Les Italiens embrasseront-ils le populisme?

Publié le 03/03/2018 à 08:24

Les Italiens embrasseront-ils le populisme?

Publié le 03/03/2018 à 08:24

(Photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE - Les Italiens voteront ce dimanche 4 mars pour élire leur prochain gouvernement. L'incertitude est à son comble, alors que cette élection pourrait porter au pouvoir des partis populistes et anti-Union européenne et euro, sans parler de relents xénophobes en raison des migrants.

Bien malin qui peut prévoir les résultats de ces élections législatives. Les élites du pays sont toutefois très inquiètes, car les scénarios possibles risquent de miner davantage l’économie et la stabilité politique de l’Italie, souligne le Wall Street Journal.

Farouchement anti-establishment, le Mouvement 5 étoiles (M5S) récolte près de 30% des intentions de vote. Ce mouvement dirigé par Luigi Di Maio prône la démocratie directe et l’écologisme, tout en étant eurosceptique et en faveur de la décroissance.

Par contre, la coalition formée de l’ancien premier ministre Silvio Berlusconi de Forza Italia, de la Ligue du Nord populiste et eurosceptique ainsi que du parti d’extrême droite les Frères d’Italie domine dans les sondages à environ 35%.

Le Parti démocrate, la formation politique de centre gauche qui gouverne l’Italie depuis 5 ans, traîne pour sa part la patte avec environ 23% des intentions de vote.

Aussi, dans ce contexte, l’Italie risque fort bien d’être plus affaiblie et instable après les élections législatives, estiment plusieurs analystes.

Or, le pays pâtit déjà depuis des années de divers problèmes économiques qui minent sa croissance économique.

1.La croissance économique stagne

Au quatrième trimestre, le PIB italien a progressé de 1,6%, pour atteindre une moyenne de 1,5% pour l’ensemble de 2017, selon l’Economist Intelligence Unit (EIU).

Cela dit, depuis la création de la zone euro en 1999, la croissance économique cumulative de l’Italie (et non pas sur une base annuelle) n’a été que 4%, souligne une analyse de la Financière Banque Nationale (FBN).

Or, sur la même période de près de 20 ans, la France et les États-Unis ont vu leur PIB cumulatif croître respectivement de 24,5% et de 39,8%.

2.La population de l’Italie a commencé à diminuer

En 2016, le pays comptait 60,67 millions d’habitants, selon l’agence Eurostat. L’an dernier, elle avait glissé à 60,59, soit une baisse de 80 000 habitants. Or, avec la productivité, la démographie est l’une des deux composantes de la croissance économique.

La diminution de la population italienne mine donc le dynamisme de l’Italie.

3.Les coûts d’emprunt sont bas… pour l’instant

Depuis 5 ans, les coûts d’emprunt de l’Italie ont diminué de moitié. Actuellement, les taux des obligations 10 ans s’établissent à 2,9%, selon Bloomberg. Le gouvernement peut donc emprunter plus facilement pour investir.

Du moins, pour l’instant, affirment certains analystes.

Car, si les Italiens élisent un gouvernement ou une coalition populiste et anti-Union européenne et euro, les investisseurs pourraient bouder la dette italienne, ce qui ferait augmenter les coûts d’emprunt du pays.

Une situation périlleuse, alors que la dette de l'Italie représente 131,5% du PIB en 2017, en légère baisse par rapport à 2016 à 132%, selon l’Institut national de statistiques (ISTAT).

Au Canada, cette proportion s’établit actuellement à 30,4% du PIB.

Dans une analyse publiée dans le magazine Foreign Policy, Luigi Zingales, professeur à la Booth School of Business de l’Université de Chicago, affirme que l’Italie souffre de plusieurs maux:

-la productivité stagne

-la population diminue

-les jeunes diplômés quittent le pays

-l’immigration est de moins en moins populaire

Comment investir en Italie

Dans ce contexte d’incertitude, quelles stratégies devraient adopter les investisseurs qui sont exposés aux marchés italien et européen? Nous avons posé la question à Jean-René Ouellet, analyste principal et gestionnaire de portefeuille chez Valeurs mobilières Desjardins.

Il note d’emblée que les investisseurs ne semblent pas nerveux à la veille des élections italiennes.

«Si les investisseurs se sont inquiétés à quelques reprises des flambées populistes (Grèce, États-Unis, France, Autriche, etc.) au cours de dernières années, les répercussions se sont avérées beaucoup plus modestes. Dès lors, on comprend la quasi-absence de nervosité à la veille de l’élection italienne», dit-il.

Pourtant, l’élection en Italie «pourrait réellement faire des vagues», car certains partis évoquent la possibilité d’une sortie du pays de l’Union européenne.

«Si le pays devait sortir de l’Union européenne, l’Italie, avec sa force manufacturière, pourrait réellement bénéficier d’une devise plus faible pour améliorer sa compétitivité», affirme le gestionnaire de portefeuille.

Autre facteur atténuant pour l’Italie : son déficit excluant le paiement des intérêts sur sa dette est relativement minime. De plus, une grande partie de la dette italienne est détenue par des Italiens et non par des étrangers.

Aussi, ces facteurs distinguent la situation en Italie de celle en Grèce par exemple, souligne Jean-René Ouellet. Mais il a un piège, selon lui.

«Dans ce contexte, les investisseurs pourraient être trop optimistes à l’égard du prochain scrutin ce dimanche.»

Que doivent faire alors les investisseurs ?

D’un point de vue défensif, le portefeuilliste estime que les investisseurs pourraient réduire leur exposition au marché italien, voire même éviter d’investir en Europe.

«Si les électeurs optent réellement pour un choix populiste et que la remise en doute de l’Union européenne refait surface, alors c’est possiblement tout le continent qui serait affecté», dit-il.

D’un point de vue offensif, si les électeurs italiens sont «raisonnables» ou que les populistes se montrent «plus conciliants», alors la croissance en Europe pourrait se poursuivre, estime Jean-René Ouellet.

«Dans un contexte encore plus favorable, le secteur financier serait un indéniable bénéficiaire», affirme le gestionnaire de portefeuille. Pour s’exposer à ce secteur, il propose d’utiliser des fonds négociés en Bourse tels que le iShares MSCI Europe Financials (EUFN, 23,62$US).

Dans les prochaines heures, nous saurons si l’Italie pourra poursuivre sa participation constructive à l’Union européenne ou si elle sombrera dans une nouvelle période d’incertitude, et ce, sur un continent où les partis extrémistes gagnent du terrain partout ou presque.

L’enjeu est de taille : l’Italie est la quatrième économie d’Europe et la troisième économie de la zone euro.

Avec un PIB de 1 800 milliards de dollars américains, l’Italie est aussi la huitième économie mondiale après l’Inde (2 100 G$US) mais devant le Brésil (1 800 G$), selon la Banque Mondiale.

Aussi, contrairement à la Grèce, une période d’incertitude et d’instabilité en Italie aurait un impact beaucoup plus grand sur l’économie et les marchés financiers en Europe.

L’Amérique du Nord pourrait même sentir l’onde de choc dans une certaine mesure.

Voilà pourquoi cette élection est si importante.

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand