Long tweet à Donald Trump : LA solution pour régler la guerre commerciale

Publié le 09/06/2018 à 08:24

Long tweet à Donald Trump : LA solution pour régler la guerre commerciale

Publié le 09/06/2018 à 08:24

Le président américain Donald Trump et le premier ministre canadien Justin Trudeau (source: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Monsieur le président, on peut vous reprocher bien des choses, mais certainement pas de ne pas avoir à cœur l’intérêt de l’économie et des travailleurs américains, comme en témoignent les tarifs sur l’acier et l’aluminium. Or, en faisant cela, vous vous attaquez aux symptômes et non pas aux causes d’un dérèglement du commerce international qui brime les États-Unis, soit la présence des grandes sociétés d’État chinoises.

Ces State-Owned Enterprises (SOE) chinoises - pour reprendre l’expression consacrée - compte pour quelque 40% de l’industrie manufacturière en Chine et représente 70% de la capitalisation de la Bourse chinoise, souligne l’ancien directeur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy, au South China Morning Post, un quotidien de Hong Kong.

Or, les SOE sont présentes dans pratiquement tous les secteurs de l’économie chinoise, de la haute finance à l’agriculture en passant par la production d’acier et d’aluminium.

Ces grandes sociétés d’État ne sont pas soumises aux lois du marché, car elles reçoivent massivement, directement ou indirectement (par exemple, par le biais de banques d’État), des subventions ou des avantages du gouvernement chinois.

Par conséquent, les SOE peuvent produire à de très faibles coûts et littéralement inonder le marché mondial de leurs produits.

Comme vous êtes un homme d’affaires, je ne vous apprends rien en vous disant que cette offre excédentaire a fait chuter les prix mondiaux ces dernières années. Eh bien, c’est exactement ce qui s’est passé dans l’aluminium, un secteur également stratégique au Canada.

Pourquoi l’industrie américaine de l’aluminium pâtit

Depuis la récession mondiale de 2008-2009, la production d'aluminium en Chine a été multipliée par trois pour atteindre 38 millions de tonnes métriques en 2015, selon une vaste étude de la United States International Trade Commission (Aluminum : Competitive Conditions Affecting the U.S. Industry), publiée en juin 2017.

Il va sans dire que l’explosion de la production chinoise a eu un impact sur les prix de l’aluminium, surtout à partir du début des années 2010 (la chute des prix durant la récession mondiale est due à l’effondrement de la demande).

Certes, les prix ont remonté ces dernières années, mais ils exercent encore une pression négative sur les producteurs d’aluminium aux États-Unis, où la Chine exporte peu d’aluminium.

Et comme le métal gris s’échange en dollars américains dans le monde, les producteurs d’aluminium aux États-Unis n’ont pas pu et ne peuvent toujours pas bénéficier de la flexibilité du taux de change comme les producteurs canadiens.

Or, sans l’effet devise, l’industrie canadienne pâtirait comme la vôtre, selon l’Association de l’aluminium du Canada.

Donc, vous comprendrez, Monsieur Trump, que ce ne sont pas les exportations canadiennes d’aluminium aux États-Unis - ou celles du Mexique ou de pays européens - qui sont à l’origine des malheurs de l’industrie américaine.

C’est la surproduction d’aluminium de la Chine, un pays membre de l’OMC depuis 2001.

Or, en imposant des tarifs de 10% sur les importations d’aluminium aux États-Unis (25% sur l’acier), vous vous attaquez aux symptômes de vos malheurs, c’est-à-dire les faibles prix.

L’OMC doit encadrer les SOE de la Chine

Entre vous et moi, l’argument de la sécurité nationale que vous évoquez est un peu futile, étant donné que le Canada est votre allié indéfectible depuis plus d’un siècle.

C’est une stratégie de négociation pour renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).

Nous l’avons tous compris.

Mais bon, c’est de bonne guerre, pour faire un (mauvais) jeu de mots. Mais cela ne réglera pas les problèmes de l’industrie américaine.

Comment dans ce contexte s’attaquer à la cause de vos malheurs?

Eh bien, en modifiant tout simplement les règles du commerce international afin d’encadrer les grandes sociétés chinoises.

C’est d’ailleurs l’un de vos compatriotes, Chad P. Bown, senior fellow au Peterson Institute for International Ecomomics à Washington, qui a fait cette brillante proposition lors d’un sommet sur l’aluminium à Montréal, le 4 juin.

Chad Bown a mis le doigt sur le bobo : les règles du commerce international de l’après-guerre, du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) à l’OMC, ont été conçues pour encadrer des économies de marché.

Dans cet écosystème, le comportement des entreprises est dicté par l’offre et la demande ainsi que par les prix. Bien entendu, des pays trichent parfois, en subventionnant par exemple leurs entreprises. C’est pourquoi l’OMC permet à un pays membre de porter plainte contre autre.

Le problème, Monsieur le président, c’est que la Chine n’est pas une économie de marché et que les règles actuelles de l’OMC ne prévoient rien pour les State-Owned Enterprises, qui sont omnipuissantes en Chine.

Dans un échange de courriel, Chad Bown m’a donné deux exemples concrets pour comprendre cet enjeu :

#1 Que se passe-t-il si une banque d'État chinoise offre un prêt à un taux d'intérêt inférieur à celui du marché à une entreprise chinoise pour construire une nouvelle usine, parce qu'elle reçoit des instructions du gouvernement?

#2 Que se passe-t-il si une entreprise sidérurgique laminée à chaud en Chine propose des aciers à un prix inférieur à celui du marché mondial aux aciéries chinoises en aval qui fabriquent des tubes en acier?

Rien, car ces deux cas «ne satisfont pas aux définitions standard des subventions de l'OMC même s'ils donnent les mêmes résultats», souligne l’analyste du Peterson Institute for International Ecomomics.

Bonne nouvelle, Monsieur Trump : nul besoin de réinventer la roue pour adapter les règles de l’OMC afin de tenir compte des grandes sociétés d’État chinoises, selon Chad Bown.

Il suffit de s’inspirer d’accords commerciaux existants, comme le fameux Partenariat transpacifique (TPP, en anglais) que vous d’ailleurs rejeté juste après votre élection.

Eh bien, le chapitre 17 de l’Accord de partenariat transpacifique et progressiste (le nouveau nom du TPP) est justement consacré aux SOE et aux monopoles désignés.

Mais pour convaincre la Chine d’adhérer à ces nouvelles règles et d’adapter davantage sa production au jeu de l’offre et de la demande, il faut lui donner quelque chose en contrepartie, souligne Chad Bown.

Votre compatriote suggère de réduire les tarifs douaniers actuellement élevés sur les produits que les Chinois veulent exporter, par exemple les droits sur les importations de vêtements et de chaussures qui ont encore assez élevés.

Appuyez-vous sur vos alliés pour encadrer les SOE

La guerre commerciale entre votre pays et ses principaux partenaires commerciaux, à commencer par le Canada, est mauvaise pour l’économie et la création d’emplois, au Canada et aux États-Unis.

Les travailleurs américains de l’aluminium et de l’acier sont peut-être heureux, mais des dizaines de milliers d’Américains qui travaillent dans des secteurs qui consomment ces deux métaux pâtiront des tarifs douaniers, disent les économistes.

Comme la production des États-Unis est insuffisante pour répondre à la demande domestique, il faut nécessairement importer, et ce, avec une taxe de 25% sur l’acier et de 10% sur l’aluminium.

Au risque de me répéter, Monsieur Trump, vous vous attaquez aux symptômes, pas à la cause.

C’est pourquoi il faut changer de stratégie.

Faites preuve d’un leadership constructif : organisez un grand sommet international avec les principales puissances économiques de la planète, incluant bien entendu la Chine.

Tout le monde a intérêt à que les futures règles de l’OMC tiennent compte des SOE chinoises. Et ces entreprises sont là pour rester, car elles sont au cœur du modèle de développement économique de la Chine.

Je suis convaincu que vos six partenaires du G7, au sommet qui se termine ce samedi à La Malbaie, vous appuieraient dans cette démarche.

Non seulement vous stabiliseriez le commerce international, mais vous protégeriez aussi des dizaines et des dizaines de milliers d’emplois aux États-Unis.

Sans parler des nouveaux emplois qui pourraient sans doute être créés en permettant aux entreprises américaines d’exporter davantage aux quatre coins du monde.

Pour reprendre l’une de vos expressions, Monsieur le président, ce serait un «bon deal».

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand