L'Espagne entre dans une zone de turbulences

Publié le 30/09/2017 à 10:30

L'Espagne entre dans une zone de turbulences

Publié le 30/09/2017 à 10:30

Des Catalans brandissant le drapeau de la Catalogne. (source image: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Peu importe ce qui arrivera en Catalogne ce dimanche, l’Espagne se prépare à entrer dans une zone de turbulences, alors que le pays vit sa pire crise politique depuis la tentative de coup d’État de 1981 contre la jeune démocratie espagnole.

Au moment d’écrire ces lignes, il est impossible de savoir avec certitude si le référendum du 1er octobre sur l’indépendance de la Catalogne aura lieu ou non. Madrid clame haut et fort qu’il n’y aura pas de vote. Nous serons bientôt fixés. Et si les Catalans se prononcent malgré tout dimanche, l’issue est tout aussi incertaine.

Car, avant les manœuvres du gouvernement espagnol pour empêcher la tenue de la consultation (arrestations, fermetures de sites web, saisis de tracts, etc.), les sondages accordaient la victoire au camp du NON avec un score d’environ 60%.

Mais aujourd’hui, l’intervention de Madrid -sous prétexte que ce référendum est illégal, car non prévu par la constitution de 1978 -pourrait bien faire pencher la balance du côté du OUI, estiment certains analystes.

Dans ce contexte très tendu, un retour à la normale est exclu en Espagne le 2 octobre, et ce, peu importe le scénario sur la table.

Et il y en a trois.

Scénario #1 : le référendum n’a pas lieu

Dans ce scénario, les autorités espagnoles empêchent le référendum ou du moins sa tenue avec une ampleur suffisante afin que les résultats soient légitimes, même aux yeux des indépendantistes.

Le fossé politique est alors plus profond que jamais entre les Catalans et le reste de l’Espagne. Pourtant, plusieurs Catalans opposés à l’indépendance voulaient néanmoins se prononcer afin d’affirmer leur attachement au royaume espagnol. Les sondages indiquent que 87% des Catalans veulent voter.

La stratégie de Madrid est simple : elle consiste uniquement à faire respecter la légalité -le pays n’est pas divisible, selon la constitution.

Pour sa part, le droit international reconnaît le droit à l’autodétermination uniquement dans le cas d’un contexte colonial, d’une invasion étrangère ou du non-respect des droits de la personne ou de la discrimination d’une minorité, rappelle The Economist.

Aucun de ces critères ne s’applique vraiment à la Catalogne.

Par contre, plusieurs politologues soulignent que le droit à l’autodétermination est davantage une question politique que juridique, car la souveraineté réside dans le peuple.

C’est d’ailleurs pourquoi les Québécois et les Écossais ont pu se prononcer sur leur avenir.

Cela dit, dans le cas du Québec et de l’Écosse, les consultations ont été organisées en accord avec Ottawa et Londres, sans parler du fait que le Canada et le Royaume-Uni sont deux pays ayant une longue tradition démocratique.

Une situation qui détonne avec la crise politique en Espagne, une jeune démocratie qui était encore une dictature militaire jusqu’au milieu des années 1970.

C’est pourquoi le statu quo est insoutenable dans ce premier scénario.

Pour rétablir les ponts avec la Catalogne et faire baisser les tensions, Madrid devra nécessairement accorder plus d’autonomie aux Catalans.

Le gouvernement devra aussi sans doute réformer la constitution afin de permettre aux Catalans de se prononcer légalement sur leur avenir politique au sein du royaume.

Scénario #2 : le référendum a lieu et le OUI l’emporte

Dans ce scénario, les autorités de la Catalogne réussissent à organiser un référendum à l’issue duquel le OUI l’emporte.

Bien entendu, le pourcentage des voix en faveur de l’indépendance est déterminant pour la suite des choses. Dans le contexte actuel, une victoire à 50% + 1 rend très difficile, voire impossible, toute déclaration d’indépendance de la Catalogne.

Le résultat serait contesté vigoureusement par le gouvernement espagnol. Le camp du NON monterait aussi aux barricades. Et peu de pays seraient enclins à reconnaître le nouvel État au sud-ouest de l’Europe.

Par contre, si le OUI dépasse les 60%, le gouvernement catalan pourrait proclamer plus facilement l’indépendance. Madrid devrait sans doute accepter le résultat à contrecoeur. La Catalogne aurait aussi moins de difficulté à se faire reconnaître par la communauté internationale.

En revanche, l’incertitude et l’instabilité ne disparaîtraient pas pour autant.

La Catalogne pourrait-elle demeurer au sein de l’Union européenne?

La Catalogne pourrait-elle encore utiliser l’euro?

La Catalogne pourrait-elle demeurer dans l’espace Schengen (un espace unique en matière de contrôles frontaliers regroupant 26 États européens, dont des pays non membres de l’UE comme la Suisse), alors que les migrants arrivent de plus en plus en Europe par le sud du continent.

Chose certaine, en cas d’une victoire du OUI, l’euro serait malmené sur les marchés financiers. On assisterait aussi à l’explosion des coûts d’emprunts de la Catalogne et de ceux d’une Espagne amputée de 20% de son PIB.

Scénario #3 : le référendum a lieu et le NON l’emporte

C’est le scénario qui aurait le moins d’impact politique et économique pour l’Espagne. Là aussi, toutefois, l’ampleur de la victoire du NON serait déterminante.

Une majorité claire (supérieure à 60%) écarterait sans doute la tenue d’un autre référendum sur la souveraineté de la Catalogne dans un avenir prévisible.

En revanche, une victoire à l’arrachée du NON pourrait mettre la table pour un second référendum à moyen terme.

Cela dit, dans les deux cas, Madrid devrait aussi faire des concessions et accorder davantage d’autonomie à la Catalogne, dans l’espoir de marginaliser le mouvement indépendantiste.

Les prochaines heures sont cruciales pour l’Espagne et les Catalans. Les yeux de la planète seront tournés vers la péninsule ibérique ce dimanche, mais aussi dans les jours, les semaines et les mois à venir.

Car la stabilité politique de la région sera mise à rude épreuve, et ce, peu importe ce qui se passera demain dans la cinquième économie de l’Europe.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand