La percée de l'extrême droite en Allemagne menace la stabilité de l'Europe

Publié le 24/09/2016 à 09:00

La percée de l'extrême droite en Allemagne menace la stabilité de l'Europe

Publié le 24/09/2016 à 09:00

ANALYSE DU RISQUE - Présente dans la plupart des pays d'Europe, l'extrême droite est en train de connaître une ascension fulgurante en Allemagne. Une situation qui menace non seulement la stabilité du pays, mais aussi en partie celle de l'Union européenne (UE).

En fait, la percée de l'extrême droite en Allemagne est en train de bouleverser l'échiquier politique européen, affirme la Banque Nationale Marchés financiers dans une récente note géopolitique.

La place centrale qu'occupe l'Allemagne - première économie et première puissance politique en Europe - fait en sorte que l'incertitude grandissante dans ce pays accentuera «la confusion politique» sur le continent.

«Il serait alors encore plus difficile pour l'UE et la zone euro de surmonter leurs nombreuses difficultés et de retrouver le chemin d'une croissance économique vigoureuse», écrit l'analyste géopolitique Angelo Katsoras.

L'AfD a le vent dans les voiles

C'est la montée en puissance du parti extrême droite Alternative pour l'Allemagne (Alternative für Deutschland, ou AfD) qui inquiète les observateurs de la scène politique allemande.

Fondé en 2013, ce parti de la droite populiste a un discours xénophobe et anti-immigration. Depuis le déclenchement de la crise des migrants en Europe, l'AfD grimpe rapidement dans les intentions de vote en Allemagne.

Pourquoi? Parce que l'intégration de centaines de milliers de nouveaux migrants - dont la majorité est de confession musulmane - à la société allemande est beaucoup plus difficile que ne l'avaient anticipée les autorités.

Les Allemands commencent d'ailleurs à voir d'un moins bon oeil que par le passé l'arrivée de réfugiés, selon l'Agence France-Presse.

Ainsi, une majorité d'Allemands (55%) estiment que les demandeurs d’asile devront rentrer dans leur pays d'origine une fois que la situation (la guerre civile en Syrie, par exemple) s’y sera améliorée, montrait en juillet une enquête de l'Université de Bielefeld.

De plus, 36 % des Allemands jugent que l’arrivée de nombreux réfugiés constitue «une menace» pour l’avenir du pays.

Ce changement de perception dans l'opinion publique s'observe aussi sur l'échiquier politique.

Deux désaveux pour Angela Merkel

En moins d'un mois, la chancelière Angela Merkel a essuyé de «lourdes pertes électorales» dans son Land d'origine (l'équivalent des provinces canadiennes) et dans la capitale Berlin.

Le parti d'Angela Merkel, l'Union chrétienne-démocrate (CDU) de centre-droite, a d'abord subi une cuisante défaite lors des élections législatives régionales en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, le 4 septembre.

Le Parti social-démocrate (SPD) est arrivé en tête avec 30,6% des voix. Par contre, l'AfD a terminé deuxième avec 20,8% du vote, devançant ainsi la CDU d'Angela Merkel, qui a fini troisième avec seulement 19% des voix.

Et si l'on tient compte du vote pour l'extrême gauche (l'ancien parti communiste d'Allemagne de l'Est) à 13,2%, les formations populistes ont récolté le tiers des voix lors de cette élection.

Deux semaines plus tard, le 18 septembre, l'AfD a aussi fait des gains dans la ville-länder de Berlin.

Cela dit, il a terminé en cinquième position avec 14,2% des voix, après les sociaux-démocrates (21,6%), le parti d'Angela Merkel (17,6%), l'extrême gauche (15,7%) et les écologistes (15,1%).

Mais c'est toute une progression dans une métropole cosmopolite comme Berlin, soulignent plusieurs politologues.

Et là encore, si on combine le vote de l'extrême droite à celui de l'extrême gauche, on constate que 30% des citoyens du Land ont voté pour un parti populiste.

Fragmentation du paysage politique

Une «tendance inquiétante» préoccupe particulièrement l'analyse de la Banque Nationale. Il s'agit du déclin du soutien aux deux principales familles politiques du pays (l'Union chrétienne-démocrate et le Parti social-démocrate) depuis une quarantaine d'années.

- Fin des années 1970: 90% des voix

- 2013: 67% des voix

- Aujourd'hui: 55% des voix

Le soutien populaire a presque fondu de moitié.

Cette situation a incité les deux grands partis à former des coalitions pour gouverner le pays. «Mais l'effet secondaire de cette stratégie a été une montée en popularité de forces politiques auparavant marginales», fait remarquer Angelo Katsoras.

Le risque politique est réel: plus les deux principaux partis gouvernent en coalition, plus le risque grandit que les électeurs allemands les voient comme un seul et même parti. Dans ce contexte, la probabilité est plus grande que les citoyens en quête de changement se tournent vers des formations de l'extrême droite ou de l'extrême gauche.

Ce contexte politique risque de déstabiliser le pays. Il risque aussi d'affaiblir le leadership de l’Allemagne en Europe, car le pays pourrait être tenté de consacrer plus d'énergie à gérer ses difficultés internes et la crise des migrants.

Une défaite électorale d'Angela Merkel lors de l'élection générale en août 2017 - la chancelière essaie d'obtenir un quatrième mandat - pourrait aussi empirer la situation, car il est loin d'être acquis qu'un autre leader de son envergure puisse prendre sa place, selon la Banque Nationale.

«Si l'Allemagne perdait son statut de chef de file de l'Union européenne, la région serait livrée à elle-même, car aucun pays n'aurait la capacité ni la volonté d'endosser ce rôle», affirme l'analyste géopolitique de l'institution financière.

Le cas échéant, cette situation surviendrait dans un contexte où l'Europe fait face à plusieurs défis, et ce, du Brexit à la crise des migrants en passant par la montée de l'extrême droite - et de l'extrême gauche - dans d'autres pays européens.

Par exemple, Marine Le Pen, la chef du Front national, se rendra vraisemblablement jusqu'au second tour de l'élection présidentielle en France au printemps 2017. Et en Autriche, l'extrême droite pourrait même prendre le pouvoir lors de l'élection présidentielle en décembre.

Avec comme toile de fond une croissance économique molle en Europe, on comprend que ce contexte peut devenir un cocktail explosif pour les investisseurs.

Angelo Katsoras estime d'ailleurs que l'instabilité politique «est l'une des raisons» pour lesquelles les principaux indices boursiers européens devraient faire moins bien que ceux aux États-Unis dans un avenir prévisible.

Le graphique suivant, où l'on voit l'écart se creuser entre le S&P 500 et l'Euro Stoxx 50 depuis la grande récession de 2008-2009, témoigne bien des difficultés économiques et financières de l'Europe depuis quelques années.

Une instabilité politique accrue en Allemagne aggraverait la situation.

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand