parce que les formations traditionnelles n'arrivent généralement pas à atténuer les craintes de la population sur les questions identitaires.

3. L'adoption (inefficace): cette stratégie signifie que les partis traditionnels adoptent des mesures des partis populistes en devant par exemple plus restrictif sur l'immigration, l'intégration ainsi que sur la loi et l'ordre. Or, cette approche peut miner leur crédibilité auprès de leur électorat et donner une crédibilité au discours populiste.

4. Le principe (inefficace): cette stratégie consiste à répliquer systématiquement aux arguments anti-immigration des partis populistes en faisant valoir que l'immigration a des effets bénéfiques sur l'économie. Or, non seulement cette approche ne réduit pas l'anxiété des électeurs populistes, mais elle tend à renforcer leurs sympathies à l'égard des idées des formations anti-système.

5. L'engagement (efficace): cette stratégie qui consiste à faire du terrain, à rencontrer les électeurs des partis populistes dans leur milieu et à discuter avec eux, en personne, lors d'assemblées de cuisine par exemple, donne des résultats. Aussi, pour gagner le coeur et les esprits des électeurs populistes, les partis traditionnels doivent faire partie intégrante de la communauté, avoir une présence locale forte et tisser des liens avec les forums et les groupes locaux.

6. L'interaction (efficace): la meilleure stratégie pour réduire la méfiance des électeurs populistes à l'égard des immigrants est de les mettre en contact avec eux. Depuis des décennies, les recherches en psychologie sociale démontrent que l'accroissement des contacts entre les membres de différents groupes peut réduire les préjugés, contrer la perception de menace culturelle et accroître le niveau de tolérance.

Le populisme fait désormais partie du paysage politique des pays occidentaux.

Plusieurs facteurs ont contribué à sa progression, dont l’abandon par les élites des ouvriers, des pauvres et des personnes les plus vulnérables de la société.

Le néolibéralisme a aussi nourri le populisme, car il a affaibli l’État social-démocrate en réduisant le filet de protection sociale.

Or, ce dernier avait été justement créé par les élites après la Dépression des années 1930 et la Deuxième Guerre mondiale afin de réduire les inégalités économiques et restaurer la paix sociale.

Juste avant et après la chute du communisme en Europe au tournant des années 1990, plusieurs leaders politiques et économiques ont dit qu’il n’y avait plus d’alternative au libéralisme économique.

Eh bien, force est de constater qu’il semble y en avoir une désormais avec le populisme.

Reste à voir si les élites politiques et économiques le réalisent vraiment.

Certes, nous ne sommes pas en 1789 en France, avant la Révolution française, ou en 1917 en Russie, avant la révolution communiste.

Mais ce serait une grave erreur de sous-estimer la colère populaire et la nouvelle lutte des classes qui semble se dessiner à l’horizon.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand