L'Europe a besoin d'une Allemagne forte

Publié le 24/11/2018 à 08:31

L'Europe a besoin d'une Allemagne forte

Publié le 24/11/2018 à 08:31

Le parlement allemand à Berlin (source photo: 123RF)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – La chancelière allemande Angela Merkel quittera la direction de son parti en décembre, mais restera à la tête du pays jusqu’en 2021. Cette situation risque d’affaiblir la principale puissance du continent alors que l’Europe et le monde ont plus que jamais besoin d’une Allemagne forte.

Le 29 octobre, Angla Merkel a annoncé qu’elle quittait la tête de la CDU (l’Union chrétienne-démocrate, un parti conservateur qu’elle dirige depuis 18 ans) après la débâcle électorale de son parti en Hesse, une province du centre du pays qui abrite la ville de Francfort.

Son parti a notamment perdu des plumes au profit de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) un parti d’extrême droite où «s’affirment la banalisation de l’Holocauste et le racisme», souligne le quotidien allemand Bild.

La plupart des spécialistes s’entendent pour dire que la chancelière -qui quittera le pouvoir après la fin son quatrième mandat en 2021- paie en grande partie le prix politique de son ouverture aux migrants.

À elle seule, l’Allemagne en a accueilli plus de 1 million en 2015, alors que plusieurs pays européens fermaient leur porte comme la Hongrie.

Comme ailleurs en Occident, on assiste en Allemagne au déclin des grands partis de centre-gauche et de centre-droite au profit de partis nationalistes ou de formations qui sont très critiques, voire opposés, à l’Union européenne (UE).

Aussi, même si Angela Merkel reste en poste encore trois ans, son pouvoir réel et son autorité sont affaiblis.

Cette situation crée de l’incertitude politique pour la suite des choses, car l’Europe et le monde peuvent difficilement se passer du leadership allemand dans la présente conjoncture internationale, disent les spécialistes. 

Les États-Unis sont dirigés par un président qui accorde beaucoup moins d’importance à l’alliance transatlantique et à la défense du multilatéralisme mis en place après la Deuxième Guerre mondiale.

Le Royaume-Uni est en train de divorcer de l’Union européenne avec le Brexit.

Des pays membres de l’UE, tels que la Pologne ou la Hongrie, remettent cause les valeurs libérales que sont la liberté de presse, l’indépendance des tribunaux ou le respect des minorités.

Même si l’Union européenne fonctionne, elle a quand même besoin de réformes, à commencer par la création d’un fonds monétaire européen, qui serait un prêteur de dernier recours, selon le quotidien suisse La Tribune.

Enfin, le continent fait face à des défis qui nécessitent une cohésion européenne, et ce, des changements climatiques à la renaissance militaire de la Russie aux frontières orientales de l’UE.

C’est quoi une Allemagne forte?

Nous verrons en 2021 qui succédera à Angela Merkel.

La CDU et le SPD (les sociaux-démocrates) pourront-ils former à nouveau une coalition pour diriger le pays?

L’AfD et les verts (les écologistes) poursuivront-ils leur ascension?

Chose certaine, l’Allemagne sera à la croisée des chemins, car le pays aura essentiellement trois choix devant lui:

  • Se replier sur lui-même en raison de la montée des nationalistes, des eurosceptiques et des critiques de tout processus de mondialisation.
  • Maintenir le statu quo, c’est-à-dire continuer à être une puissance politique moyenne, tout en étant le moteur économique de l’Europe.
  • Assumer son destin, compte tenu de son poids économique, démographique et de sa position géographique, pour devenir LA grande puissance européenne, tout en assumant un leadership au sein de l’Union européenne.

Du point de vue de la gestion du risque géopolitique, la troisième option est celle qui est la plus avantageuse pour les entreprises et les investisseurs.

Mais cela nécessiterait des changements importants.

Avec un PIB de 4 200 milliards de dollars américains en 2018, l’Allemagne est la quatrième puissance économique de la planète, après les États-Unis, la Chine et le Japon, selon le Fonds monétaire international (FMI).

Or, le poids économique de l’Allemagne ne traduit pas en un poids politique et militaire de la même envergure.

Le pays a seulement la neuvième armée la plus puissante au monde, selon le 2017 Military Strenght Ranking du GlobalFirePower (GFP), qui considère plus de 50 indicateurs incluant la diversité de l’armement, les capacités logistiques et la détention de l’arme atomique.

Ce qui des faits États-Unis une grande puissance, c’est moins la taille de son économie que la capacité du pays à projeter la force (et, par conséquent, son influence politique) dans le monde.

Par conséquent, si l’Allemagne veut accroître son influence et devenir un acteur de premier plan pour défendre l’ordre mondial libéral, elle doit se doter d’une armée en conséquence, affirment des spécialistes.

Le pays intervient déjà du reste dans le monde dans différentes missions; il doit en faire plus, car son approche modérée, axée sur le multilatéralisme, est constructive et généralement appréciée de la communauté internationale.

Cela dit, l’Allemagne ne pourra jamais devenir une puissance globale comme les États-Unis ou la Chine (dans les décennies à venir).

Trop grande pour l’Europe et trop petite pour le monde, a déjà souligné à propos de l’Allemagne Henry Kissinger, l’ancien secrétaire d’État du président américain Richard Nixon et grand spécialiste de la diplomatie.

Bref, son poids économique n’est pas assez important.

En fait, l’Allemagne «ne peut réellement exercer son influence que dans un cadre d’une politique européenne commune», selon l’hebdomadaire allemand Die Zeit.

Pourquoi il ne faut pas craindre l’Allemagne

Même si l’Allemagne a repris sa place en Europe depuis la réunification en 1990, les élites politiques hésitent encore à affirmer la puissance allemande en raison du rôle du pays dans le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale.

Or, depuis 1945, l’Allemagne (l’Allemagne de l’Ouest jusqu’en 1990) est une société démocratique exemplaire où l’État de droit et le respect des libertés individuelles sont bien ancrés dans la culture allemande.

Le pays est aussi bien intégré dans les institutions politiques et économiques de l’Union européenne.

Dans ce contexte, un retour au militarisme et à l’autoritarisme allemand est très improbable, estiment la plupart des spécialistes.

C’est pourquoi la troisième option (que l’Allemagne devienne une grande puissance européenne) est souhaitable dans le monde actuel.

En 2017, Aleksander Kwasniewski, l’ex-président de la Pologne, un pays qui a pourtant souffert de l’occupation nazie, a même déclaré que «l’Europe, comme jamais auparavant, a besoin d’un leadership allemand fort».

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand