Le monde incertain et anxiogène expliqué aux jeunes

Publié le 04/02/2017 à 09:28

Le monde incertain et anxiogène expliqué aux jeunes

Publié le 04/02/2017 à 09:28

L'une des nombreuses manifestations anti-Trump, ici à Washington. (Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE - Attentat dans une mosquée à Québec, élection de Donald Trump, révolte populiste, montée de l'islamisme radical... Difficile d'être optimiste en cette époque incertaine et anxiogène. Moi-même je résiste souvent au pessimisme ambiant. Aussi, je vous comprends, vous les jeunes, d'être un peu découragés. Mais il y a un antidote pour combattre cette morosité: lire et relire des livres d'histoire.

Pourquoi m'adresser directement à vous et sortir ainsi du cadre régulier de cette analyse géopolitique hebdomadaire? Parce que j'ai des enfants, que je discute avec eux et leurs ami(e)s, et que je constate qu'ils ont souvent l'impression que le monde est en train de s'effondrer.

Bref, qu'un monde sombre se dessine à l'horizon.

C'est du moins l'image que nous donnent les médias et, surtout, les fameux réseaux sociaux, qui ont pris une place démesurée dans vos vies -et nos vies, à nous aussi, les adultes.

Comprenez-moi bien les jeunes: je ne vous dis pas que le monde est «jojo», et que tout va bien dans le meilleur de monde.

Loin de là.

Par contre, ce que je tiens à vous faire réaliser, c'est que ce n'est pas la première fois que le monde vit une période de turbulences, et qu'il y a eu dans l'histoire des périodes beaucoup plus critiques, dangereuses ou tragiques qu'aujourd'hui.

- la Première Guerre mondiale (1914-1918), qui a provoqué la chute de quatre empires (l'empire allemand, l'empire autro-hongrois, l'empire russe et l'empire ottoman), sans parler de la révolution communiste en Russie, en 1917.

- la montée du fascisme (un mouvement révolutionnaire, anti-bourgeois, anti-capitaliste, anti-démocratique, où l'État contrôle toutes les facettes de la société et où l'individualité n'existe plus) en Europe dans les années 1920 et 1930, notamment en Italie et en Allemagne.

- la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945), qui a pratiquement détruit l'ensemble de l'Europe et qui a consacré l'émergence de deux superpuissances, les États-Unis et l'Union des républiques socialistes soviétique (URSS), une dictature communiste.

- la guerre froide (1945-1991), qui a provoqué de vives tensions entre les États-Unis et l'URSS. Pendant presque 50 ans, l'humanité a couru le risque de voir le monde être anéanti par une guerre nucléaire totale, surtout lors de la crise des missiles à Cuba, en 1962.

Vous le voyez bien, le monde a déjà vécu des heures plus sombres qu'aujourd'hui.

Mais pourquoi tant de jeunes -et d'adultes- ont-ils l'impression que le monde est au bord du gouffre?

Nous manquons cruellement de perspective historique

Le problème, c'est que nous vivons à une époque qui n'a d'yeux que pour le présent. Nous souffrons d'une sorte de «présentéisme», surtout en Amérique du Nord.

Et le grand responsable est la place dérisoire que nous accordons à l'histoire dans nos écoles et dans les médias.

L'histoire est au mieux vue comme un mal nécessaire. Trop souvent est-elle aussi considérée comme une matière inutile, une «science molle» par rapport aux «sciences dures» et utiles comme la comptabilité, l'ingénierie ou la médecine.

Nous en payons le prix aujourd'hui.

Trop de journalistes, de blogueurs, d'analystes et de leaders politiques et économiques manquent de culture historique afin de mettre les événements et les tendances en perspective.

Et, à les lire ou à les entendre, force est de constater que plusieurs d'entre eux n'ouvrent pas souvent des livres d'histoire.

Résultat? Tout ce beau monde ou presque s'informe essentiellement auprès des médias qui, rappelons-le, n'ont d'yeux que pour le présent. C'est un cercle vicieux. Et lorsque surviennent des évènements ou des tendances qui bouleversent l'ordre établi, comme l'élection de Donald Trump, nous voyons seulement les arbres, pas la forêt.

Bref, la perspective historique est absente ou déficiente.

Voici deux exemples concrets.

Un manifestant lors de la 1ère conférence de presse du président américain. (Getty)

Donald Trump n'est pas un fasciste

Dans la foulée de l'élection de Donald Trump, vous avez certainement lu ou entendu que nous assistons à une montée du fascisme aux États-Unis, comme en Allemagne dans les années 1930.

Eh bien, c'est faux, c'est un mauvais diagnostic. C'est comme dire à quelqu'un qu'il a le cancer, alors qu'il souffre d'un autre problème de santé.

Tous les historiens sérieux qui ont étudié le fascisme vous diront que le «trumpisme» n'est pas un fascisme. Le trumpisme est plutôt un mouvement conservateur, voire réactionnaire, qui prône un protectionnisme économique, une réduction massive des impôts et une déréglementation tous azimuts de l'économie.

Si on veut faire un parallèle historique, il faut regarder du côté de Ronald Reagan, un président républicain et conservateur qui a dirigé les États-Unis de 1981 à 1989.

La démocratie américaine ne va pas s'éteindre

On vous dira aussi que Donald Trump est une menace mortelle pour la démocratie aux États-Unis.

Il est vrai que l'administration Trump représente tout un défi pour les institutions démocratiques du pays. Les élus (au Congrès, dans les États, dans les villes) et la société civile devront être vigilants, sans parler des médias.

Mais n'oublions pas que les États-Unis sont l'une des plus anciennes démocraties libérales au monde, avec une tradition démocratique qui remontre à la fin du 18e siècle.

Ses institutions ont résisté à la guerre civile (la guerre de Sécession de 1861-1865), à la Dépression des années 1930 et à l'instabilité des années 1960, durant lesquelles le président démocrate John F. Kennedy, son frère Robert Kennedy et le leader des droits des noirs, Martin Luther King ont été assassinés.

Enfin, les États-Unis sont un État de droit. On y retrouve aussi une vraie séparation des pouvoirs entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, une séparation des pouvoirs qui va beaucoup plus loin qu'au Canada.

Aussi, la démocratie américaine survivra à l'administration Trump.

L'ordre international est en mutation

Il y a une dernière chose que j'aimerais vous expliquer, et c'est le rôle des États-Unis dans le monde. Bien entendu, ce pays a des défauts. Les Américains sont intervenus à plusieurs reprises dans des États et souvent pour de mauvaises raisons, comme en envahissant l'Irak en 2003.

Cela dit, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l'ordre international dans lequel nous vivons (ONU, mondialisation, etc.) est un monde qui a été essentiellement imaginé et construit par les Américains.

Après la chute du communisme en Europe et la désintégration de l'URSS (entre 1989 et 1991), les États-Unis sont devenus la seule superpuissance de la planète, et ce, pour la première fois dans l'histoire.

Mais depuis quelques années, la domination américaine est contestée, au premier chef par la Chine et la Russie.

Durant la guerre froide, nous vivions dans un monde bipolaire. À la chute du communisme, le monde a vécu momentanément dans un monde unipolaire.

Aujourd'hui, nous entrons dans un monde multipolaire. Cela signifie que les grandes puissances comme les États-Unis, la Chine, la Russie et les principaux pays européens (Allemagne, France, Royaume-Uni) devront davantage se concerter pour gérer les grands enjeux planétaires.

Rassurez-vous, cet ordre multipolaire a été la norme dans l'histoire, pour le meilleur et pour le pire. Mais cela, vous ne l'apprendrez pas vraiment dans les médias, et surtout pas dans les réseaux sociaux.

Mais certainement dans des bouquins d'histoire.

Bonne lecture!

Vous dormirez beaucoup mieux.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand