L'ACÉUM est un moindre mal, dans les circonstances

Publié le 14/12/2019 à 08:01

L'ACÉUM est un moindre mal, dans les circonstances

Publié le 14/12/2019 à 08:01

Le président américain Donald Trump (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Le nouvel Accord Canada États-Unis-Mexique (ACÉUM) ratifié par les trois pays -mais qui n’est pas encore en vigueur- est un recul pour le Canada par rapport à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Mais dans les circonstances, c’est un moindre mal.

Ces circonstances sont bien entendu la montée du protectionnisme aux États-Unis depuis l’arrivée de l’administration Trump au pouvoir, en janvier 2017. Un protectionnisme que le locataire de la Maison-Blanche n’a du reste pas inventé.

On l’oublie trop souvent.

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Car, après la récession de 2008-2009, l’administration Obama a multiplié les mesures protectionnistes pour renforcer les dispositions du Buy American (qui vise les achats de fournitures de Washington) et du Buy America (qui s'applique au secteur du transport public).

Plusieurs entreprises canadiennes en perdu des contrats aux États-Unis.

Donald Trump en a rajouté une couche en exigeant une renégociation de l’ALÉNA, et ce, pour le grand bénéfice de l’économie américaine.

L’avocat en droit du commerce international Bernard Colas, l’un des meilleurs spécialistes du libre-échange canado-américain au pays et associé au cabinet CMKZ à Montréal, identifie trois grandes concessions importantes pour le Canada et le Québec.

#1 L’affaiblissement de la gestion de l’offre

Le gestion de l’offre ne représente pas seulement un enjeu autour des prix que les consommateurs paient pour acheter du lait (et des produits laitiers comme le fromage), des œufs ou de la volaille. C’est avant tout un enjeu d’occupation du territoire.

Car plus on affaiblit la gestion de l’offre, plus on fragilise le tissu économique dans les régions rurales du Québec, un État qui a un vaste territoire et une petite population.

L’ACÉUM a accordé 3,6% de quotas supplémentaires aux Américains.

Un affaiblissement de ce système qui s’ajoute aux concessions qu’Ottawa a déjà accordées dans ses nouveaux nouveaux accords de libre-échange avec l’Union européenne et des pays de l’Asie-Pacifique comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande, deux pays exportateurs de produits laitiers.

 #2 La perte de l’accès privilégié aux marchés publics

Dans l’ALÉNA, les entreprises canadiennes avaient un accès privilégié à certains marchés publics aux États-Unis, par exemple pour des projets fédéraux. Or, l’ACÉUM supprime cet accès pour les sociétés canadiennes.

Désormais, elles seront sur le même pied d’égalité et en concurrence avec des entreprises françaises, allemandes ou japonaises aux États-Unis, et ce, en vertu des règles de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC).

 #3 La hausse de la durée de la propriété intellectuelle

L’ACÉUM fait augmenter considérablement la durée de la protection sur les droits d’auteurs après leur mort prévue à l’ALÉNA.

Ainsi, cette durée passe de 50 à 70 ans pour les oeuvres artistiques et littéraires, puis de 70 à 75 ans pour les interprètes et les enregistrements sonores.

Par conséquent, les Canadiens et les entreprises au pays devront payer encore plus longtemps des droits d’auteurs. C’est un enjeu de taille, car le Canada importe massivement des produits culturels en provenance des États-Unis.

On pourrait pointer du doigt encore bien longtemps des enjeux pour lesquels l’ACÉUM représente un recul par rapport à l’ALÉNA. Mais, à un moment donné, il faut savoir tourner la page, aussi douloureuse soit-elle.

Alors que la réélection de Donald Trump en 2020 est un scénario fort plausible, les Canadiens et les Mexicains ont tout intérêt à mettre derrière eux la réingénierie du libre-échange en Amérique du Nord.

Car, une fois en vigueur, l’ACÉUM réduira le risque des exportateurs canadiens. On voit mal en effet comment une seconde administration Trump pourrait exiger une autre renégociation du libre-échange nord-américain.

À moins que Washington ne menace, cette fois, de quitter l’ACÉUM…

Ce risque est toutefois peu probable.

Chose certaine, force est de constater que ce nouvel accord est un recul à bien des égards pour les citoyens, les entreprises et des communautés rurales.

Mais étant donné la tempête protectionniste qui sévit au sud de la frontière, on peut conclure qu’Ottawa a quand même réussi à sauver les meubles.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand