Le plan de match de Kim Jong-un

Publié le 04/05/2018 à 11:33

Le plan de match de Kim Jong-un

Publié le 04/05/2018 à 11:33

Le leader nord-coréen Kim Jong-un et son homologue sud-coréen Moon Jae-in (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Même s’il faut demeurer prudent, la volonté de la Corée du Nord de normaliser ses relations avec la Corée du Nord et Washington est de bon augure. Elle démontre surtout que Kim Jong-un est un acteur rationnel, moins erratique et imprévisible que ne le laissent entendre la plupart des médias occidentaux.

Le 27 avril, lors d’un sommet historique avec le président de la Corée du Sud Moon Jae-in, le dirigeant nord-coréen a indiqué qu’il était prêt à fermer son principal site d’essais nucléaires. Au cours de cette rencontre, les deux hommes se sont engagés sur la voie de la réconciliation de leur pays, officiellement en guerre depuis 65 ans -un armistice a été signé en 1953.

Un tel développement tient à plusieurs facteurs, par commencer par les fortes pressions politiques, miliaires et économiques de l’administration Trump. Mais aussi au fin jeu diplomatique du président Moon qui a su trouver le bon ton et les mots justes pour tendre la branche d’olivier à son homologue nord-coréen.

La paix pourrait-elle être conclue entre les deux frères ennemis? Des analystes commencent à y croire, même s’ils font preuve d’un optimisme prudent.

Le cas échéant, cela réduirait drastiquement les risques géopolitiques pour les exportateurs et les investisseurs dans cette région du monde.

Par contre, le risque ne serait pas nul, car le régime communiste nord-coréen ne renoncera jamais à son arsenal nucléaire qu’il a développé au fil des décennies

Pourquoi? Tout simplement parce que la bombe atomique assure la sécurité de la Corée du Nord (les puissances nucléaires ne se font pas la guerre) et lui permet d’être traité d’égal à égal par les autres puissances nucléaires, à commencer par les États-Unis.

Un rappel historique s’impose afin de mieux comprendre cette situation.

Pourquoi la Corée du Nord a la bombe atomique

L’origine des tensions dans la péninsule coréenne remonte aussi loin qu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945).

Après la défaite du Japon en 1945, la Corée, qui avait été annexée par les Japonais en 1905, a été partagée en deux zones d’occupation séparées par le 38e parallèle, soit la frontière actuelle entre les deux Corée.

Les Américains occupaient le sud, les Soviétiques le nord.

Deux États rivaux ont alors été créés : au nord, la République démocratique de Corée, un régime communiste sous l’influence de l’Union soviétique; au sud, la République de Corée, un régime capitaliste sous l’influence des États-Unis.

Tout bascule toutefois le 25 juin 1950, souligne le géopoliticien Yves Lacoste dans son essai Géopolitique: la longue histoire d’aujourd’hui.

Les Nord-Coréens, puissamment armés par les Russes, lancent alors une offensive pour envahir la Corée du Sud.

C’est le début de la guerre de Corée (1950-1953).

Les soldats américains sont repoussés dans un petit secteur au sud de la péninsule, sur les rives du détroit qui la sépare du Japon.

Sous le mandat de l’Organisation des Nations Unies (ONU), les États-Unis et leurs alliés, dont le Canada, contre-attaquent et débarquent en Corée du Nord. La Chine communiste s’implique à son tour dans cette guerre.

Après trois années de combat, l’armistice est signé le 27 juillet 1953, confirmant à nouveau la frontière sur le 38e parallèle.

Les combats sont suspendus, mais la paix n’est pas conclue pour autant. La nuance est importante, car cette situation prévaut toujours aujourd’hui.

Les Américains ont souvent menacé d’attaquer la Corée du Nord

Tout au long des décennies suivant la fin des combats (mais pas de l’état de guerre latent), les tensions sont souvent vives entre la Corée du Nord et les États-Unis, rappelle Philippe Pons, un spécialiste de ce régime dans Le Monde diplomatique.

En 1969, Washington menace d’intervenir quand la Corée du Nord abat un avion-espion américain au-dessus de son territoire. Toutefois, le président Richard Nixon ne passe pas à l’acte, jugeant le risque d’une nouvelle guerre trop grand.

En 1994, le démocrate Bill Clinton est président. Les Américains songent à nouveau à faire des frappes préventives en Corée du Nord, lorsque la communauté internationale apprend que le régime communiste produit du plutonium.

C’est finalement la visite-surprise de l’ancien président américain James Carter, un démocrate, à Pyongyang qui convainc l’administration Clinton de renoncer à bombarder le pays.

Un accord-cadre est alors conclu en 1994 afin que la Corée du Nord renonce à ses ambitions nucléaires en échange de garanties de sécurité et d’une aide économique, sans parler de la normalisation de ses relations avec les États-Unis.

Toutefois, en 2002, le président George W. Bush déclare caduc l’accord de 1994, affirmant que le programme d’enrichissement d’uranium nord-coréen serait entré dans une phase opérationnelle.

Le président Bush affirme aussi que la Corée du Nord fait partie d’un «axe du mal» aux côtés de l’Iran et de l’Irak (envahi par les États-Unis en 2003).

N’étant plus soumise à cet accord, la Corée du Nord procède quelques années plus tard, en 2006, à son premier essai atomique.

Et il y en aura d’autres par la suite.

Aussi, ceux qui aujourd’hui espèrent que la Corée du Nord renonce au nucléaire devront déchanter, car la bombe atomique nord-coréenne est là pour rester, affirment la plupart des spécialistes.

En fait, son arsenal nucléaire relève d’une nécessité stratégique, affirme Philippe Pons.

«Renoncer à son armement serait suicidaire pour le régime: non seulement il ne pourrait plus justifier les souffrances imposées à la population pour privilégier la défense du pays au détriment de son bien-être, mais surtout il deviendrait vulnérable à une attaque extérieure, comme l’Irak.»

Trois scénarios, dont un plus probable

Au moment d’écrire ces lignes, la perspective d’une paix durable dans la péninsule coréenne n’a jamais été aussi grande depuis des années.

À pareille date l’an dernier, trois scénarios étaient sur la table à propos de la Corée du Nord : une attaque préventive des États-Unis, le maintien du statu quo ou la normalisation des relations entre Pyongyang et Washington.

Pour l’instant, le premier semble très improbable, disent les spécialistes. On voit mal en effet comment les Américains pourraient attaquer la Corée du Nord alors que le régime veut se rapprocher de la Corée du Sud –Kim Jong-un le sait fort bien d’ailleurs.

Le deuxième scénario? Il a volé en éclat depuis le sommet historique entre les deux leaders coréens, sans parler de la future rencontre prévue en mai entre le président américain Donald Trump et Kim Jong-un.

Il ne reste donc que le troisième scénario, qui est de loin la meilleure solution, disent la plupart des analystes. Car, ultimement, la paix doit être conclue avec la Corée du Nord, et ce, afin de clore officiellement la guerre de Corée qui ne peut pas durer éternellement.

Les parties devront toutefois mettre de l’eau dans leur vin.

Washington doit normaliser ses relations avec Pyongyang, tout en acceptant que ce pays soit devenue une puissance nucléaire. Les Américains doivent aussi donner l’assurance aux Nord-Coréens qu’ils ne les attaqueront pas à moins bien entendu que la Corée du Nord attaque un autre pays.

Pour sa part, le régime nord-coréen doit cesser d’être un facteur de déstabilisation dans la région pour se concentrer sur le développement de l’économie du pays, qui en a bien besoin.

Une Corée du Nord nucléaire est-elle une menace pour les États-Unis? Oui, certainement, mais c’est une menace beaucoup moins grande que l’Union soviétique durant la guerre froide (1945-1990) ou la Chine aujourd’hui, sa vraie puissance rivale.

Bref, contenir la Corée du Nord, normaliser nos relations avec le régime (sans cautionner pour autant la violence envers le peuple nord-coréen), voire aider le pays à se développer économiquement, est une stratégie gagnante à long terme.

Pour la Corée du Sud, les États-Unis, mais surtout pour la Corée du Nord.

Et cela, Kim Jong-un en est certainement conscient.

La paix dans la péninsule coréenne augmenterait l’espérance de vie de son régime.

Elle augmenterait aussi la probabilité que la Corée du Nord puisse faire des réformes économiques afin de devenir peut-être un jour une économie mixte comme la Chine ou le Vietnam, deux dictatures communistes dotées en grande partie d’une économie de marché.

Mais surtout, le leader nord-coréen diminuerait le risque d’un effondrement politique de la Corée du Nord, comme les régimes communistes en Europe après la chute du mur de Berlin.

Or, c’est le pire cauchemar de Pékin, car ce scénario conduirait probablement à la réunification des deux Corée (comme le processus de la réunification allemande), un nouveau pays qui serait un allié des États-Unis, aux portes de la Chine.

Kim Jong-un comprend aussi les craintes de son grand allié chinois.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand