Les robots menacent-ils la stabilité sociale?

Publié le 25/02/2017 à 09:41

Les robots menacent-ils la stabilité sociale?

Publié le 25/02/2017 à 09:41

(Photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE - Depuis la révolution industrielle, la mécanisation a profondément transformé les systèmes de production. Aujourd'hui, les robots et l'intelligence artificielle promettent de transformer la société... et de supprimer des millions d'emplois. Les robots menacent-ils la paix sociale?

Depuis deux siècles, l'industrialisation a supprimé un nombre incalculable d'emplois dans le secteur agricole. Ce processus s'est accéléré rapidement au 20e siècle. Résultat? La portion de l'agriculture dans le PIB a fondu, alors que celle du manufacturier et celle des services ont bondi.

Mais depuis une cinquantaine d'années, le secteur manufacturier recule lui aussi.

Aujourd'hui, il ne représente que 15% du PIB en moyenne dans le monde, selon le Banque mondiale. Mais il y a des variations d'un pays à l'autre. Par exemple, le manufacturier compte pour 12% et 15% aux États-Unis et Canada, alors qu'il s'établit à 23% en Allemagne.

Les emplois manufacturiers disparaissent aussi rapidement

Par exemple, de 2000 à 2010, les États-Unis ont perdu environ 5,6 millions d'emplois manufacturiers.

Selon une étude du Center for Business and Economic Reasearch de la Ball State University, 85% de ces pertes sont attribuables aux changements technologiques -le reste tient aux délocalisations dans les pays à faible coût de production.

Au fil des ans, alors que des emplois se perdaient dans le secteur manufacturier, d'autres étaient créés dans les services (commerce de détail, finance, etc.) ou dans de nouveaux domaines tels que les technologies de l'information.

Mais aujourd'hui, un nombre grandissant de décideurs politiques et économiques craignent que les nouveaux emplois soient de moins en moins au rendez-vous, et ce, en raison de la robotisation et de l'intelligence artificielle.

Des prévisions inquiétantes

Et ils ont raison de s'inquiéter, si l'on se fie à la synthèse des études publiées à ce sujet dont fait état Silicon.fr, une publication spécialisée dans les technologies.

En 2015, dans le rapport «The Future of Jobs», le cabinet Forrester estimait que les robots et l'intelligence artificielle pourraient détruire 16% des emplois aux États-Unis d'ici 2025, ce qui représente 22,7 millions de postes.

Mais dans le même temps, cette automatisation contribuerait à créer 9% de nouveaux emplois aux États-Unis (ou 13,6 millions de postes), par exemple pour la création de logiciels et la maintenance.

Au net, il y a aurait malgré tout une perte de 7% d'emplois (ou 9,1 millions de postes).

En 2013, deux économistes de l'Université d'Oxford estimaient que 45% des emplois aux États-Unis seraient affectés significativement par l'informatisation. Dans l'Union européenne, ce serait 54% des emplois qui serait touchés, selon le think thank européen Bruegel.

Enfin, dans une étude publiée en 2014, le cabinet Gartner prévoyait que les robots, les machines intelligentes et les logiciels remplaceraient un emploi sur trois dans le monde d'ici 2025.

Mais il y a loin d'y avoir un consensus à ce sujet.

En 2013, le Brookings Institute, un think thank américain, publiait une analyse dans laquelle il a affirmait qu'il n'y a «essentiellement pas de relation» entre les pertes d'emplois dans le secteur manufacturier et l'utilisation des robots.

Et le think thank donnait l'exemple des entreprises allemandes pour appuyer son propos.

Par exemple, de 1993 à 2007, l'Allemagne a beaucoup plus robotisé son économie que les États-Unis. Or, de 1996 à 2012, l'Allemagne a seulement perdu 19% de ses emplois manufacturiers comparativement à 33% aux États-Unis.

De plus, Brookings Institute souligne que les pays qui ont moins investi dans la robotisation comme le Royaume-Uni et l'Australie ont vu leur secteur manufacturier décliner plus rapidement.

Mieux vaut prévenir que guérir

Que faire dans ce contexte?

Faut-il vraiment s'inquiéter?

Qui aurait pu imaginer, par exemple, dans les années 1960, tous les nouveaux postes qui ont été créés dans l'informatique, les technologies de l'information ou les biotechnologies dans les années 2010?

Aussi, il y a certainement des millions d'emplois de l'avenir que nous ne sommes même pas capables d'imaginer aujourd'hui.

Cela dit, mieux vaut prévenir que guérir, dit l'adage.

Aussi, LA priorité des gouvernements et des entreprises devrait être l'éducation et la formation de la main-d'oeuvre.

Le marché du travail se transforme rapidement. Les connaissances et les compétences requises sont et seront de plus en plus élevées, et ce, de l'agriculture à la finance, de la médecine aux emplois manufacturiers.

La formation continue devrait être un mode de vie, voire une obsession, pour les travailleurs et les professionnels, disent les spécialistes.

On ne peut jamais être trop formé ou éduqué.

Enfin, les décideurs politiques et économiques devraient réfléchir sérieusement à la société de demain qui pourrait générer un nombre considérable d'exclus sociaux.

C'est-à-dire des gens qui n'auront pas les qualifications pour occuper un emploi ou qui seront condamnés à de «petits boulots» manuels, répétitifs et mal rémunérés, constamment à risque d'être abolis par des robots.

Si collectivement nous n'arrivons pas à les éduquer ou à les former, leur nombre grandira un peu partout dans le monde et ils finiront par se révolter.

Du reste, cette révolte a déjà commencé avec l'élection de Donald Trump aux États-Unis.

Et les robots pourraient bien amplifier cette révolte dans les années à venir si les changements technologiques se traduisent par un chômage de masse et un avenir fermé pour les exclus sociaux.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand