Nous exagérons la menace nord-coréenne

Publié le 25/03/2017 à 08:12, mis à jour le 05/04/2017 à 12:22

Nous exagérons la menace nord-coréenne

Publié le 25/03/2017 à 08:12, mis à jour le 05/04/2017 à 12:22

Le leader nord-coréen Kim Jong-Un (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE– Pas une semaine ne passe sans qu’un gouvernement, un analyste ou un média affirment que la Corée du Nord représente une grave menace pour le monde en raison de ses armes nucléaires. Si cette menace existe, elle est toutefois largement exagérée.

Pourtant, depuis l’élection de Donald Trump, les tensions entre Washington et Pyongyang se sont grandement accrues. Lors de son passage à Séoul le 17 mars, le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, a même déclaré que Washington n’excluait pas d’attaquer le régime communiste nord-coréen.

«La politique de patience stratégique est terminée. S’ils élèvent la menace de leur programme d’armement à un niveau qui nécessite à nos yeux une action, alors cette option sera sur la table.»

Une déclaration qui survient alors que les États-Unis et la Corée du Nord bombent le torse, souligne Le Monde.

Les armées américaines et sud-coréennes simulent une incursion dans le pays, tandis que la Corée du Nord a repris ses tirs de missiles, qui avaient été suspendus avant l’élection présidentielle aux États-Unis.

Quand la Corée du Nord pourra frapper les États-Unis

Ce que Washington craint le plus, c’est qu’un missile nord-coréen puisse un jour atteindre les États-Unis (et pas seulement l’Alaska).

Dans une récente analyse, le magazine Foreign Policy indique que la Corée du Nord pourrait bien y arriver un jour à l’aide de ses missiles KN-14 et KN-08.

Ils seraient dotés respectivement d’une portée 10000 et 11500 kilomètres, selon les estimations du Center for Nonprolification Studies et du ministère américain de la Défense.

Par contre, ils n’ont pas encore été testés à ce jour.

Donc, si la tendance se maintient, il est possible que la Corée du Nord ait un jour les capacités logistiques et techniques de bombarder les États-Unis avec un missile doté d’une ogive nucléaire.

Est-ce un risque inacceptable pour les Américains? La réponse est non, car il y a des précédents, affirment les spécialistes.

Les puissances nucléaires ne se font pas la guerre

Durant la guerre froide, les États-Unis ont vécu sous la menace constante d’une guerre nucléaire totale avec l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).

L’Inde et le Pakistan, deux autres puissances nucléaires rivales, se toisent aussi depuis des années.

Or, à ce jour, jamais deux puissances nucléaires n'ont utilisé leur arsenal atomique pour se combattre.

Pourquoi? Parce que le prix à payer est tout simplement trop élevé. Une guerre nucléaire détruirait des villes, tuerait des millions de personnes, sans parler de la contamination radioactive de l'environnement (air, terre, eau) durant des décennies.

La destruction des villes japonaises d'Hiroshima (le 6 août 1945) et de Nagasaki (le 9 août 1945) par les Américains est gravée dans la mémoire collective.

C'est pourquoi les États-Unis et l'ex-URSS n'ont pas utilisé leur arme nucléaire durant la guerre froide, tout comme l'Inde et le Pakistan.

Et c’est pourquoi il est très improbable que la Corée du Nord attaque un jour les États-Unis (ou leurs alliés en Asie, comme la Corée du Sud ou le Japon), car le pays et son régime seraient détruits en quelques heures.

De plus, les Américains disposent de systèmes qui leur permettent d’intercepter ou de limiter l’impact de tirs de missiles nord-coréens. Une situation qui rend encore plus suicidaire une attaque contre les États-Unis (ou leurs alliés).

Le leader Kim Jong-Un et les généraux nord-coréens le savent très bien.

C’est donc cette assurance d’une destruction mutuelle qui empêche les puissances nucléaires d'utiliser leurs bombes atomiques entre elles.

L'américain Kenneth N. Waltz (1924-2013), l’un des plus grands penseurs de la théorie des relations internationales, explique de long en large cet enjeu dans ses livres, notamment dans Realism and International Politics, qui regroupe plusieurs de ses essais à ce sujet.

Pourquoi la Corée du Nord a la bombe atomique

Par ailleurs, il faut aussi rappeler pourquoi la Corée du Nord dispose aujourd’hui la bombe atomique, comme huit autre pays (les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni, le Pakistan, l’Inde et Israël).

Ce sont pour deux raisons, selon Le Monde diplomatique.

Premièrement, parce que les Américains avaient déployé des armes nucléaires tactiques en Corée du Sud en 1958 (l’administration Clinton les a toutefois retirées en 1994).

Deuxièmement, en raison de la nouvelle doctrine de sécurité adoptée par l’administration Bush en 2002 (après les attentats du 11 septembre 2001), dans laquelle Washington se donnait le droit de lancer une attaque préventive contre la Corée du Nord et les autres «États voyous» tels que l’Iran.

Comme toutes les dictatures, le régime nord-coréen veut survivre. La bombe atomique lui permet donc de réduire le risque d’être attaqué un jour comme l’Irak en 2003.

Et le risque terroriste?

Un autre risque est à considérer, qui pourrait justifier des frappes préventives contre la Corée du Nord, selon certains analystes.

Et si le régime nord-coréen vendait un jour des armes nucléaires à une organisation terroriste, qui pourrait ensuite frapper les États-Unis?

La force de dissuasion nucléaire américaine serait neutralisée advenant un attentat nucléaire anonyme.

Qui frapper en guise de représailles?

Kenneth Waltz a aussi un argument de taille à ce sujet. Selon lui, ce risque est beaucoup moins élevé qu'il n'y paraît à première vue.

Une organisation terroriste ne peut pas acquérir et utiliser une bombe atomique sans le soutien d'un État et de ses services secrets.

Or, cet État ne peut avoir l’assurance à 100% que son identité restera anonyme, même s'il prend des précautions pour ne pas laisser d'indice l’impliquant dans un attentat nucléaire.

«Même si les dirigeants d'un pays arrivaient à se persuader que les chances de subir des représailles nucléaires sont faibles, qui serait prêt à prendre ce risque?», souligne Kenneth Waltz dans Toward Nuclear Peace, un essai publié dans Realism and International Politics.

Kim Jong-Un serait-il prêt à prendre ce risque? Ses généraux et les services secrets nord-coréens le seraient-ils?

On le voit bien, le risque que la Corée du Nord attaque un jour directement ou indirectement les États-Unis avec une bombe atomique est très mince, et ce, même s’il existe du moins en théorie.

Voilà pourquoi on exagère largement la menace nord-coréenne.

Aussi, attaquer de manière préventive la Corée du Nord pour détruire ou affaiblir son programme d’armement (comme le suggère le secrétaire d'État américain) ne devrait pas être une option, car le risque que le régime attaque les États-Unis (ou leurs alliés en Asie, comme la Corée du Sud et le Japon) est très mince.

Que faire alors? La plupart des spécialistes affirment qu’il faut contenir la Corée du Nord, comme les Américains l’ont fait avec l'Ex-URSS durant la guerre froide.

Il faut aussi continuer de négocier avec Kim Jong-Un.

Certains analystes affirment qu'il faut aussi lui donner l’assurance que les États-Unis ne tenteront pas de renverser son régime si la Corée du Nord cesse ne menacer ses voisins et normalise ses relations diplomatiques.

Mais c’est une stratégie à long terme qui requiert de la patience.

Beaucoup de patience.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand