Le capitalisme naturel à la rescousse du climat

Publié le 11/11/2017 à 10:21, mis à jour le 11/11/2017 à 12:07

Le capitalisme naturel à la rescousse du climat

Publié le 11/11/2017 à 10:21, mis à jour le 11/11/2017 à 12:07

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Il est minuit moins une. L’humanité peut toujours espérer limiter la hausse de la température moyenne de la Terre à moins de deux degrés Celcius par rapport à l’ère préindustrielle, mais elle doit faire très vite en révolutionnant son mode de vie. Et le «capitalisme naturel» pourrait faire partie de la solution.

Cet enjeu sera au cœur des travaux de la COP23 sur le climat qui se tient à Bonn, en Allemagne, jusqu'au 17 novembre. La pression sera forte pour que les pays augmentent leurs efforts afin de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre(GES) comme le prévoit l’Accord de Paris –les États-Unis sont le seul pays à ne pas l’avoir ratifié.

Tout n’est pas sombre à propos du climat. Une bonne nouvelle semble se confirmer, rapporte le quotidien français Le Monde.

Les émissions annuelles de CO2 issues de la combustion fossile (charbon, pétrole, gaz naturel) et des cimenteries, qui représentent 70% du rejet total des GES, se sont stabilisées depuis 2014.

Cela s’explique par l’utilisation réduite du charbon et par l’essor des énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse, etc.), surtout aux États-Unis et en Chine. Cette stabilisation est fragile, car cette tendance «pourrait s’inverser si la croissance économique s’accélère», selon un rapport de l’ONU Environnement publié en octobre.

De plus, si l’on tient compte du méthane et des autres gaz à effet de serre produits par l’agriculture, le changement de vocation des terres et la déforestation, les émissions totales de GES continuent de progresser dans le monde.

C’est pourquoi l’humanité doit réduire davantage ses émissions totales de GES afin d’éviter un emballement du climat, disent les scientifiques.

Car les conséquences seraient catastrophiques: pénuries de nourriture et d'eau, déclenchements d'épidémies, destructions d'habitats, sans parler de migrations massives, de luttes pour les ressources et de l'instabilité géopolitique.

Ce n'est pas l’ONU ou Greenpeace qui fait ces sombres prévisions, mais le ministère américain de la Défense dans une analyse publiée en 2014 (Department of Defense: FY 2014 Climate Change Adaptation Roadmap).

La nouvelle Bible du capitalisme

Le capitalisme naturel pourrait nous aider à éviter ce sombre scénario.

C'est du moins ce que prétendent Paul Hawken, Amory Lovins et L. Henter Lovins, les auteurs de Natural Capitalism, un essai publié en 1999 qui a fait grand bruit.

Le capitalisme naturel propose une révolution dans la production de biens et de services, et ce, pour être en phase avec les capacités et les limites de la Terre.

Certains analystes assimilent même le capitalisme naturel à une forme d’écologisme.

Peter Senge, le grand spécialiste des systèmes (dans la nature, la société et les sciences) et auteur de The Fifth Discipline: The Art and Pratice of the Learning Organization, a comparé Natural Capitalism à La richesse des nations d’Adams Smith, un essai publié pour la première fois en 1776.

«Si La richesse des nations d'Adam Smith a été la Bible de la première révolution industrielle, le Capitalisme Naturel pourrait bien être celle de la prochaine révolution.»

Comment fonctionne le capitalisme naturel

Le capitalisme naturel va beaucoup plus loin que développement durable, un système qui est relativement peu efficace pour lutter contre les changements climatiques.

Car, même s'il donne certains résultats (réduction de GES dans des industries, efficacité énergétique, réduction des déchets), le développement durable n'arrive pas à livrer la marchandise pour contrôler le réchauffement climatique, soulignent les spécialistes.

On l’a vu: malgré la stabilisation des rejets de CO2, les émissions totales de GES continuent malgré tout de progresser dans le monde.

La planète se réchauffe, car nous utilisation encore beaucoup trop d’énergies fossiles.

Et l'humanité consomme les ressources de la Terre à un rythme plus rapide que leur taux de renouvellement.

C'est mathématique: les Terriens grugent le capital naturel de la planète (le sol, les minéraux, le pétrole, les arbres, l'eau, les poissons, l'air, etc.), un capital qui a mis des milliards d'années à s'accumuler.

Pour pratiquer le capitalisme naturel, les entreprises, les organisations et la société devront faire des changements majeurs dans leurs pratiques industrielles et commerciales, insistent Paul Hawken, Amory Lovins et L. Henter Lovins.

Des pratiques qui font notamment en sorte de consommer moins d’énergie.

1. Accroître radicalement la productivité des matières premières.

Une utilisation plus efficace des ressources (de leur extraction jusqu'à la fin de vie des produits de consommation) ralentirait l'appauvrissement des matières premières, diminuerait la pollution et réduirait encore davantage les émissions de GES.

Comment y parvenir? Il faut rendre les processus industriels, les transports et les immeubles beaucoup plus efficaces.

Ces gains de productivité réduiraient aussi les coûts des entreprises.

2. Pratiquer le biomimétisme

Aujourd'hui, beaucoup trop de produits se retrouvent (entièrement ou en partie) dans les sites d'enfouissement. Or, si nous imitons la nature, nous pourrions éliminer jusqu'à l'idée même de produire des déchets.

Comme dans la nature, tout produit en fin de vie deviendrait un élément nutritif pour l'écosystème ou pour la fabrication d'un autre produit. Cela favoriserait la réutilisation constante des matières premières et l'élimination des matières toxiques.

Des entreprises pratiquent déjà une forme d'écologie industrielle, où des industries utilisent des rejets d'industries voisines (chaleur et vapeur, eau, gaz issus de la raffinerie, gypse de synthèse, biomasse et engrais liquide, boues d'épuration, etc.) dans leur processus de production.

Par exemple, la ville portuaire de Kalundborg, au Danemark, est aujourd’hui devenue une référence mondiale en termes d’écologie industrielle, selon l'Association industrielle de l'Est de Montréal.

Mais cela nécessitera une petite révolution technique globale.

Pour y arriver à grande échelle et éliminer à terme les déchets, les entreprises devront inventer des matériaux, des procédés et des produits qui permettront de former systématique des boucles de recyclage.

3. Instaurer une économie de services et de location

Les auteurs de Natural Capitalism proposent une révolution mentale, où l'on migrerait progressivement d'une économie de biens et d'achats à une économie de services et de location.

Bref, au lieu d'acheter des produits, on les louerait systématiquement -on peut déjà le faire du reste avec certains biens. L’entreprise montréalaise Communauto offre un service d’autopartage dans plusieurs villes du Québec et aussi en Ontario.

Le capitalisme naturel propose d’étendre ce principe à la plupart des biens.

Ainsi, une fois son utilisation par le consommateur terminée, le bien serait repris en charge par l'entreprise qui pourrait alors le louer à une autre personne ou le recycler.

4. Investir dans le capital naturel

Aucune société ne peut prospérer (voire survivre) à terme si son environnement se dégrade. Il faut donc réinvestir rapidement et à grande échelle dans la restauration, le maintien et l'accroissement des écosystèmes de la planète, selon les auteurs de Natural Capitalism.

Pourquoi? Parce qu'ils fournissent des services écologiques essentiels et inestimables : la pollinisation (le processus de fécondation des plantes femelles par le pollen issu de plantes mâles), l’augmentation de la productivité des terres, la production d'eau et d'oxygène, la filtration de l'eau et de l'air, la régulation du climat, la protection contre l'érosion.

Et cette stratégie est payante.

En 2002, la ville de New York a évité une dépense 5 milliards de dollars américains afin de construire une nouvelle station d'épuration. Elle a tout simplement investi dans un programme peu coûteux afin de restaurer l’écosystème du bassin versant des Catskills Mountains, où la ville s'approvisionne en eau.

Les mutations profondes que proposent les auteurs de Natural Capitalism sont-elles réalistes?

Il y aura plusieurs sceptiques, sans parler de ceux qui nient l’existence même des changements climatiques et de la crise écologique.

Mais sans changement majeur, nous courons à la catastrophe, selon le consensus scientifique. Il est encore temps de changer notre mode de vie.

Mais il est minuit moins une.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand